Avis des lecteurs
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Autopsie d'une vie ordinaire
« Au fond de son âme, cependant, elle attendait un événement ». Par cette citation Sophie Divry crée directement un lien entre son héroïne contemporaine, M.A., et celle que Flaubert imagina au dix-neuvième siècle. Entre M.A. et Madame Bovary la ressemblance est évidente, et le lecteur n’a pas à chercher quel prénom se cache derrière ces initiales. La prononciation seule importe. Née aux débuts des années cinquante dans un milieu modeste, M.A. va faire des études, rencontrer lors d’une soirée celui qui deviendra son époux, et se lancer dans la vie active. Une existence toute tracée, comme tant d’autres, rythmée par l’achat d’une maison, la naissance des enfants et le temps qui s’écoule. Mais avec les années qui passent justement, M.A. se montre de plus en plus insatisfaite et l’ennui l’envahit. Le quotidien routinier n’est rompu qu’une fois par an à l’occasion des vacances d’été, alors M.A. va chercher l’aventure dans les bras d’un homme moins terne que le sien. Pour combler le vide qu’elle ressent, elle va également multiplier les activités supposées la divertir et lui permettre d’élargir son horizon. Mais rien n’y fait, tout finit toujours par la lasser. Il y a dans cette autopsie d’une vie ordinaire des accents d’Annie Ernaux, et l’on ne peut s’empêcher de penser à « La femme gelée » en lisant ce roman qui décortique froidement une vie entière dans ce qu’elle a de plus banal. Sans le vouloir, sans y avoir vraiment réfléchi, M.A. s’est embarquée dans la grande aventure de la vie à deux et finit par avoir l’impression d’être prise au piège. Dans ce livre, Sophie Divry a fait le choix d’utiliser le « tu », interpellant directement son héroïne de manière tout à fait neutre. Outre le fait que cela donne au livre un style et un ton particulier, ce procédé suscite le malaise en incitant à une réflexion sur soi-même. Remplacez les initiales M.A. par n’importe quel prénom, et chacun(e) pourra(it) se reconnaître dans le récit d’une vie perçue comme incomplète et manquant de piquant. Une vie simple et ordinaire qui certes s’écoule sans heurts, mais que l’on pourrait oublier de vivre à force d’imaginer un ailleurs où l’herbe serait plus verte.
par Bibliothèques Le 09 mars 2020 à 15:25