01
Lauranne Reina
Mille et une vies...
Pour mon papa, qui est sans doute maintenant une de ces milliers d'étoiles qui tiennent compagnie à la Lune quand elle s'ennuie...
L'histoire commence il y a quelques dizaines d'années...
Une petite fille reçoit de son papa, un livre, un très beau livre.
Ce livre, il l'a ramené d'un pays qu'il a dû quitter pour revenir en France.
La petite fille sait bien qu'avec ce livre, son papa a ramené un petit peu de ce pays perdu.
On ne le lui a pas dit.
Mais elle le devine. Elle le sait.
A la douceur des pages.
A la vivacité des couleurs.
Aux dessins qui la font rêver pendant des heures, et qui font naître dans sa chambre des saveurs de sucres et de miel.
La petite fille ne sait pas lire.
Mais elle rêve, et elle brode des histoires sur son oreiller pour s'endormir le soir.
Puis la petite fille grandit et elle apprend à lire.
Elle lit en français, le titre de son livre préféré.
Ce livre, c'est ... Aladin et la lampe merveilleuse.
L'histoire est tellement belle qu'elle la raconte à son père.
Elle lui demande s'il a déjà vu des lampes magiques.
Il ne répond pas.
Elle lui demande s'il a déjà vu des jardins merveilleux et des palais sublimes.
Il ne répond pas.
Et des princesses ? Et des génies ?
Il ne répond pas.
Son papa, il est souvent très silencieux.
Son papa, il est comme le silence.
Le silence c'est plus qu'une absence.
C'est un trésor qu'on n'a pas encore trouvé.
Un jour, il disparaît ce papa-là, sans avoir parlé.
Quand on n'a pas d'histoire, on s'en invente une.
Ou on l'emprunte aux autres...
Alors la petite fille qui a grandi ouvre le livre qu'elle a tant aimé...
Elle ouvre le livre, doucement.
Les pages du livre sont blanches.
Elle se dit :
« ce n'est pas grave. L'histoire est dans mon cœur, comme un petit nid brodé.. »
Et la voilà qui déroule le fil...
Les mots sortent de sa bouche,
mais ils sont fades et plats...
Qu'est-ce qu'ils sont à côté de la grandeur du génie ? Des splendeurs du palais ?
De la beauté de la princesse ?
Il n'y a que le mot « vizir » qui fasse son petit effet..
C'est un mot qui fait peur, et qui attire en même temps...
Comme celui qu'il désigne.
Les mots racontent mal son histoire...
Elle se dit ;
« ce n'est pas grave. L'histoire est dans mon cœur, comme un petit nid brodé... »
Elle prend ses crayons.
Elle dessine Aladin, sa lampe merveilleuse, son génie.
Elle dessine les palais, les jardins, les grands yeux merveilleux de la princesse.
Les crayons sont trop obéissants ou pas assez..
Les dessins ne sont pas vivants.
Les dessins racontent mal son histoire.
Pas un seul mot ne sort de sa bouche.
Ses yeux eux débordent de larmes.
Et la voilà qui pleure, et qui pleure.
Des flots de larmes inondent son lit, inondent sa chambre...
Peut-être bien que si on ouvre la porte de sa maison,
les larmes vont la conduire jusqu'à la Loire,
et de la Loire jusqu'à l'Océan...
Et de l'Océan jusqu'à la Mer..
Et de l'autre côté de la Mer, peut-être qu'elle trouvera Aladin, les jardins, les palais, et la lampe... La lampe merveilleuse !
Peut-être.. mais non.
Alors, la petite fille creuse un trou au fond de son jardin.
Dans ce trou, elle enterre son livre.
Et elle part.
Elle part.
Le temps passe...
Il lui arrive beaucoup de choses.
Elle a enfin une histoire à elle, avec des rires, avec des douleurs.
Le temps passe et un jour, elle décide de revenir dans le jardin.
Elle traverse le jardin.
Elle s'arrête là où elle se souvient d'avoir creusé et d'avoir enterré son livre.
Un jeune arbre a poussé.
Elle creuse au pied de l'arbre.
Le jeune arbre penche sous le vent, ses feuilles lui caressent les joues.
Elle continue de creuser, mais... aucune trace du livre qu'elle a enterré.
Elle lève les yeux vers l'arbre.
Dans la lumière de l'automne, ses feuilles brillent comme des milliers de lampes à huile...
Des lampes qu'elle frotterait et d'où sortirait un génie qui lui dirait à l'oreille...
« Quel est ton souhait ? »
Si cela arrivait, elle répondrait :
« Je veux retrouver le livre de mon papa... ».
Mais aucun génie ne lui apparaît, aucune lampe,
et les feuilles dorées dans la lumière d'automne disparaissent à la tombée du jour.
Elle continue de creuser un moment, puis, épuisée, elle s'endort au pied de l'arbre.
Première histoire : la liseuse et le génie. (Inspirée par Le Pêcheur et le génie)
Dans le vent, les feuilles de l'arbre commencent à bruisser...
Ses branches feuillues se dressent sous la lune.
Les branches s'agitent.
L'arbre la regarde. Ses branches feuillues sifflent maintenant à ses oreilles comme des serpents.
L'arbre fronce son écorce ridée et il tend maintenant vers elle l'une de ses branches crochues comme un doigt menaçant.
«Je suis le génie du livre.
Tu m'as enterré ?
On n'enterre pas les livres !
Tu as voulu me faire taire ?
Tu ne m'as pas réduit au silence, bien au contraire.
Le papier et l'encre sont devenus poussière.
Poussière de rêves...
Cette poussière s'est mélangée à la terre.
La terre brune a ri, la terre brune a pleuré...
Elle a bercé ces rires, elle a bercé ces pleurs,
et elle a laissé germé une graine.
Une petite graine qui a grandi,
qui est sortie de terre,
qui s'est dressée vers le ciel...
qui crie maintenant aux quatre vents
ses anciens rêves de papier.
Je chante maintenant, avec ma sève, avec mon sang,
avec mes feuilles dorées. »
Les branches dressées vers le ciel ressemblent à des flambeaux brûlants.
Le génie de l'arbre est un candélabre géant.
Il n'y a plus de livre, il n'y a plus de papier blanc.
Il n'y a plus que le chant du vent à travers mes branches.
Que me veux-tu exactement ? »
La liseuse endormie à ses pieds répond dans son rêve :
« Je veux connaître mon père »
L'arbre balance ses branches dans le vent.
Sa silhouette frêle danse.
Et les paupières de la dormeuse frémissent...
Deuxième histoire : Jasmine au sourire de lune.
(Inspirée par Farizade au sourire de rose, version de l'Oiseau de Vérité, traduite par Mardrus)
Elle est redevenue une toute petite fille.
Il fait nuit.
Elle donne la main à son papa.
Sa main à elle est si petite dans la sienne.
Ils sont devant un massif de fleurs blanches, des petites étoiles d'argent qui brillent dans la nuit.
C'est tellement beau.
Son papa lui dit :
« Ce sont des fleurs de jasmin.
J'aurais aimé t'appeler Jasmine,
Jasmine ou Yasmina. »
Elle lâche la main de son père et elle cueille les étoiles d'argent.
« C'est pour me faire un collier, Papa... un collier de petites étoiles. »
La main de son père tente de reprendre sa main à elle.
Mais la petite main continue de cueillir...
« C'est pour accrocher dans mes cheveux, Papa... »
La main de son père arrête le geste de sa petite main.
Le père montre la lune dans le ciel.
La lune est belle.
Elle est ronde.
On dirait qu'elle sourit, qu'elle lui fait un clin d’œil.
Son papa dit :
« Il n'y a pas d'étoiles dans le ciel cette nuit.
Laisse ces petites fleurs briller comme des étoiles.
Elles sont jolies. Elle tiendront compagnie à la lune qui s'ennuie. »
La petite fille fait la moue.
Mais elle arrête de cueillir les fleurs et elle les regarde briller dans la nuit comme des étoiles...
Tout à coup, elle montre du doigt, un petit point lumineux, puis deux, puis trois...
On dirait des perles d'or.
Elle essaie de les attraper, ils courent dans la nuit.
Ils sont de plus en plus nombreux.
Elle rit...
Le papa la regarde :
« Ce sont des lucioles Jasmine.
Elles te montrent un chemin.
Suis-les Jasmine.
Et reviens avec Ibrahim et Ismail.
N'oublie pas Jasmine, tu es ma petite lampe merveilleuse... »
La petite fille demande :
« C'est qui Ibrahim ? C'est qui Ismail ? »
Le papa ne répond pas.
Jasmine regarde les lucioles.
Elles lui ouvrent un chemin. Jasmine se retourne vers son père, mais elle ne le voit pas.
Elle l'appelle, il n'est plus là...
Alors elle suit les lucioles.
Le chemin est long dans la nuit.
Jasmine marche dans la lumière des lucioles, sous la lune ronde.
Longtemps, toute la nuit.
Au petit matin, le jour se lève.
Il n'y a plus de lucioles, la lune ronde a disparu.
Mais un arbre se dresse : c'est un oranger.
Trois oranges rondes brillent dans l'arbre comme le soleil dans un ciel d'été.
Jasmine cueille une orange.
Elle hésite, elle en cueille deux puis elle cueille les trois.
Au pied de l'arbre, une lampe à huile est allumée.
Jasmine se baisse pour la ramasser.
Au creux de ses petits bras, les oranges sont lourdes...
Une orange s'en échappe.
Et l'orange commence à rouler...
L'orange roule sur les sentiers à travers les forêts, à travers les rochers...
Jasmine court sur les sentiers....
Jasmine avec sa petite lampe à huile qui brille dans le jour naissant.
Elle a peur des forêts sombres, mais elle court.
Les rochers escarpés lui blessent les pieds, mais elle court.
L'orange s'arrête au pied d'une souche d'arbre.
Un homme est assis sur la souche d'arbre devant un seau.
Il porte un tamis et une pelle.
Il regarde le marécage devant lui,
les feuilles mortes qui jonchent le sol brun, rouge et doré.
L'homme soupire.
L'eau du marécage est abondante, dans son seau l'eau claire est rare.
Mais il reprend sa pelle, il reprend son tamis,
il s'apprête à verser la terre et l'eau croupie.
Il se penche, et il voit l'orange...
Vermeille comme le soleil dans un ciel d'été.
Il la ramasse.
Il déchire les quartiers.
Il savoure l'orange, et son jus sucré.
Un pépin..
Il le crache dans l'eau à ses pieds, dans l'eau brune du marécage.
Le pépin brille... comme une pépite dorée.
L'homme regarde le pépin.
Le pépin est une vraie pépite... une pépite d'or.
Dans l'eau croupie, la pépite opère sa magie.
L'eau brune devient claire...
L'homme tend ses mains.
Il boit à pleines gorgées l'eau limpide comme une eau de source.
Ses yeux sourient, son visage rajeunit.
Il regarde autour de lui, et il aperçoit Jasmine, les bras chargés de deux oranges vermeilles, et d'une petite lampe à huile qui éclaire son visage.
« Je suis Ibrahim »
Jasmine tend la main vers Ibrahim...
Une deuxième orange lui échappe.
Et l'orange commence à rouler...
L'orange roule sur les sentiers à travers les forêts, à travers les rochers...
Jasmine court sur les sentiers.
Jasmine et sa petite lampe à huile, suivie par Ibrahim.
Elle a peur des forêts sombres, mais elle court.
Les rochers escarpés lui blessent les pieds, mais elle court,
Jasmine avec Ibrahim.
L'orange s'arrête au pied d'un arbre...
Un arbre sec presque mort.
Un homme a creusé un trou sous l'arbre.
Il fait rouler les grosses pierres qui asphyxient les racines de l'arbre.
Il aperçoit l'orange... vermeille comme le soleil dans un ciel d'été.
Il se penche pour la ramasser.
Il la ramasse. Il déchire ses quartiers.
Il savoure l'orange, et son jus sucré.
Un pépin...
Il le recrache.
Le pépin brille comme un rubis.
C'est un véritable rubis, rouge comme une goutte de sang...
Une goutte de sang qui tombe et qui féconde les entrailles de la terre.
Car à peine le rubis tombe-t-il, qu'un arbrisseau sort de terre, fragile, vert tendre...
L'arbrisseau se couvre de fleurs blanches.
Un arôme de fleurs d'oranger envahit l'air.
L'homme se redresse.
Il ferme les yeux et il respire à pleins poumons.
Quand il rouvre les yeux, il a devant lui un verger...
D'autres arbrisseaux ont poussé, les premiers arbrisseaux sont devenus des arbres.
Leurs branches dressent fièrement leurs fleurs blanches vers le ciel...
Un sourire se dessine sur le visage de l'homme.
Ses yeux brillent comme la blancheur des fleurs de l'oranger dans le ciel printanier. Son visage a rajeuni.
Il aperçoit Ibrahim, et Jasmine...
Jasmine avec sa petite lampe à huile dont la flamme frémit sous le soleil de printemps.
L'homme dit :
« Je suis Ismaïl ».
Jasmine tend la main vers Ismaïl.
Mais la troisième orange lui échappe...
Et l'orange commence à rouler...
L'orange roule sur les sentiers à travers les forêts, à travers les rochers...
Jasmine court sur les sentiers.
Jasmine et sa petite lampe à huile, suivie par Ibrahim et par Ismaïl.
Elle a peur des forêts sombres, mais elle court.
Les rochers escarpés lui blessent les pieds, mais elle court,
Jasmine avec Ibrahim et avec Ismaïl.
L'orange s'arrête au pied d'une colline.
Sur la colline, un arbre solitaire se dresse.
Sur cet arbre, un faucon est perché.
Ses yeux perçants suivent le vol de trois nuages blancs en forme de colombes.
L'orange s'immobilise au pied de l'arbre.
Le faucon détourne les yeux du ciel et il regarde à terre.
Il aperçoit l'orange vermeille.
Il quitte son perchoir, et il se pose devant le fruit.
Il le déchire. Il arrache les quartiers, il suce le jus sucré.
Son bec découvre une impureté.
Un pépin d'orange ?
Le faucon le fait rouler dans son bec.
Le pépin roule dans le bec du faucon, en faisant une drôle de petite musique.
Jasmine, Ibrahim et Ismaïl entendent cette petite musique.
C'est la chanson d'une perle qui roule...
Le pépin est une perle, une perle blanche et nacrée.
Le faucon avale la perle.
Et il commence à raconter...
A suivre...
02 - La nuit, je me réinvente
Anonyme / ATELIER D'ÉCRITURE EN LIGNE DE JANVIER 2022
Une vague la nuit.
Longtemps je me suis levée sans me rappeler mes rêves. Parfois, à peine éveillée, je cherchais à m’en souvenir car c’est au lever, dit-on, que les rêves reviennent en mémoire, d’eux-mêmes, automatiquement. En vain. J’étais pourtant si sûre d’avoir rêvé, d’avoir vécu quelque chose pendant la nuit.
Alors, dans la matinée, je guettais un souvenir, une réminiscence, le plus petit éclair, la plus petite lueur qui pourrait me connecter à ma nuit. Mais rien, pas la moindre piste, pas la moindre bribe.
Troublée, j’en parle à une amie.
« Figure-toi qu’une petite voix intérieure s’incruste imperceptiblement, une sensation de quelque chose qui s’accroche au fond de ma tête, opaque, et qui plane sans explication. Une sensation fidèle d’un jour à l’autre.
Alors je guette ce « flash », comme un soleil qui devrait déchirer le voile de l’oubli, je me lance dans la nouvelle journée. Je me douche, je m’habille, je prends mon petit-déjeuner avec cette présence tapie au fond de mon âme. Je quitte la maison, je ferme la porte à clé, je marche une demi-heure, je travaille, je déjeune, je travaille, je rentre à la maison, et j’oublie ce souvenir fantomatique. Car je le sens, toutes ces activités me font du bien, je suis efficace, ce que je réalise me plaît. Les enfants rentrent et me racontent leur journée.
Les journées se suivent comme d’habitude jusqu’à ce que par hasard j’entende le mot « mer », qui déclenche en moi une image de mer démontée, dont je ne vois qu’une vague énorme, qui ne cesse de s’approcher, sans jamais pourtant atteindre le rivage.
Elle s’approche très menaçante, haute de dizaines de mètres, et recourbe son écume tout en haut sans jamais éclater, comme un arrêt sur image. Elle m’angoisse, car, toute figée dans son mouvement, elle semble prête à rugir et s’abattre sur la rive et sur moi.
Sur moi ou sur qui ? Où suis-je ? Ça n’est pas clair, aucun bruit, aucun cri, aucun être humain. Je ne vois personne. Suis-je une spectatrice ? Est-ce une image dont je ne fais pas partie ? Je ne me vois pas face à elle, mais je sens qu’elle est tout près, immense, inhumaine et menaçante comme un danger imminent et immobile. Elle remplit tout l’écran de ce rêve. Je suis à la fois présente et absente face à elle. Bizarre, tu ne trouves pas ? »
Elle sourit, me regarde, bienveillante. Et nous parlons d’autre chose.
Je n’ose lui dire que, la nuit, ces sensations m’oppressent, avec ce temps infini comme suspendu. La respiration me manque et je sors du rêve. Éveillée ? Demi-éveillée ? Puis, je retourne au sommeil qui m’emporte.
Combien de temps suis-je prisonnière de cette image ? Quelques minutes? Plus ?
Comment nommer ce rêve qui revient cycliquement, mais pas fréquemment ? Cauchemar ? Prémonition de quelque chose qui va venir inexorablement?
Mais quelle menace ? Une noyade, un cataclysme ? Que symbolise la vague ?
Un souvenir qui émerge de la petite enfance ?
Pourquoi la mer ? Pourquoi la vague ?
Quelle part de moi suscite ce rêve ?
Car le silence domine cette vision, et aussi les couleurs. Ni sombres, ni bizarres, ni tristes. Au contraire, un paysage lumineux, le soleil brille, le sable est blond et le ciel bleu. Les couleurs habituelles d’un bord de mer tranquille par beau temps, malgré la vague effrayante.
Que signifie cette opposition ? Un coup de tonnerre dans un ciel serein, le calme avant la tempête ? Qui m’avertit que ma vie va changer ? Ou bien une inquiétude inconsciente de ma vie réelle s’exprime par ce biais… Loin d’être une annonce hostile, cette vision reflèterait mon être profond et mon quotidien. La nuit laisserait s’exprimer tout ce que je ne peux faire le jour et me révélerait à moi-même… Et si, au lieu de privilégier ce signe de danger, je favorisais l’autre élément du tableau, la douceur et l’apaisement : le jour avec la lumière, au lieu de la nuit avec les peurs. Deux facettes de mon existence se complètent. De la nuit émergent les étoiles et l’aube, l’inconnu et le connu, le questionnement et la réflexion plongent en moi. La vague et le rivage représentent mon existence, mes joies et mes difficultés de mère de trois ados un peu rebelles et qui doit jongler chaque jour entre travail, maison et enfants. Une charge mentale triple paraît-il, ce dont je suis persuadée.
Une année passe ainsi. Puis, plus rien. La vague a disparu. Je l’oublie. L’été arrive. Nous retournons en Normandie, nous retrouvons la Manche et les baignades. Ciel bleu, sable blond, soleil éclatant, chaleur de Juillet.
En sortant de l’eau, un malaise me prend, j’ai froid et je marche avec peine.
Analyses et verdict du médecin: choc thermique dû à une subite allergie au froid. Perte de l’immunité contre le froid. Origine et raisons inconnues. Je ne pourrai plus me baigner en mer. Mais je me remets rapidement et surtout je suis vivante ! Tant d’autres choses me restent possibles.
03 - Il est tard
Mélissa Musia / ATELIER D'ÉCRITURE EN LIGNE DE JANVIER 2022
Il est tard. Je marche. La rue est sombre. La lumière des enseignes des vieilles boutiques se noie à mes pieds dans le miroir approximatif des flaques d’eau.
Je suis sortie ce soir mais je n’aurai pas dû. Je n’aime pas sortir. Je n’aime plus sortir.
Je devrais arrêter de t’écouter.
— Sors donc un peu ! Vis ta vie au lieu de la subir ! Tu es jeune, arrête de te poser autant de questions tu vas finir par t’encrouter !
Comme toujours, je finis par te céder.
La musique était trop forte, mais ne parvenait pas à couvrir les discussions fades et sans intérêt de mes collègues, ni leurs affreux bruits de bouche. Tu sais à quel point les bruits de bouche m’irritent.
J’ai réussi à me libérer de mes bourreaux, mais il est trop tard. Mes jambes ont pris le relais de mon cœur et je me suis mise à marcher. Marcher jusqu’au bout, marcher sans retour.
Dans la rue sombre, je marche.
Ce n’est pas l’alcool, je n’ai rien bu. Je ne supporte pas. Je ne supporte plus.
Ce n’est pas la fatigue. J’ai dormi. Jusqu’à 13h. C’est le jet lag. C’est toujours le jet lag depuis que je suis arrivée ici. Ça fait deux mois que je suis en jet lag.
Alors je ne sais pas ce que c’est.
La nuit tous les chats sont gris dit-on. La nuit, moi, je n’ai pas de forme. Je crois que le jour non plus.
Je me sens… illimitée. Dis comme ça, ça peut donner envie, mais en fait non. Je n’ai pas de limite, je n’ai pas de contour.
Je me gratte le bras, jusqu’à m’en faire saigner.
J’entends ta voix.
— Arrête de te gratter comme ça tu vas avoir des cicatrices à force !
Alors pour t’entendre encore un peu, je gratte. Plus fort. Jusqu’à me dessiner un contour sur cette peau translucide.
Ça me fait mal. Ça me fait du bien.
Peut-être que si je gratte encore plus fort, sous cette peau trop petite, je trouverai quelque chose.
Je ne sais pas moi ! N’importe quoi ! Quelqu’un.
Je marche, et je me gratte le bras. Je ne sais pas jusqu’où je marche, je ne reconnais plus rien. Ce n’est pas l’alcool je n’ai rien bu, Je ne supporte pas.
Tout est écrit dans une langue que je ne comprends pas, des signes et rien d’autre.
Je t’entends encore.
— A quoi ça sert d’aller à l’autre bout du monde si t’es même pas foutue d’essayer d’apprendre un minimum de la langue. Comme tu vas faire pour t’en sortir ?
Est-ce que je m’en sors ? Est-ce que je peux m’en sortir sans toi ?
Je ne sais pas. Je marche. Mais je ne sais pas où.
Je n’ai pas de limite, mon corps est une flaque, celle qui reflète cette drôle de lumière rouge. Mon corps est ce banc perdu au milieu de ce trottoir trop grand et désert, cette porte grise qui reste fermée, ce porche qui n’invite pas à entrer.
Je suis tout. Autant dire que je ne suis rien.
Je gratte encore et encore. Je vais finir par savoir.
La nuit est muette, où est passée la mélodie de la vie grouillante de cette ville si vaste, si active, si vivante ?
Mes oreilles bourdonnent de ce silence qui a remplacé la musique trop forte, les discussions trop fades et ces bruits de bouches, ces affreux bruits de bouche !
Je continue de marcher, tout droit sur ce trottoir trop grand et trop vide.
L’air n’est ni froid, ni chaud. C’est comme s’il n’y en avait pas.
Je me souviens des nuits de printemps avec toi. De leur fraicheur qui nous réveillaient après les heures blanches que nous fabriquions ensemble. De l’odeur de la pluie sur le trottoir.
Ici, il n’y a pas d’odeur. Rien
Je continue de marcher mais ce vide m’emporte. Petit à petit j’ai l’impression de disparaitre dans la froideur de ces tours en béton. Mon corps se mélange à ces matériaux inertes.
Mais si je prenais à gauche dans ce passage qui semble avaler les marcheurs solitaires ?
J’entendrais des basses sortant d’une cave dissimulée.
Un souffle de vie.
Un ange, aussi blond que moi, viendrait me saisir et m’emporter là où les questions se perdent dans le bruit assourdissant de la fureur de vivre. Les âmes agitées d’une énergie ardente m’inviteraient à les rejoindre et
mon corps se mêlerait aux leurs. Ils me feraient oublier ce qu’il y a à oublier. Je danserais toute la nuit avec elle, tellement belle, tellement vive. Nous finirions par nous embrasser pour ne plus rien entendre d’autre que nos cœurs battre à l’unisson.
Pourtant, j’avance tout droit, je ne tourne ni à gauche, ni à droite, j’ai bien trop peur.
J’avance mais je ne sais pas où. J’avance sur ce grand trottoir. Désert.
Dans ma poche je la sens. Plier en quatre. Je la déplie et la replie machinalement. Je l’ai lu et relu tellement de fois que les mots sont gravés sur ma rétine. Tu n’es plus là mais je te garde avec moi.
Il est l’heure où le tôt et le tard se mêlent, où les âmes se croisent, où les vies s’échangent.
Je suis fatiguée. Je m’arrête.
Il est l’heure où la nuit est bleue. L’heure où pour quelques instants suspendus tout s’arrête.
04 - Fiction nocturne
Martine cutler / ATELIER D'ÉCRITURE EN LIGNE DE JANVIER 2022
Houla,c'est quoi cet endroit !
De la ouate bleutée en pleine forêt. Des arbres avec des branches noires crochues qui sortent tout droit d'un dessin animé effrayant.
Ils sont gigantesques, ils me font peur.
Je suis transi, qu'est-ce que je fais là moi?
Me suis endormi sur la branche de mon arbre favori, après avoir discuté avec Alice et les jumeaux Tweedledum et Tweedeldee.
Alice, quelle charmante demoiselle ... je lui ai fait mon plus beau sourire.
Nous allions prendre le thé chez le chapelier fou avec le lièvre de mars. Je suis complètement déphasé. Aucun repère, pas une odeur familière.
Me suis effacé comme d'habitude, je réapparais normalement sans problème. Mais là, trou noir et me voilà dans une forêt qui n'est pas la mienne. Pas du tout la même végétation, des ronces partout, pas la moindre fleur, pas de vert, ni de plantes rares ni de papillons. Juste une forêt menaçante. Pas âme qui vive. D'après mes connaissances, je crois savoir où je suis. Une forêt d'ogres gloutons, de bottes de sept lieues, de sorcières maléfiques.
Pas la moindre trace d'une fée bienfaisante.
Je préfère jouer au croquet avec la dame de cœur, même si elle coupe les têtes un peu facilement.
Je dois absolument me sortir de là.
J'ai du mal à bouger, suis un gros matou flemmard qui manque d'exercice. Apparaître disparaître c'est très simple et ne demande aucun effort physique. Juste un peu de concentration.
Voyons voir, pas facile de se frayer un passage au milieu des ronces inextricables et du bois mort.
Un vague sentier se dessine envahi par des chardons, il est bien là.
éniblement je m'y engage, au point où j'en suis, je vais bien arriver quelque part. Je traine ma bedaine... J'avance avec peine, mes pattes n'ont pas l'habitude, mes coussinets pleins d'épines me font mal.
Je pourrais disparaître, pour me retrouver où ? Je nage dans l'inconnu.
Soudain, une silhouette svelte élégante me fait face .Un chat en cuissarde. Il m'enjambe alerte. À peine un regard.
- Je suis pressé vieux …
Il file.
- T'es sur la bonne route.
Qu'en sait-il ? Il me connait ?
Pas le choix de tergiverser, je continue ... Le sentier s'améliore, bordé de fagots de brindilles.
Je reprends espoir, vais-je retrouver ma forêt ?
Au milieu d'une clairière j'aperçois une maison on dirait un dessin.
Chatoyante, elle a des couleurs acidulées. Je m'approche des volets en pain d'épice... C'est parfait, j'ai faim.
Moëlleux le pain d'épice.
Je croque, je croque tant pis pour ma bedaine...
Grande fatigue soudaine, je m'écroule sur le paillasson en barbe à papa...
Derrière un arbre, on m'observe, aucune bienveillance je le sens.
Il est temps de m'effacer en douceur, la sorcière n'aura pas son civet... Hansen et Gretel viennent de s'échapper.
Elle fulmine.
Le lapin blanc s'est arrêté, il regarde sa montre, le chat du Cheshire a disparu, tout le monde s'affole.
Le lièvre de mars est déjà installé et discute avec le chapelier fou autour de la table, ils sont inquiets.
Au loin Alice s'avance, dans ses bras le chat du Cheshire qui a retrouvé son sourire, à ses côtés les jumeaux, tout le monde est à l'heure pour le thé.
05 - La nuit, je me réinvente
Joëlle Fallot / ATELIER D'ÉCRITURE EN LIGNE DE JANVIER 2022
La nuit vient de tomber, une nuit sépulcrale, « noir de fumée » sans aucune étoile. Plus aucun bruit sinon le léger cliquetis des bateaux de pêche qui se frôlent au rythme de la mer. Ils sont partis !
Je suis allongé sur le sable, noir lui aussi. Ma jambe me fait souffrir, je perçois une large entaille ensanglantée sur mon haut de chausse. Je ne les ai pas vus arriver. Je n’ai rien pu faire, ils étaient trop nombreux.
La tête me tourne. Maudite violence ! Je n’ai que ce que je mérite ! Pourquoi en suis-je arrivé là ? Il ne se passe pas de jours sans que je provoque des rixes, des duels… Je suis allé au tribunal nombre de fois, j’ai aussi testé la prison. Mais rien à faire, je recommence. La violence me dévore. Jalousie, envie, orgueil sont ancrés en moi et nourrissent inlassablement cette colère. Je diffame, j’écris des propos grossiers, j’insulte. J’adore me servir de mon épée, je la porte avec arrogance, défiant sans vergogne quiconque ose me faire de l’ombre. J’y prends grand plaisir, risquant à chaque fois ma vie ! Je défie la mort !
Et pourtant je la bénie cette violence ! Judith, Marie, Lucie, Lazare, Jean et tant d’autres… N’est-ce pas grâce à elle que vous avez pu exprimer tant d’intensité dramatique, montrer tant de mouvements de l’âme ? Vos visages de souffrance, vos terreurs, vos agonies, vous les devez à mon agressivité, à ma colère. Vous avez fait de mes tableaux des œuvres puissantes, ils m’ont apporté la gloire et nourri mon orgueil ! Je vous dois la protection que m’accordent nombre de grands de ce monde, le succès que je rencontre auprès de tant d’artistes. Je deviens un modèle.
Je ressens une urgence inexplicable à creuser ma mémoire, à analyser mon passé pour arriver jusqu’aux racines de cette fureur, de cette hargne qui jaillit jour après jour sans que je puisse la terrasser. Mais pourquoi cette urgence ?
Dois-je chercher une réponse dans mon enfance ? Les morts prématurées de mon père et de mon frère alors que je n’avais que six ans ? Ont-elles engendré une révolte latente qui ne s’est déchainée que beaucoup plus tard ? Est-ce la frayeur de la peste ? Elle faisait succomber tant de personnes aimées. Mon adolescence et mes premières années d’adulte ne furent-elles pas studieuses et paisibles ? Le dessin, les techniques picturales, les œuvres de mes ainés… Ils étaient mon seul univers ! Ma mère ou mes maîtres eurent-ils à se plaindre de moi ? Non, non, je ne crois pas.
J’ai chaud, j’ai froid. Mes membres ne réagissent plus. Je n’ai jamais vécu une telle sensation, même après mes bagarres les plus violentes. La nuit napolitaine semble ne jamais finir. Je n’entends plus le cliquetis des bateaux : la marée doit être basse. Ou est-ce moi qui ne peux plus l’entendre ?
Les pensées se précipitent, se bousculent dans ma tête. Pourquoi ? Mais pourquoi ? Des images défilent, les contours sont flous ! Une façade, oui, une façade d’église ! Des statues de rois ! Puis plus rien ! Où suis-je ? Ma mémoire lutte, s’obstine ! Une chapelle… des tableaux… une grande souffrance… un martyre. Aucun doute ! C’est Rome ! Rome et son cadeau empoisonné : la renommée ! Une renommée trop rapide ! Tout revient à ma mémoire. L’orgueil sommeillait en moi, il a jailli me détruisant tandis que je détruisais sans scrupule mes concurrents, ceux qui me provoquaient. Mon épée devint un troisième bras. Je gis seul sur cette plage. C’est à mon épée que je le dois. Cette épée, symbole de mon ascension. Et objet de ma perte !
Je ne ressens plus rien. Mon obstination à disséquer mon passé a eu raison de mes dernières forces. Vais-je mourir seul sur cette plage, une étape vers mon salut ? Où sont donc mes protecteurs, mes admirateurs, ces femmes que j’ai tirées du ruisseau et que j’ai magnifiées ?
Tout se brouille dans ma tête… je sombre… non, je flotte… Je ne sais pas, je ne sais plus… Que se passe-t-il ? Je chancèle ! Impossible, j’étais à terre ! Je perçois des ombres ! La nuit est moins noire. On parle bas. Des mains tâtent ma poitrine ! J’entends des soupirs. On me soulève, on me transporte. Vers où ? Le Paradis ou l’Enfer ... ?
05 - Calypse à la surface du temps
Jean-Louis Métivier / ATELIER D'ÉCRITURE EN LIGNE DE JANVIER 2022
Les garçons commencent vraiment à m'embêter pour ne pas dire le mot “emmerder”.
Tous les jours ils viennent me voir. Que je sois seule ou non.
Souvent, c'est un garçon seul qui m'aborde, un des classes supérieures à ma 3ème, il me sourit niaisement, engage la conversation, me fait des compliments sur ma beauté supposée et essaye de me proposer un rendez-vous en dehors de l'école, pour un cinéma, un pot dans un café ou une balade dans le parc voisin de l'école, avant de rentrer chez moi.
Ma réponse est non, gentiment d'abord si la demande est polie, fermement s'il y met trop d'insistance en tournant les talons.
La dernière fois c'est Diego, il me poursuit et insiste encore une dernière fois, mais là je ne réponds plus et il est bien obligé d'abandonner sa quête.
Chloé me dit, tu en as de la chance toi, il est mignon pourtant Diego avec sa mèche brune qui lui cache l'œil droit, j'aimerais bien qu'il me demande d'aller au cinéma avec lui, qu'est ce que tu n'apprécies pas chez lui ?
Et je suis obligée à chaque fois de me justifier ou de donner des raisons particulières, vraies ou inventées.
Si elle l'aime tant que ça ce Diego, elle n'a qu'à aller lui dire.
Sidonie me dit que j'ai bien fait, que c'est tant pis pour Diego, il est nul, on le voit venir avec ses gros sabots, mais c'est vrai qu'il est plutôt mignon, j'aime bien sa démarche de distrait qu'il se donne, l'air de rien.
Sophie elle ne dit rien, mais je vois bien qu'elle me regarde avec envie, elle aimerait que Diego vienne la voir, elle n'est pas très belle, avec ses cheveux tirés blonds et son maquillage grossier, mais elle est pourtant adorable avec son petit nez en trompette, et quand elle rie, toute la classe la suit, et s'esclaffe avec elle, elle est très timide mais tellement sensible que c'est tout son corps qui rie. C'est ma préférée avec Chloé.
Tous les jours, qu'il vente ou qu'il pleuve mais le plus souvent quand le soleil met sa lumière sur tous les visages, les garçons sont entreprenants, je ne sais pourquoi, je ne suis pas la seule à être taquinée par leurs assauts mais quand même j'ai l'impression qu'ils m'en veulent un peu trop.
C'est comme si j'étais en haut de la tour de mon château en plein moyen âge ou conte de fée, m'ennuyant en filant de la laine ou rêvant au prince charmant et qu'il n'y ait rien d'autre autour, seulement moi. Tous en bas, en train d'escalader les murailles ; qui à l'aide d'une échelle, qui par un autre moyen ingénieux et tous se bataillent pour être le premier à arriver en haut de ma tourelle, au bord de la margelle de ma fenêtre pour me compter fleurette…
Moi ce qui m'intéresse ce n'est pas les “galants”, ce qui me fait rentrer plus vite de l'école, c'est la lecture.
J'ai un conte et légendes à finir sur le thème des châteaux de la Loire et plus précisément celui de Beauregard avec ses jardins enchantés et ses cuisines aux cuivres étincelants, rien ne me fait plus rêver et vivre vraiment que ce décor et cette histoire d'un autre temps, à l'étage la galerie de 240 portraits de personnages illustres de l'époque m'enchante, je suis l'un d'eux ou d'elle.
Je ne suis pas née à la bonne époque, la technologie m'ennuie, tout va trop vite, pas le temps d'apprécier un chant d'oiseau ou la couleur du soleil à son lever ou encore les forêts environnantes avec leur mythologie et êtres merveilleux, se poser, respirer calmement, tout doucement.
Je m'allonge sur mon lit sans enlever la couverture, bien adossée à mon oreiller de plume d'oie, bien au chaud je plonge dans l'histoire, je reprends mon rôle interrompu de fée, de sorcière maléfique ou d'aventurière.
Là j'existe enfin, je suis dans mon univers fantastique, embarquée dans une aventure extraordinaire, loin des réalités du 21e siècle. La magie opère au quart de tour, je suis vite transportée dans la peau du héros ou de l'héroïne du moment, je n'existe plus en tant que Calypse du lycée St Augustin Thierry de Blois, je deviens Alexandre le Grand, Cléopâtre, Vercingétorix, Merlin l'Enchanteur ou Mme Mim, un des sept nains ou Blanche Neige…
Tout s'efface, au fil des mots que je lis, des phrases des chapitres parcourus, qui petit à petit me font devenir une autre, une actrice au rôle magique, une déesse mythologique, une serveuse dans une auberge, une esclave au temps des pharaons ou des romains.
Il m'arrive aussi de devenir un homme fort et impétueux, un dieu romain ou gaulois qui décide pour toutes ses créatures soumises. Un chef de tribu, un sorcier, un homme des cavernes qui chasse le mammouth et découvre le feu.
Les pages du volume tournent à une vitesse hallucinante, le temps n'existe plus, on frappe à la porte, ça y est, c'est l'heure de descendre pour le diner.
Je quitte mon douillet cocon à regret, je mets une marque dans mon livre pour le reprendre sitôt le repas avalé.
Une bise sur le front de papa et une autre sur la joue de maman et hop, me voilà remontée dans ma chambre où je reprends illico ma lecture.
Ne lis pas trop tard Calypse me crie-t-on de la salle à manger.
Oui d'accord maman, promis, je dis.
Je me blottis dans mon nid douillet, et je commence à rêver.
Ma journée n'existe plus, fini les garçons qui me taquinent, je suis enfin celle que je veux être.
A chaque livre c'est un personnage différent dont je prends la peau, je suis une autre, une super héroïne ou une séductrice de renom.
On me déteste ou m'adore, j'ai le droit de vie et de mort sur certains de mes contemporains, je fais de la politique, je suis une sportive et guerrière amazone, ou Thor le dieu au marteau magique.
Les heures passent dans ma chambre à vitesse grand V, il est bientôt minuit et je n'ai toujours pas sommeil emportée par le fil de l'aventure merveilleuse dont je suis le principal personnage.
Je finis par m'endormir et le livre me tombe des mains, je le retrouve au matin au pied de mon lit.
Il faut reprendre le chemin de l'école, vivement ce soir le moment de connaître la fin de l'histoire.
06 - La nuit, je me réinvente
Julie Crosnier / ATELIER D'ÉCRITURE EN LIGNE DE JANVIER 2022
J’ouvre les yeux. C’est la nuit. J’ai dormi tout le jour. C’est l’heure.
Seront-ils là ? Pourquoi cette nuit ? Pourquoi cette envie ? Ce besoin ? Qui suis-je pour le faire ? Personne n’a osé, pourquoi moi ?
Tant de questions me rongent. Nerveuse, excitée, impatiente ?
Ouvrir les yeux quand les autres les ferment, voilà mon quotidien. Ce n’est pas un choix, c’est ma vie. D’autres l’ont choisie.
Cette nuit, c’est moi qui choisis. Une folie ? Sans doute. Mais il me faut savoir.
Je sors par la fenêtre, sans bruit. Personne ne doit m’entendre ou me surprendre. Quelle excuse trouverai-je ?
L’obscurité a déployé ses ailes sur la ville à cette heure tardive et ne laisse deviner que les silhouettes des monuments. Un paysage de dentelles se laisse capturer. Les voûtes sculptées du palais, les hautes tours cylindriques, les larges fenêtres et leur feuillage moulé. Je saisis l’instant dans ma mémoire.
Je me faufile sur les toits tel un félin. La fraîcheur nocturne et le silence assourdissant m’envahissent. Un vent glacial s’empare de moi mais je ne tremble pas, cela fait longtemps que j’ai appris à dompter les sensations. Le froid ne m’atteint pas. Quelle sensation m’atteindrait ?
En quelques minutes, j’ai quitté les toits et laissé la ville. L’immense forêt se dresse devant moi. Ce n’est pas le moment d’avoir peur. Des géants centenaires semblent m’avaler.
Mes yeux s’habituent peu à peu à cette nouvelle noirceur. Aucune lumière humaine ne vient troubler le calme des bois. J’avance d’abord à tâtons, effleurant l’écorce de chaque arbre du bout de mes doigts puis mes pas deviennent plus sûrs. Zigzaguer au milieu de ces colosses, un jeu d’enfants.
Ma démarche est encore trop humaine je fais craquer chaque branche, chaque feuille. Même les chouettes semblent s’agacer de l’intrus que je suis. Si je ne veux pas que mon excursion soit vaine, je vais devoir être plus prudente.
Faire un avec la nature. Écouter et devenir ces bruissements nocturnes.
Un bruit de sabots, un hululement, un hurlement lointain. Un canard, ses ailes sur le lac. Une grenouille qui lui répond. Mes pensées se perdent…
Je reprends ma lente avancée. Déposer délicatement le talon sur le sol et veiller à faire le moins de bruit possible. La clairière est encore loin et je n’ai pas le droit à l’erreur. Finies les distractions. Je dois me concentrer. Inspirer profondément, laisser l’air pénétrer les poumons et recommencer.
Pas après pas.
Je ne suis plus qu’une ombre.
Le mulot qui passe sous mes pieds ne s’occupe même pas de moi.
Je suis devenue invisible aux yeux du peuple de la nuit.
Furtivement, je poursuis.
La clairière est là devant moi.
J’ai réussi !
La lune n’est pas encore à son zénith, il me reste quelques minutes... Je me cache derrière un épais buisson et j’attends. Que vais-je voir ? Seront-ils là ? Une flamme danse au loin et s’approche doucement. Je retiens ma respiration. Je calme le moindre mouvement de mon corps. Tapie dans le noir, je disparais.
La lumière n’est plus qu’à quelques pas de moi mais je ne parviens pas à les distinguer. De hautes fougères obstruent la vue. Je concentre mon regard et écarquille les yeux pour essayer …
De voir ! Au lieu d’avoir une vision nette, je vois de moins en moins bien. Du brouillard ? Non le ciel est clair. Je cligne des yeux … plus rien. Le noir complet et un silence total.
Pour la première fois, la peur s’empare de moi. Un frisson parcourt mon corps. Comment ? C’est impossible. Après tout ce temps, ces efforts... Mes pensées s’embrouillent. Je ne devrais rien ressentir.
Ne pas bouger. Viens nous rejoindre. Ne pas se faire remarquer. Nous savons que tu es là. Ignorer. Viens danser avec nous.
Un souffle sur ma nuque. Ignorer. Ignorer. Ignorer. Un nouveau spasme. Plus fort. Je frissonne. Un fourmillement qui descend le long de la colonne. Je ne tiens plus. Un tremblement incontrôlable s’empare de mon corps. Je sens mon cœur battre dans mes tempes.
Le silence se rompt.
Petit animal caché,
Nous t’avons débusqué.
A vouloir nous voir
Tu as fini dans le noir
Retiens bien la leçon
La prochaine fois ce ne sera pas la même chanson….
Un rire strident suivi de dizaines d’autres. J’ai l’impression d’être encerclée. Les pas se rapprochent. Je sens un nouveau souffle sur ma nuque. Je suis pétrifiée. Mes muscles ne me répondent plus. Une douleur indomptable déchire tout mon corps comme si tous les os se brisaient.
Un cri bestial s’échappe de la forêt…
Un flash.
J’ouvre les yeux. Une sensation étrange. Mon lit ? Mon lit !
Encore ce rêve. Pourquoi toujours ce rêve ? Je ne vais jamais au bout. Je... Je... j’essaie de me souvenir mais tout semble s’effacer.
La forêt... et plus rien...
Pourquoi la forêt ? Pourquoi à chaque fois tout s’estompe et disparait.
Et pourquoi vouloir les voir ? Les ? Qui ? Quoi ?
Une douleur dans la nuque. J’ai le corps tout engourdi. Je m’étire et passe mes mains dans mes cheveux. Une feuille prise dedans.
Une feuille d’où vient-elle ? La forêt ? Mon rêve ? La réalité ? La forêt ?
Tout tourne.
Non, c’est impossible. La forêt la plus proche est à plusieurs dizaines de kilomètres. Je n’ai jamais été somnambule.
J’ai chaud. J’ai froid. Un frisson. Une douleur au creux de la poitrine. Je dois me calmer. C’est n’importe quoi. Un rêve. Un songe. Une hallucination. Un onirisme...
Et si tout était vrai ? Il faut arrêter de penser. Il est tard. Bientôt minuit. Il faut dormir. Demain est une longue journée. Je perds la tête. Mes pensées s’emmêlent.
Et si... si ? Non, non c’est impossible. Eteindre les pensées parasites.
Compter comme dans l’enfance. Un mouton passe la barrière. Non, ce n’est pas possible. Je dois me concentrer. Deux moutons passent la barrière. Trois moutons. Quatre. Cinq. Dix. Cent. Rêver les yeux ouverts. Mille. Vivre un rêve éveillé. Mille et un... Rejoins-nous...
J’ouvre les yeux. C’est la nuit. J’ai dormi tout le jour. C’est l’heure. Encore ce rêve…
07 - 41 rue molière, appartement 35, paul
bruno / ATELIER D'ÉCRITURE DU 15 JANVIER 2022
La nuit, j’rêve, j’repense à ce que j’ai fait aujourd’hui. J’ai été me promener en ville et j’suis rentré, seul. J’ai allumé la télé pour regarder j’sais-pas-quoi. J’me suis endormi devant la télé, dans le fauteuil. J’me réveille, j’regarde l’heure. 20h. Faut que j’mange ! J’prends mon temps pour savourer mes carottes râpées. Ça rend aimable ! J’me fais un steak haché-haricots verts. Après, fromage, yaourt-nature-avec-un-peu-de-suc’. J’me remets devant la télé, j’regarde le foot. Pi j’vais me coucher dans mon lit.
J’rêve, j’repense à ce que j’ai fait aujourd’hui. J’voudrais changer de vie ! Vivre dans un pays chaud, l’Espagne ou le Portugal… J’regarde pour louer un logement, j’trouve une maison. Petite : une chambre, une cuisine, une salle de bain, un salon et un jardin avec des arbres, des pommes. J’ai gagné au loto, j’peux me payer ce que je veux ! Une voiture, des voyages, des vêtements, un nouveau look…
Teuh, teuh, teuh
Je tâtonne avec le bras tendu mais j’trouve pas ma bouteille, c’est le réveil. Le réveil, rond, tombe. Il a fait Ding, il est pas cassé. Ma main repart à la recherche de la bouteille. J’l’ai trouvé ! Elle est pas tombée. La bouteille en plastique, tchouk, entre mes doigts. J’bois un coup parce que ma gorge est sèche. L’eau tempérée fait du bien. Faut refermer la bouteille et la reposer par terre.
J’me rallonge, j’retourne à mon sommeil, à ma maison en Espagne. Il y fait chaud, les tableaux sur les murs reflètent le soleil des lieux. Y’en a sur tous les murs, pas de place pour le vide. J’enfile mon nouveau jogging et j’pars au foot. J’me suis payé le club du village et j’suis devenu l’entraineur en chef ! A la fin de ma journée j’rentre chez moi me préparer un bon petit plat. Mais avant de diner, j’passe sous ma douche à multi-jets de massage. Chhhh. J’me sens enfin bien dans la tête et dans le corps. L’avenir s’ouvre devant moi avec tous le sous du loto. Je me suis fait plein d’amis, une nouvelle vie commence. C’est la mienne, celle que j’ai choisi !
Dring, dring
Le réveil sonne. 7h. Faut que j’me prépare pour aller au travail. Une journée dans la boite de fabrication de masques chirurgicaux qui m’a embauché y’a 3 semaines, m’attend.
08 - 41 rue molière, appartement 31, Patrick
Alain / ATELIER D'ÉCRITURE DU 15 JANVIER 2022
Depuis quelques nuits je fais des cauchemars, je me réveille en panique avec une impression de vide, j’ai peur du noir… A chaque fois c’est la même chose, cette impression de me réveiller d’une opération. C’était il y a un an, un AVC mais je me suis réveillé. C’était un réveil étrange, un rêve, je n’avais plus de repère. Je suis ici, non je suis ailleurs… Mais je suis où déjà ? Et il y avait ce silence entrecoupé des bruits de porte, des bruits de pas qui résonnent, le bruit des machines, la nuit de la solitude.
Aller boire un verre d’eau, je ne trouverai plus le sommeil. Regarder la nuit, ça je connais, j’ai l’habitude. Regarder le mouvement des nuages, les étoiles et les lumières des avions. Regarder les ombres des arbres, les ombres des passants. Ecouter le bruit des feuilles, le silence. Entendre les sirènes, essayer de deviner… Penser aussi aux gens qui dorment dehors dans le froid, sous la pluie. Penser à ceux qui travaillent, au boulanger.
Et puis le jour se lève. Une journée revient, plein de surprises.
09 - 41 rue molière, appartement 34, Lucia
Karine / ATELIER D'ÉCRITURE DU 15 JANVIER 2022
Il est bientôt 22H. Je tends l’oreille vers la chambre des garçons avec l’espoir qu’ils se soient enfin endormis. J’entends surtout mon voisin Patrick qui doit faire sa vaisselle. Envie de m’évader…j’éteins les lumières du salon mais je garde ma petite liseuse pour éclairer mon tricot. Mes mains vont travailler un peu, cela aidera ma tête à partir.
A chaque évasion je retourne toujours près du lac, une petite demi-heure avant le lever du soleil, histoire de partager un chaï avec Kishore, de griller une clope, être aux premières loges quand Pushkar se réveille. En quelques minutes la place du Chai Shop quasi déserte jusqu’alors s’anime….
Un bruit de chasse d’eau me ramène brutalement ici, à mon tricot, dans l’appartement 34 de la rue Jean de la Fontaine. Martine et Philippe, mes voisins du dessous, se disputent bruyamment sur le balcon…difficile avec ce fond sonore de retourner à Pushkar.
Mettre de la musique pour couvrir les voix…repartir près du lac. Peut-être aller du côté du campement d’Indra cette fois. En rêve c’est toujours mieux, en rêve j’y suis à l’aise comme un poisson dans l’eau, on rit beaucoup, on chante à tue-tête « le coq est mort, le coq est mort, il ne dira plus cocodi cocoda ! ». Une étrange sonnerie s’invite dans la chanson, il me faut une seconde pour réaliser que quelqu’un sonne à ma porte, il me faut quelques secondes pour quitter mon cocodi cocoda.
C’est Ishane ma voisine de palier, elle me tend mon trousseau de clé que j’ai encore laissé dans la serrure !
Ce n’est pas facile de voyager ailleurs que dans la rue Molière ce soir. Je tente une dernière fois, j’abandonne mon tricot, je m’allonge et je ferme les yeux. Le lac est là, magnifique de quiétude…il se fait miroir…Les lumières, les couleurs et les prières pour Brahma m’enivre…Pushkar tu m’ensorcelles !
10 - 41 rue molière, appartement 37, Louise
Gabrielle / ATELIER D'ÉCRITURE DU 15 JANVIER 2022
Moi, c’est Louise, secrétaire administrative dans un grand groupe que je ne nommerai pas. Tailleur obligatoire, horaire et emploi du temps à respecter à la règle. Suivre les directives, les protocoles, les procédures, c’est mon quotidien ! Mails, courriers, changement de planning, classer, contacter les clients, les fournisseurs, trouver une solution, organiser et réorganiser à nouveau encore et encore. Une pause ? Non, inimaginable, on avance toujours : une deux, une deux, comme à l’armée. On ne doit pas perdre de temps, le temps c’est de l’…
18h30, sortie du travail ; je termine à 17h mais mon patron devait finaliser un dossier urgent, comme souvent ces derniers temps.
Retour en métro, ligne B, encore 25 minutes de trajet et je suis chez moi.
J’habite dans un immeuble, dans une ville magnifique mais que je ne vois pas.
Ma journée se termine, je rentre enfin.
A la sortie du métro, le vent glacial caresse mon visage. Un frisson envahi tout mon corps, l’odeur du froid sec et parfumé s’infiltre dans mes poumons. Je prends une grande inspiration, ce froid qui me pénètre me fait du bien, apaise mes tensions me rappelant mes longues promenades hivernales avec mon grand-père dans la montagne. Les Pyrénées, mon havre de paix, la sensation de liberté et d’évasion portée par l’air pur des hauts sommets enneigés.
Arrivée au pied de mon immeuble, je prends un moment, la nuit vient de tomber, il fait froid mais le ciel est dégagé et j’arrive à voir quelques étoiles. J’inspire à nouveau profondément, finissant de me libérer de cette oppression que j’ai ressentie toute la journée, toute la semaine, car oui j’avais oublié de le préciser c’est vendredi soir.
La beauté de ce spectacle lumineux me fait un bien fou, m’apaise, libère mes pensées et puis je bascule, cette oeuvre d’art lumineuse grandiose et féérique me transporte dans un autre monde, celui des souvenirs.
C’est ce qu’il me fallait un moment de calme, un moment pour moi-même, même s’il n’a duré que quelques secondes. Je me sens sereine et enthousiaste maintenant.
Mon grand-père est là près de moi dans son chalet près du pic du midi, nous venons de rentrer d’une longue promenade dans la neige, j’ai 15 ans. Nous sommes gelés mais heureux, l’air pur a été revigorant et les paysages à couper le souffle. Et maintenant place à notre petit plaisir, la tasse de chocolat chaud à la cannelle au coin du feu, sous un plaid, provenant surement d’un héritage familial : que du bonheur.
Papi, ce soir je vais me faire plaisir, c’est décidé ! Ce cours passage dans mes souvenirs m’a redonné de l’énergie.
Je monte les trois étages de mon immeuble et me dirige vers mon appartement, mon sanctuaire. Je prends le couloir de gauche, devant la porte 307 de mon appartement, je m’arrête, je cherche les clés dans mon sac, toute une épopée, je les trouve enfin et j’ouvre la porte.
Ça y est je suis libre, plus d’ordres, plus de contraintes, plus rien ne m’est imposé, je referme à clé la porte derrière moi. Enfermée dans mon appartement et LIBRE. Je tique, je laisse s’envoler cette pensée, je suis déterminée à rester positive.
Je me dirige donc vers ma chambre, je me change, je me mets à l’aise : ma tenue pilou pilou des grandes occasions aves des dessins de montagnes si chères à mon coeur (pas très glamour je vous l’avoue mais tellement confortable, mais que cela reste entre nous bien sûr !).
Je sors de ma chambre, je vais directement dans la cuisine. Ce soir c’est cuisine maison ! Le self du travail et moi on ne s’entend pas très bien ; carottes en carton, viande et bien sans viande, dessert parfum chimique sans saveur. On se croirait dans un laboratoire expérimental où les aliments ont été créés artificiellement mais où visiblement le gout n’était pas une priorité ! Machez, machez, le carton aime être mastiqué, ingéré et transformé mais quelle drôle d’idée de vouloir qu’il soit apprécié ! Mince je deviens sarcastique, je me reprends.
J’ai besoin de m’évader, de ressentir, de vivre mes émotions. En un temps record je répare mon risotto crevettes, coquilles saint jacques et ses petits légumes. Les odeurs viennent chatouiller ma mémoire olfactive, les effluves me transportent dans un autre temps, une époque où l’on prend le temps de vivre, de partager et de tout simplement s’assoir autour d’une table en famille.
J’entends les cris de joie de mes cousins quand ma grand-mère apporte tous les plats à table : risotto de la mer, poulet farci aux olives, tarte quatre saisons, farandoles de légumes grillés et ces fins batônnets de pommes de terre dont nous raffolons tant nous les enfants. C’est un jour de fête, le partage autour d’un bon repas rempli la maison d’un bonheur immense et communicatif. Et puis sans que cela ne se remarque, les desserts envahissent sournoisement la table, je n’ai plus faim depuis un moment mais je succombe à leurs charmes : tarte tatin, sablés maison au chocolat et gâteau à l’ananas caramélisé. Ce gâteau est mon péché mignon fondant dans la bouche emportant avec lui une ribambelle de saveurs exquises pour mon plus grand plaisir.
Et là je reviens à la réalité, je souris car après mon risotto, le gâteau de ma grand-mère que j’aime temps m’attend dans le réfrigérateur ; pour être plus précise l’ultime part, rescapée d’une visite imprévue de mes deux frères hier soir.
Je termine mon repas, le gâteau n’est plus ; je pourlèche le bout de mes doigts pour prolonger et profiter une toute dernière fois de ces saveurs que j’aime tant car elles me font voyager dans les lointains souvenirs de mon enfance. Apres avoir desservi la table basse sur laquelle j’ai profité de ce bon repas aux souvenirs, je m’installe confortablement dans mon canapé et je prends un livre que j’ai acheté le weekend dernier aux puces.
Je me détache de mon quotidien, je prends mon envol et m’embarque dans la lecture de ce livre où l’imaginaire me transporte dans un monde où tout est possible. Ce recueil me plonge dans un monde ancien, d’un autre temps où les personnages étranges mais attachants se rencontrent de façon improbable. Un lieu hors du temps où chacun apporte sa part de mystère faisant de cette histoire une romance qui né, qui souffre, se perd, se retrouve, lutte pour finalement s’épanouir. Je m’identifie au personnage principal, je vis sa vie, je ressens ses émotions, je suis tour à tour, triste, frustrée, angoissée, intriguée, en colère, joyeuse. Les émotions que je ressens me font me sentir vivante. J’ai terminé mon livre, la fin est arrivée trop vite, bien trop vite et pourtant j’avais hâte de découvrir le dénouement de cette romance, quel paradoxe. Je suis bien même si en moi cohabitent plusieurs sentiments : la satisfaction de connaitre la fin de l’histoire et la frustration que cela soit déjà terminé. Mais comme toujours je ne peux m’empêcher de penser, de rêver un épilogue à cette histoire. Il est une heure trente du matin, je vais me coucher, me blottir sous la couette de mon lit si accueillant. Mon esprit continue de vagabonder ; je reste enfermée dans l’histoire de mon roman, de mon plein gré, je la laisse vivre, je l’alimente même de tout un tas de pensées qui se bousculent dans ma tête. Et sans m’en rendre de compte je glisse dans les bras de morphée mêlant mille et un souvenirs d’enfances, mon roman tel un conte oriental, et fantasmant une vie où tout se réalise car finalement rien n’est inaccessible surtout pas dans les rêves.
11 - La parole me sauve
jean-Louis Métivier / ATELIER D'ÉCRITURE EN LIGNE DE FÉVRIER 2022
Je suis dans du coton, tout est blanc ici, comme au paradis, je flotte sur un nuage. Ou mieux je vole sur un tapis magique au pays de Shéhérazade, j'espère que je ne vais pas rester ici mille et une nuits.
La jeune femme qui me parle doucement me demande si j'ai mal, je lui fais voir mon genou douloureux. Un bleu énorme cache mon articulation blessée.
La dame en blanc me dit que le voisin a appelé les secours immédiatement.
Aucun son ne sort plus de ma bouche. Je ne suis pas sure d'avoir eu le temps de crier au moment du choc frontal. Depuis l'accident, plus de voix. Par contre j'entends très bien.
Elle me rassure et me dit que ça va bientôt revenir, c'est souvent le cas lors d'un accident, c'est un choc post traumatique.
Je préfèrerai qu'elle me branche le poste de télévision, mais je ne sais comment lui demander.
- Tu veux que je te raconte une histoire ou tu veux regarder la télé ma petite ?
Je lui fais voir avec mon doigt, l'écran fixé au mur.
- Quel est ton prénom ?
H-A-Z-A-D-E je griffonne sur sa tablette.
- Tu t'appelles Hazade, et ta maman, où elle travaille ?
Je dessine un balai avec une dame et un tas de poussière.
- Ah elle fait des ménages ta maman, je vais la prévenir, elle va bientôt passer te voir ma chérie. Le docteur va t'ausculter dans quelques minutes, tu veux un jus d'orange ?
Je lui fais signe que oui de la tête.
- Reste tranquille, Hazade, je vais te chercher ton verre. Regarde le dessin animé en attendant.
La jolie dame s'en va et ferme doucement la porte, le dessin animé qui s'affiche sur la télé du mur est un Tom et Jerry, j'adore la petite souris, toujours plus futée que le chat Tom à qui il arrive tout un tas de blagues.
Mon genou me fait moins mal maintenant, mais pourquoi suis-je ici, j'aimerais bien parler et poser toutes ces questions comme d'habitude.
Pourquoi je ne peux pas articuler des sons ? Je vais essayer de crier pour voir.
Non rien ne sort, je vais demander des bonbons au miel, comme ceux que me donne maman.
La souris a réussi à prendre le morceau de fromage sur la tapette, elle se régale.
Au milieu de l'histoire la porte s'entrouvre, c'est un monsieur tout en blanc aussi qui rentre.
- Bonjour Hazade, je suis le docteur Marcus, comment vas-tu ?
Je hausse les épaules et lui fais voir mon genou toujours aussi bleu.
- Ah oui, et tu ne veux pas me parler plutôt ?
Je lui fais comprendre par mime que je ne peux sortir un son de ma bouche.
- Tiens c'est bizarre, tu ne peux plus parler, aurais-tu oublié tes cordes vocales sur ton vélo ?
Je hausse encore les épaules en signe de désappointement.
- Hazade, fais moi voir cette gorge, ouvre grand la bouche s'il te plait.
J'ouvre le four en grand pour Marcus, il doit vouloir regarder si quelque chose ne bloque pas mon timbre de voix.
- Je ne remarque rien d'anormal, souffle fort, je vais écouter tes poumons avec mon stéthoscope sur ta poitrine, attention il est un peu froid.
Mais pourquoi veut-il écouter mon souffle, c'est au genou que j'ai mal…
- Hazade, tout est OK au niveau respiratoire. Je vais chercher mon collègue qui s'occupe des petites filles comme toi, c'est Ali, tu vas voir il est très drôle. À tout à l'heure.
Marcus referme la porte, Tom vient de se prendre une boule de bowling sur la tête, il est maintenant tout aplati, mais il s'en sort toujours. J’attends avec impatience la venue de Ali, j’ai bien envie de rire avec quelqu'un de vrai.
3 épisodes de Tom et Jerry après, un “toc toc” se fait entendre, personne ne répond, “re-toc toc” et après 5 secondes la porte s'ouvre.
Ali en blouse blanche sourire aux lèvres articule un joyeux :
- Bonjour Hazade.
Il est fort étonné, je ne lui réponds pas.
Le docteur s'approche de moi et vient poser sa main sur la mienne.
- Pourquoi ne parles tu pas Hazade ?
Je lève mes mains au ciel, mes lèvres ne bougent pas.
- Et ton genou, tu as moins mal ?
J'annone un “Heum”.
- Tu sais Hazade, dès que tu marches, on refait un petit tour de vélo dans le parc ensemble, tu veux bien ?
Je fais un signe vertical de la tête.
Ali, on dirait un prince des mille et une nuit, je volerais avec lui sur son tapis magique.
On survolerait la maison de maman et je lui ferais coucou avec ma main, elle ne me remarquerait pas, alors Ali crierait bien fort pour qu'elle nous remarque.
Ça y est, elle nous verrait, elle nous ferait un grand coucou avec des mouvements de bras.
Ce serait confortable un tapis magique, il ondulerait, on ne sentirait pas le vent ni le froid, ça pourrait aller très vite.
Ali, il conduirait très bien, il aurait eu son permis de voler à Bagdad.
Il m'emmènerait en direction de l'Est, l'Orient mystérieux et coloré.
Il serait capable de réaliser de beaux loopings et nous ne tomberions pas.
On survolerait le lac de Genève, tout doucement, comme pour observer le grand jet d'eau au bord de la capitale. Et on volerait, on volerait tous les deux. Mon prince et moi, pour toute la vie, on s'aimerait…
12 - TA VOIX TE SAUVERA
JULIE CROSNIER / ATELIER D'ÉCRITURE EN LIGNE DE FÉVRIER 2022
Deux minutes. Il ne reste que deux minutes pour que cet enfer se termine. La pendule affiche les secondes. Une minute. Rien qu’une petite minute. De minuscules cris, à peine audibles. Les derniers. Dix secondes. Neuf secondes. Huit secondes. Sept secondes. Six secondes. Cinq secondes. Quatre secondes. Trois secondes. Deux secondes. Une seconde…
« Nous sommes une vingtaine de personnes dans la salle. Tous d'âges différents. Tous, nous avons reçu un drôle de message vocal qui disait “ Le silence est d'or, la parole est d’argent. Serez-vous le dernier ? “ .
Un nouveau concept pour gagner de l’argent. Devenir riche en parlant. Facile.
Je suis installé debout face à une tablette comme les autres candidats. Sur celle-ci un téléphone. La salle est vide à l’exception d’une horloge et d’un haut-parleur. La seule ampoule qui éclaire la pièce est d’un blanc froid comme les murs.
Les personnes autour, je ne m’en occupe pas. Nous sommes les uns contre les autres. L’homme est un loup pour l’homme. Je ne suis là que dans un but...
Le silence s’installe. Une voix sort du haut-parleur et donne les consignes suivantes : “ Vingt-quatre heures pour parler ou se taire à jamais. ” On nous a ensuite demandé de prendre les téléphones et de ne plus raccrocher quoi qu’il arrive. Un compte à rebours s’est affiché sur les tablettes. Le haut-parleur a donné l’ordre de parler. “ Le silence est d’or, la parole est d’argent. ”
Ensuite, la première heure s’est vite écoulée. Je parle dans le vide, avec le téléphone à l’oreille sans interlocuteur. Au bout d’un moment, je vois une personne se taire et s’effondrer. Je continue à parler sans m’arrêter. De quoi ? De tout, de rien. Juste pour tuer le temps. Deux heures après plusieurs autres tombent. Je continue à parler. Au bout de douze heures, on est plus que dix. J’ai juste compté. A vingt heures, on est huit. Je continue à parler. Les autres, je ne sais pas. Je ne m’occupe que de moi. Ah si, une fille s’est mise à pleurer. Elle n’a plus de voix. Elle tombe la sixième. Quand vous êtes arrivés, on était combien ? Trois ou quatre. Je ne sais plus. Ce qui s’est passé ? Je pense avoir gagné. J’ai tenu les vingt-quatre heures. »
« Je suis arrivée à l’adresse indiquée. On m’a bandé les yeux. J’ai commencé à avoir peur. Quand j’ouvre les yeux, il y a vingt personnes. Des hommes et des femmes. Je les regarde tous. Je vois dans leurs yeux une sorte de sympathie. Tous ? Non la plupart. Un d’eux. Un homme qui est à ma droite, trois personnes plus loin, il semble impassible face à cette ambiance angoissante. (Pause) J’ai l’impression de le connaître mais il fuit tous les regards. Nous sommes tous devant des tablettes, comme si nous attendions notre jugement. La lumière est aveuglante... (tremblements – voix qui se casse) Je suis désolée... en parler... c’est difficile.
(Grande respiration) La première heure, ça a été. Tout le monde parle dans son téléphone sans personne au bout. On se croirait dans un dialogue de sourds. Je n’aurais jamais pensé que parler serait aussi difficile. Et après... c’est devenu horrible. Je m’en souviendrai toujours. L’horloge affiche une heure, trente-huit minutes et dix secondes. Oui c’est très précis. La première victime s’effondre. Un homme assez âgé, il a une quinte de toux et plus rien. Un cri retentit à côté de lui et la femme qui vient de le pousser s’écroule à son tour. Des dominos maudits. Je comprends à ce moment que se taire juste un instant, c’est mourir.
Les heures suivantes... (Sanglots étouffés) je parle sans relâche. Ma gorge est sèche, je voudrais tousser ou boire...rien qu’une gorgée. Mes jambes flageolent. Je suis un pantin entre les mains de la mort. Le brouhaha est intenable. Je n’ai jamais eu aussi peur du silence. Je ne pense pas m’en sortir. Les deux dernières minutes. Ce sont les pires. Nos voix ne portent plus. Un murmure comme un fil de vie.
Je n’ai rien vu. J’ai fermé les yeux rapidement. Voir le désespoir et la terreur sur le visage des autres, je ne peux plus. Ce qui se passe. Je ne sais pas. J’entends les corps s’écouler. Je ne peux plus les voir. Cette souffrance... C’est inhumain.... Pourquoi moi ? Pourquoi nous vingt ? Je ne sais pas ? Je ne comprends pas...
Les autres, je ne les connais pas, enfin ils ne me semblent pas familiers (moment de réflexion) ... A part cet homme... Oui celui qui fuit les autres. Lui, je suis sûre de l’avoir déjà vu. Ce regard glacial. On ne l’oublie pas.
Je m’en suis sortie. Je ne sais pas comment. Je... je ... je suis épuisée. Est-ce que je peux partir ? »
Il ouvre le journal avec un rictus : « Jeu macabre : Le silence est, dors ! La parole est d’argent. » Parler pour ne pas mourir : étrange jeu auquel ont été contraints de participer vingt personnes.
Les policiers ont découvert seize corps dans une salle sans caméra. Tous, un téléphone brisé à côté d’eux. Les survivants ont été interrogés. Voici la déclaration de l’inspecteur de police en charge de l’enquête : « Cette froideur, cette mise en scène. Tout est calculé. Au vu de la théâtralisation, l’assassin était dans la salle. Un psychopathe calculateur et froid. Il voulait voir de ses propres yeux et se délecter du désespoir de ses victimes. L’enquête est en cours pour déterminer les motivations du tueur. " »
Il referme le quotidien et prend son téléphone :
- Bien joué, personne ne te soupçonne. Tu as bien fait d’intégrer à ce jeu cet homme. Il est le parfait meurtrier.
À l’autre bout du fil, une voix féminine éclata d’un rire cynique :
- Je te l’avais dit. Je suis une vraie tragédienne ! Ils t’ont laissé pour mort sans décrocher leurs téléphones, leurs téléphones les ont menés à leur mort.
13 - MAUVAIS DIMANCHE
AGATHE LOULA / ATELIER D'ÉCRITURE EN LIGNE DE FÉVRIER 2022
Qui dit être debout à 9h du matin un dimanche, dit mauvais dimanche. Qui dit grasse mat’ et ptit-dej à midi, dit bon dimanche. Et là, moi, assise sur mon canap’ à 8h30, je passe un mauvais dimanche. J’ai rien de prévu. Pas de repas familial chez Tati Claude, pas de messe à 11h, pas de gros dossier à rendre demain, rien. Juste la cuite de la veille à passer. Et mon foutu réveil à régler la semaine prochaine. J’aurais pu rester au lit, mais quitte à être réveillée, autant que ce soit devant ma télé, emballée dans mon plaid, un bol de chocapic sur les genoux, la Pat’Patrouille à fond, avec le chat qui ronronne étendu sur le coussin à côté. Pour autant, tout ça ne me fait pas oublier la gueule de bois qui me lance. Même la Pat’Patrouille devient incompréhensible, même les chocapics ont mauvais goût, même le plaid ne suffit pas à me réchauffer. Si seulement je pouvais l’oublier, cette douleur qui tambourine dans ma tête. Attends. Qui tambourine ? Hein ?
Je me réveille en catastrophe. Le bol est explosé au sol, les céréales barbotent dans le tapis, le chat boit le lait et de grands coups se font entendre. Les tambourinements. On tente de défoncer la porte. Elle n’est pas loin de céder d’ailleurs. La panique monte. La vue brouillée et le corps lourd, je sors du plaid, enfile à la va-vite mes chaussons et cours jusqu’au couloir. Arrivée sur le palier, pas le temps d’atteindre le judas, je suis projetée au sol. Et sans que je puisse bouger, deux hommes, cagoules et combinaisons noires, pénètrent chez moi. Le plus grand me saisit par les cheveux, me plaque contre le parquet et m’hurle de la boucler si je veux rester en vie. J’obéis, les larmes montantes. Il me soulève ensuite par la taille et rejoint son collègue dans le salon où une chaise a été placée en son centre. Putain, ils vont me faire quoi ? Pas le temps de se demander qui ils sont, pourquoi ils sont là, la peur prend le dessus sur la raison. Il me laisse tomber sur le siège, lourdement, me plaque les bras derrière le dossier et commence à me les nouer avec la corde rêche qu’il vient de sortir de son sac. L’ambiance est lourde, seule leurs respirations fortes, mes sanglots et le générique de Bob l’éponge se font entendre. J’ai jamais aimé Bob l’éponge. Et je vais mourir sur ça. Mauvais dimanche. « C’est bien toi Sarah ? » Quoi ? Le deuxième, celui qui m’a ligotée, enchaîne. « C’est toi salope ou pas ? » Première gifle. Ma joue chauffe, mon cœur se met à pulser, les larmes coulent. Je réplique, la voix tremblante. « Tu lui veux quoi à Sarah ? » Un soupçon de stupeur traverse leur regard. J’ai fait mouche. « Attends t’es pas Sarah ? Putain Jy ! C’est pas elle ! Oh mamamia Jy c’est pas elle ! Mais nom de Dieu on a fait quoi ? On va faire quoi ? Putain Jy ! » C’est moi où il panique le bougre. Le plus calme souffle, regarde son comparse geindre en tournant en rond et me dit :
- Elle est où ?
- J’en sais rien.
- C’est qui pour toi ?
- Une voisine, sans plus.
- Une voisine ? On est pas au 53 rue du Moulin ?
- 53 bis. Chez moi c’est le 53 bis rue du Moulin.
Abrutis. Il recule, cherche son collègue du regard, fait un demi-tour avant de le voir dans le coin de la pièce, se frappant le crâne sur le mur blanc. Merci mec mais j’ai pas besoin d’un revêtement rouge en fait. Le tas de muscle l’attrape par l’épaule et le retourne. Il semble tenter de le calmer en murmurant quelque chose d’inaudible. Leurs épaules commencent à bouger en rythme, leurs respirations accélèrent. Ils font des techniques de respirations les cons ! Ils se rapprochent, d’une démarche souple et rapide. Je tente, nerveusement de leur poser des questions, je veux en savoir plus. Le plus petit déballe son sac, d’une voix aiguë qui me cingle les tympans. Je n’entends pas tout, concentrée sur le second, qui me scrute du regard. Seul le mot « vengeance » me parvient. Il est arrêté par son compagnon au bout de quelques secondes, une éternité quand tu es ligotée à une chaise dans ton propre appartement avec deux inconnus cagoulés et une porte éclatée.
- C’est quoi ton nom ?
- Clara.
- Adieu Clara.
J’acquiesce en silence tandis qu’il sort un couteau pour défaire mes liens.
- Ne bouge pas avant qu’on soit parti. Tu bouges, t’es morte.
Nouvel acquiescement. Ils reculent jusqu’au couloir avant de passer la porte et dévaler les escaliers en courant. La porte du hall claque, les moteurs de leurs motos rugissent, ils ne sont plus là. Je souffle fort. Je dois me barrer. Ils vont pas tarder à comprendre. Ils vont revenir. D’une minute à l’autre. Ils ont peut-être déjà compris. Je dois me barrer. Et vite. Très vite. Parce que Sarah, c’est moi. Et que cette fois, je vais morfler.
Y a pas à dire, mauvais dimanche.
14 - LA PAROLE ME SAUVE
ANONYME / ATELIER D'ÉCRITURE EN LIGNE DE FÉVRIER 2022
Depuis l’enfance, j’aime bavarder.
D’abord c’était avec mes amies Annie et Claire sur le chemin de retour de l’école primaire: comme la durée du trajet ne suffisait pas à étancher la soif de nos discussions, on se raccompagnait mutuellement jusqu’au moment fatidique de 18 heures. Bavardages sur de multiples sujets, la journée de classe qui venait de s’écouler, celle du lendemain, le travail à effectuer à la maison, la maîtresse, les autres camarades, la cantine, la récréation, les vacances, nos familles...
« Tu as su faire le problème de calcul ? La maîtresse a été trop sévère. Le déjeuner était bon aujourd’hui. Où pars-tu en vacances ? Ma tante m’a acheté un déguisement. Mon petit frère est malade, je voudrais bien aller chez mes cousins...» Tout notre quotidien en somme, de la plus haute importance bien sûr.
Je suis persuadée que c’était une seconde partie de la journée, une étape nécessaire avant d’arriver à la maison, dont je garde le doux souvenir de légèreté, de complicité et de rire, même si certainement des fâcheries ont dû se produire. Échanger sur le quotidien immédiat ou plus éloigné réconforte et rassure. Et prépare gaiement le lendemain.
Je comprends, car je le ressens encore aujourd’hui, ce besoin de raconter, questionner, partager mes pensées, mes sentiments, mes opinions, mes projets et mes souhaits. Je pense que j’étais aussi heureuse de connaître les idées de mes amies, leurs réactions face à tel ou tel événement.
J’ai continué ainsi les années suivantes, au collège et au lycée avec d’autres amies (déménagement oblige) puis à l’université et dans ma vie d’adulte. Et aussi en famille, avec mes cousins et cousines. Avec le temps, les sujets évoluent, je parlais d’amourettes, de métier futur... Je me reconnais dans cette continuité de parole en dehors du cercle de famille très proche et en éprouve encore les bienfaits.
Je suis convaincue, avec le recul, que toutes ces paroles échangées, à des moments et des âges différents, sur des sujets différents m’ont libérée.
Libérée du quotidien et de ses tâches répétitives, en exprimant mes pensées, mes opinions, en élargissant mon horizon, en confrontant mon monde intérieur avec d’autres expériences.
Alors je dois vous raconter une période de ma vie où la parole m’a même sauvée.
Arrivée à Munich, métropole du sud de l’Allemagne, pour des raisons professionnelles, je ne connais personne dans cette ville. Je trouve un logement et me rends à mon travail sans problème. A mes moments de loisir, je visite la ville, riche en parcs, monuments, musées et ses alentours. Je rencontre des sourires bienveillants, des aides, au travail et au foyer où je loge, mais je me sens doublement étrangère, par la langue, même si je comprends bien et m’exprime correctement, et par le manque de connaissance véritable des lieux et des personnes. Je ne regrette pas mon choix d’avoir quitté Paris et mes amis, mais je ressens de façon diffuse un manque, ma vie me paraît incomplète. Un soir d’hiver, je me rends à un cours d’escrime pour débutants, dans un gymnase au fin fond d’un quartier éloigné et mal desservi par le tram. La nuit, qui tombe plus tôt qu’à Paris, car la ville se situe plus à l’est, est dense.
Arrivée à destination, je demande à une jeune femme blonde et vive si je suis au bon endroit. Sa réponse affirmative et enjouée me réconforte : « Mais oui, c’est bien ici. Tu débutes l’escrime ? Pas de problème, on te prêtera l’équipement. Tu as un peu d’accent ? Tu viens de France ? Ah, Paris… » Elle me présente au maître d’armes, m’explique où emprunter l’équipement nécessaire. Mon inquiétude due à ce lieu inconnu et si éloigné s’envole comme par magie. Sa gaieté est communicative. Fleurettiste, elle s’entraîne pour les championnats régionaux. A la fin des cours, nous repartons ensemble et nous discutons agréablement. De semaine en semaine, les échanges se poursuivent. Comme si je retrouvais de façon imprévue (quel bon hasard !) si loin de chez moi mes habitudes de parler, de tout et de rien, profondément ou légèrement, en confiance et en toute spontanéité qui me relient aux autres. Chaque semaine, notre retour en centre-ville après les cours me ramène en pensées et en sensations aux retours d’école. L’émotion reste la même. La langue, loin d’être un frein, ajoute un charme supplémentaire, presqu’exotique, aux discussions en leur donnant une dimension plus large.
A d’autres moments Monika m’apprend la ville et les coutumes locales : c’est le temps du Carnaval, qui dure en réalité plusieurs semaines avec défilés et soirées, où elle m’emmène avec ses amis fleurettistes, sabreurs et épéistes, Gisela, Vera, Ingeborg, Stephan, Georg et Thomas, (j’ignorais jusque-là ces spécialités distinctes !). Moi, je lui parle de Paris, de mon métier... Et me voilà sortie de mon monde, je peux m’exprimer, questionner, m’entretenir, écouter les autres, répondre à leurs interrogations dans des lieux et des ambiances nouveaux, voilà ce que je dois vous dire aussi.
Et encore autre chose : Monika a un accent typiquement bavarois, elle roule les « r », et avale les fins de mots, car elle vient de Ratisbonne. Elle m’invite alors chez ses parents qui habitent cette ville ancienne située le long du Danube et proche de la République Tchèque. Ils m’adoptent amicalement comme ses frères : je fais quasiment partie de la famille.
Le Carnaval (« Fasching ») gagne la ville entière : dans la rue à tout moment de la journée ou de la soirée il est fréquent de voir des orchestres de rue, des enfants en poussette le visage maquillé en clown, dans le tram des étudiants, les skis sur l’épaule, déguisés de la tête aux pieds partir en fin de semaine à la gare pour aller skier dans les Alpes toutes proches... Et je découvre lors des soirées et des bals costumés le côté décomplexé et bon enfant des Munichois de tous âges et de tous styles se mélangeant avec bonne humeur pour rire, danser, discuter. Musique, costumes de toutes les couleurs, et de toutes matières, des personnages historiques, comiques, des héros de BD... tout contribue au mouvement, à une joie effervescente et communicative qui touche tous nos sens. Monika m’a prêté un joli costume de bavaroise, jupe longue bleu de Bavière, corsage blanc blousant et petit tablier brodé serré à la taille. D’abord hésitante, car il me semble être une autre, j’arrive ensuite rapidement à me mettre à l’unisson de cette vague de gaieté qui m’emporte sans plus de façon.
Alors je me sens vivante.
15 - LE DOUBLE
MARTINE CUTLER / ATELIER D'ÉCRITURE EN LIGNE DE FÉVRIER 2022
La mer est pâle comme le soleil. Je n’ai pas d’ombre, je suis juste un double à la recherche de mon alter ego.
La plage est quasi déserte à part des promeneurs emmitouflés dans leur écharpe, le bonnet enfoncé ras les sourcils.
Plein hiver.
Je dois le retrouver absolument, lui dire ce que je n’ai jamais pu lui dire. Vital pour achever mon errance.
Des chiens se poursuivent. Ils stoppent, se jaugent, bondissent et repartent de plus belle.
Deux gosses cavalent à la frange des vagues, intrépides, infatigables, ils n’ont pas peur.
Des mouettes les survolent, elles poussent d’insupportables cris éraillés.
Je ne flanche pas, la plage est interminable. Il n’est pas loin, triste, je le sens. Que peut-on faire sans son double
Des annés sans lui, je l'ai quitté un matin je ne sais même plus pourquoi, la routine sans doute.
Le voilà, assis sur un rocher, le regard perdu vers l’océan, les genoux enserrés sur la poitrine.
Il n’a pas changé.
J’hurle pour qu’il m’entende, qu’il se retourne.
Je gesticule, il ne bouge pas.
Il faut qu’il m’écoute. Question de survie.
Avec horreur, je m’aperçois qu’aucun son ne sort de ma bouche. On entend juste le vacarme de la mer.
Je suis muet.
Glacé.
Il va rester sur son rocher, c’est foutu.
Nous ne ferons plus rien ensemble. J'étais prêt même pour la routine Me sens vide d'un seul coup.
Et moi je suis condamné à errer, double sans ombre, sans alter ego, dans une grande solitude.
16 - Le satyre de la lune
alexandre le fon / ATELIER D'ÉCRITURE DU 5 FÉVRIER 2022
M’échappant du jour, dans le jardin d’Eden.
Je suis la créature reniant son créateur.
Obligé de rester dans ce jardin que les hommes appellent paradis.
J’aimerais leur dire que je ne partage pas leurs avis.
Mais heureusement, je sais que par le temps qui avance dans la journée,
Je peux me retrouver enfin, quand je sens venir l’arrivée de la lune.
Lune, Eh oui Lune !
C’est de ton énergie que grâce à toi :
Je me délivre des nymphes hystériques de ce jardin lux urique !
Pour exister auprès de mes vraies amies que l’on appelle sorcières,
Où je suis avec elles autour d’un sabbat qui révèle ma vraie nature,
Je suis une créature que l’on appelle bête à corne !
Et ce n’est pas le créateur d’Eden qui est mon vrai père,
Mais celui d’un bouc que l’on appelle le pan.
17
LAURANNE REINA
La sirène et la grenade (récit du faucon) : histoire inspirée par le conte des 1001 nuits « Djoullanare, fleur-de grenade et sourire de lune » (histoire traduite par Mardrus et par Khawam, ainsi que par Miquel et Bencheikh)
Suite et fin des Mille et une vies...
Le faucon prend la parole, comme s'il récitait.
A travers la voix du faucon, Jasmine entend la voix de son père.
« A mon retour d'un long voyage, j'ai fait naufrage sur une île.
Une île de sable rouge.
Il n'y avait personne d'autre que moi, et un vieux grenadier qui donnait des fruits si rouges et si brillants que je n'osais d'abord pas y toucher.
Je vécus les premières semaines de ce que la pêche me donnait : de beaux poissons que je faisais griller.
Je me portais bien, et je n'étais pas malheureux.
Je passais malgré tout une grande partie de mes journées à scruter la mer en espérant qu'elle m'apporterait le secours de quelque navire qui me ramènerait chez moi, auprès de mon père et de ma mère.
J'étais loin d'imaginer ce qui allait m'arriver.
Le ciel s'était chargé de lourds nuages noirs ce matin-là.
C'était la première fois que la clémence du ciel ne m'accompagnait pas.
Je lançai mes filets à la mer comme tous les autres jours.
Je les remontai sans me douter de quoi que ce soit...
Là dans mes filets, éplorée, le visage baigné de larmes et de sel,
se tenait une jeune fille, belle comme ce n'est pas permis...
Ses longs cheveux cachaient la moitié de son corps.
Mais ils ne dissimulaient pas sa queue de poisson...
La jeune fille était … une sirène !
Je lui demandai son nom...
Elle ne répondit pas.
Je relâchai mes filets, doucement.
J'avais peur de la blesser.
Je la vis s'en aller en nageant vers l'horizon.
A l'endroit même où je la vis disparaître, un rayon de soleil déchira les nuages.
Les jours qui suivirent, je n'avais plus goût à rien.
Je pensais à elle sans arrêt, en regardant la mer.
Je croyais parfois l'apercevoir, mais ce n'était que l'écume des vagues qui dansait sur la mer.
Je ne cessais de penser à elle, mais je ne l'attendais plus.
Un jour, pourtant, elle revint.
Elle était là, devant moi, un peu en contre-bas, assise sur un rocher.
Ses longs cheveux brillaient dans le soleil.
Elle éclata de rire en me voyant et elle plongea dans la mer, en me faisant signe de la rejoindre.
Je courus vers la plage et je m'élançai à l'eau moi aussi.
Nous dansâmes dans les vagues.
J'avais souvent rêvé de nager un jour avec un dauphin...
C'était encore plus beau.
Nous nous rencontrâmes ainsi sur la plage plusieurs jours de suite.
Nos jeux me comblaient de bonheur.
Ils me donnaient l'impression d'un rêve.
J'ignorais toujours le nom de ma sirène, elle ne parlait pas. Elle se contentait de rire et de danser...
Dès l'instant où je la voyais disparaître à l'horizon, agitant sa main vers moi sous le soleil couchant, mon cœur battait dans l'attente du lendemain.
Un jour, je cueillis une de ces grenades si rouges et si brillantes que portait le grenadier de l'île.
Je la lui offris.
Nous déchirâmes le fruit.
Le fruit éclata en une multitude de petits rubis.
Nous picorions le fruit, elle et moi. Le jus de la grenade glissait le long de ses joues.
Je saisissais les rubis entre ses lèvres, et jusque dans son cou quand ils se dérobaient.
Je pensais alors qu'ils brillaient sur sa peau comme le plus beau des colliers...
C'est alors que je m'en aperçus.
Ma sirène était devenue un oiseau...
Un bel oiseau blanc.
Je voulus caresser ses ailes légères. Je n'avais plus de main.
Moi aussi j'étais devenu un oiseau, au plumage aussi noir que le sien était blanc.
C'est alors que je compris.
J'entendais son chant, nous parlions enfin le même langage...
Elle me dit son nom : « Jullana... »
Nous chantions, nous volions à en perdre haleine, toujours plus haut jusqu'au firmament, ivres d'amour et de liberté.
Nous nous arrêtions parfois sur un nuage pour nous reposer de nos courses folles.
Elle me racontait sa vie, je lui racontais la mienne.
Nous jouions ainsi jusqu 'au soir, jusqu'à ce que le soleil couchant nous retransforme, elle en sirène et moi en homme.
Nous nous séparions alors dans la lumière chaude du couchant.
Plus aucun son ne sortait de sa bouche quand elle agitait les mains vers moi pour me dire au revoir.
J'attendais le lendemain, son retour, la grenade partagée qui faisait venir le miracle...
Et c'est ainsi que pendant des mois, je fus l'homme le plus heureux de la terre et des cieux, homme-oiseau amoureux d'une sirène.
Je lui racontais ma vie, elle me racontait la sienne.
J'appris qu'elle était la fille du roi des mers, qu'elle habitait un palais de nacre et de cristal,qu'elle chevauchait les hippocampes, et qu'elle voulait m'épouser.
Un jour, elle m'annonça qu'elle était prête. Elle me présenterait à son père, il me donnerait sa main, nous serions heureux.
Je ne savais pas si je survivrais sous la mer. Elle me rassura.
Elle me prendrait la main, je la suivrais et tout irait bien.
Je devais juste m'attendre à ne plus pouvoir parler.
Nous jouâmes tout le jour.
Au moment où le soleil allait disparaître à l'horizon, nous étions posés sur le rivage. L'oiseau blanc qu'elle avait été, reprit sa forme de sirène.
Mon corps reprit sa forme humaine.
Elle prit ma main, plongea dans les vagues, m'entraînant avec elle dans son pays sous la mer.
J'étais comme dans un rêve.
La lune au-dessus de nos têtes éclairait des jardins de coraux. Dans ces jardins, de belles sirènes chevauchaient des hippocampes. Elles jouaient à se lancer des perles qui brillaient sous la lune comme de jolies balles d'argent. Les jeunes sirènes riaient d'un rire charmant.
Nous traversâmes les jardins pour arriver au palais.
Les murs du palais étaient de cristal, ses toits de nacre. La lumière de la lune reflétait les formes magiques du cristal comme un lampadophore.
Les couleurs de la nacre caressée par les rayons de la lune étaient changeantes, comme une aurore boréale.
Jullana me conduisit à l'intérieur du palais, auprès de son père.
Il était assis sur une sorte d'anémone. Elle balançait autour de lui ses longs fils d'or au gré des flots et d'une musique envoûtante que chantaient deux belles jeunes filles chacune d'un côté du roi, accompagnées par de curieuses lyres de corail et de perles.
Jullana s'avança vers eux. Elle me présenta son père et ses deux sœurs aînées.
Le roi prit la parole :
« Tu es le bienvenu parmi nous si tu sais rendre ma fille heureuse. »
J'accueillis ses paroles sans pouvoir y répondre.
Je n'avais plus de voix pour parler depuis que j'étais sous la mer.
Les sœurs de ma sirène me dévisagèrent, sans cesser de chanter.
Je continuais de sourire car j'étais certain que nous serions heureux.
Heureux, nous l'avons été plusieurs mois.
Je n'avais pas besoin de parler.
Jullana et moi, nous nous comprenions au moindre regard.
Nous partagions une chambre du palais.
Parfois, quand la mer se retirait, j'apercevais depuis notre balcon, un horizon lointain, qui était celui du rivage, et une clarté qui était celle du soleil sur la plage.
La terre ferme ne me manquait pas.
J'étais heureux aux côtés de celle que j'aimais et je n'avais aucune envie de retourner d'où je venais.
Notre bonheur fut encore plus grand quand Jullana m'annonça qu'elle attendait un enfant.
Ces mois d'attente où nous préparions à être parents sont le plus beau souvenir que je garde de Jullana.
Notre bébé dans son ventre était comme l'une de ses perles que je devinais au creux des rochers pleins de coquillages... Secret, caché aux regards, précieux...
Je devinais un fond de jalousie dans le regard que les sœurs de Jullana portaient sur son ventre rond. Mais cette jalousie ne faisait pas d'ombre à notre bonheur tant il était grand.
Nous ne sortions guère de la chambre.
Un bel hippocampe au regard fidèle pailleté d'or venait nous servir.
Jullana m'apprit qu'il était attaché à son service depuis son enfance. Il nous régalait de friandises colorées que nous avalions en riant, comme des enfants.
Depuis notre balcon, quand la mer se retirait, j'apercevais une petite barque de pêcheur se balançant sur les eaux tranquilles.
Jullana jouait une jolie mélodie en grattant les coraux qui décoraient notre chambre.
Les yeux rivés sur cette petite barque de pêcheur, elle racontait à notre bébé notre rencontre, le grenadier, notre envol dans le ciel bleu du rivage, et ce voyage que nous ferions tous les trois ensemble pour y retourner, un jour...
Ce jour-là n'est jamais arrivé...
Jullana a senti venir les douleurs de l'accouchement.
Je tremblais de la voir souffrir, mais j'étais heureux de voir vivre mon enfant, de voir briller au grand jour cette précieuse petite perle restée cachée si longtemps.
Les sœurs de Jullana sont venues à son chevet.
Elles m'ont fait sortir.
Accompagné de l'hippocampe aux grands yeux fidèles, j'ai attendu dans le jardin de corail. De jeunes sirènes jouaient à la balle avec des perles argentées.
Leurs rires berçaient mon attente.
Tout à coup, un sinistre son retentit, arrêtant net les rires des jeunes filles.
C'était la conque du messager.
Il annonçait :
« La princesse Jullana vient de donner naissance à un monstre.
L'enfant a la tête d'un chien.
La nature humaine de son père doit être la cause de cette naissance monstrueuse. »
Le bel hippocampe aux yeux d'or s'élança vers le palais.
Je courus dans son sillage mais les jeunes sirènes du jardin me retenaient en riant.
Plus je me débattais, plus elles riaient.
Je criais, mais aucun son ne sortait de ma bouche.
Malgré leurs rires, j'entendis la conque sonner une deuxième fois :
« La Princesse Jullana vient de donner naissance à un second monstre.
L'enfant a la tête d'un chat.
Son père est la cause de cette naissance contre nature. »
Je m'effondrai, je pleurai à gros sanglots, mais aucun son ne sortait de ma bouche.
J'entendis encore :
« Ils seront tués, comme il se doit. »
Je courus vers le palais, hors d'haleine.
Le bel hippocampe aux yeux d'or sortait du palais, tenant contre lui deux petites créatures emmaillotées.
Il souleva les linges et j'aperçus leurs visages.
Ils n'avaient rien de monstrueux : ils étaient beaux mes fils !
Ibrahim avait les yeux de Jullana, ils brillaient comme de l'or liquide.
Ismaïl les avait bruns, comme la terre chaude et accueillante.
Le fidèle hippocampe me jeta un dernier regard en murmurant :
« C'est l'ordre de leurs tantes. Mais ne crains rien, aucun mal ne leur sera fait ! »
Et il s'en alla, avec Ibrahim et avec Ismaïl.
Je ne les ai jamais revus.
Je courus vers le palais.
Je montai dans notre chambre.
On m'en interdit l'entrée.
Pendant quarante jours et quarante nuits, on me sépara de Jullana.
Je voulus crier, dire ce que je savais, la rassurer, lui dire que je l'aimais.
Aucun son ne sortait de ma bouche.
Quand au bout des quarante jours, on me laissa entrer dans notre chambre,
je la reconnus à peine.
Elle était devenue si légère que même mes bras ne purent la retenir.
Elle s'envola comme s'envolent les sirènes,
en chantant...
La colère que j'avais retenue si longtemps souleva une tempête telle
que je perdis connaissance.
Je me réveillai sur le rivage, là où la première fois j'avais rencontré Jullana.
J'ai cru longtemps que j'avais rêvé...
Tout...
Le bonheur, la douleur si cruelle de tout perdre.
J'ai quitté le rivage, j'ai pris un bateau, je suis retourné d'où je venais, où j'étais né, bien longtemps avant mon naufrage.
J'ai connu ta mère Jasmine.
Elle était belle, elle aussi...
Elle comprenait mes silences.
Elle les supportait.
Je n'ai jamais revu Ibrahim et Ismaïl de mon vivant.
Ce n'est qu'à ma mort que j'ai su la vérité...
Nageant sur les eaux dans leur petit panier d'osier, Ibrahim et Ismaïl avaient survécu...
L'hippocampe aux yeux d'or avait tenu parole...
Ibrahim avait été recueilli par un puisatier... Ismaïl par un jardinier...
Comme un faucon voit passer des nuages et les prend pour de blanches colombes,
Ibrahim et Ismaïl ont cru aux histoires qu'on leur avait racontées.
C 'est pourquoi sans doute l'eau du fils du puisatier croupissait,
et les arbres du fils du jardinier se desséchaient...
Il leur manquait une partie de la vérité...
C'est à ton tour maintenant, Jasmine, de leur raconter toute l'histoire.
C'est à votre tour d'écrire la suite de l'histoire...
L'histoire des mille et une vies que vous auriez pu vivre, sans remords, et sans regrets.
Vivez ensemble une longue vie.
Et que cette vie chante et s'élève haut dans le ciel, comme un arbre qui puise loin dans ses racines et qui élève haut dans le ciel, le chant de ses branches caressées par le vent... »
Jasmine se tourne vers Ibrahim et Ismaïl.
Le faucon gonfle les ailes. Jasmine entend une dernière fois la voix de son papa :
« Merci ma Jasmine. Tu es ma petite étoile, la lumière qui guide dans la nuit. »
Et le faucon s'envole, redevenu faucon.
Son cri emplit le ciel.
18 - De l'autre côté
Olivier jacques / ATELIER D'ÉCRITURE EN LIGNE DE MARS 2022
Le bébé est mal depuis le début de la matinée : sa fièvre est montée, il est chaud et en sueur, agité. Il n'a rien voulu avaler, même pas boire.
Une aube triste a été suivie d'un jour flasque, mou et bas, un jour sans envie, sans énergie.
La lisière de la forêt, brouillard de branches nues et grises, génère un sentiment oppressant. Les quelques flaques de neige qui n'ont pas fondu, dans l'herbe décolorée du jardin, semblent grises elles aussi.
Par la baie vitrée, je regarde les taches sombres, comme des trous, de la forêt.
Un mouvement, à peine perceptible dans la futaie, puis l'éclair fauve d'une biche qui surgit, entre les branches dénudées, s'immobilise et me regarde. Me voit-elle d'ailleurs, derrière le reflet de la vitre ? D'un bond, elle rentre dans la forêt et l'espace de quelques secondes, la tache blanche de son arrière-train oscille dans l'assemblage des troncs de chêne et des pins douglas.
En début d'après-midi, je donne un bain à température du corps au bébé.
Cela le soulage, et il retrouve un peu de tonus, gigotant de ses petites jambes rondes alors que je change sa couche. Il boit un biberon, goulument, happant l'air de ses mains minuscules en produisant son petit bruit de succion.
Enfin, il dort, paisible, son petit visage serein et lisse du sommeil, yeux clos, bouche ourlée d'un fin sourire, irréel, presque un tableau.
J'ai posé l'enfant dans le lit-parapluie, déployé dans la pièce.
Amolli par cette attente improbable, je me suis allongé sur le canapé du salon, tournant le dos à la forêt.
Une lumière blafarde, tombant de la baie vitrée, éclaire faiblement la grande pièce d'un jour qui expire.
J'ai fait du feu un peu plus tôt, et je m'enfonce dans une torpeur plus sereine, en fixant la danse des flammes, au rythme de l'éclatement et des craquements du bois sec cédant sous le brasier. Mes yeux faiblissent, papillonnent, glissement sournois vers le sommeil.
Je secoue la tête, j'essaie de rester en alerte.
Ne pouvoir tirer aucun rideau sur cette béance de la nuit contribue à mon inquiétude sourde.
J'ai renoncé aux lumières, me contentant de la lueur mouvante du feu.
Habituellement, j'aime cette pièce, assez vaste pour recevoir les deux grandes bibliothèques sur les murs mitoyens du couloir d'un côté, de la salle à manger de l'autre.
Sur le mur auquel je fais face, belles pierres apparentes, longues et chaudes, couleur sable, il n'y a pratiquement rien : à gauche de la cheminée, quelques masques amérindiens ou africains, qui prennent un aspect plus mystérieux, dans l'ombre qui gagne et le reflet mouvant des flammes sur certains d'entre eux. En pendant, à droite, une peinture sur bois, trois panneaux verticaux, étroits et hauts, un visage de femme traité à la façon du Fayoum, un regard intense et dur, un portait contemporain et pourtant immémorial.
Le silence de la maison est dense, épais, comme une matière à trancher. Pourquoi n'ai-je pas mis de la musique ? Maintenant, je n'en veux plus, porté par les grincements discrets de la maison qui vit, le feu, le bébé qui dort, et le besoin de guetter tout bruit insolite.
Mon corps oscille entre l'envie de l'abandon immédiat et apaisant, et la vigilance tendue que je sais nécessaire.
Je me lève, fais un pas pour aller à la cuisine me chercher à boire.
Et à cet instant, le mur s’ouvre… Sans un bruit, le pan à gauche de la cheminée, avec les masques, se fend d'un coup, dégageant soudain, dans une avalanche muette de moellons, une sorte de couloir sombre et profond.
Panique : ils vont arriver, ils sont là, derrière moi quelque part, déjà dans les couloirs de la maison.
D'un mouvement rapide et précis, j'emmaillote le bébé dans sa couverture.
Je jette un œil alentour, mais ne vois pas quoi prendre, mon esprit est déjà dans la fuite, et je me précipite par l'ouverture, cette plaie du mur qui donne dans ce couloir gigantesque.
Je cours, en ne me sentant pas courir, sur un sol dallé de pierres immenses. Le souffle retenu, le bébé serré contre mon torse, je longe ce conduit dont je ne sais où il me mène.
Je ne les entends pas mais je les "vois", ils sont à ma poursuite. Et j'ai peur, je me sens porté et tétanisé par l'épouvante.
Je ne comprends plus pourquoi ils me poursuivent, et toujours je n'entends aucun son, pourtant ils vocifèrent, leurs visages sont convulsés par la colère, l'âpreté de la haine, le désir de tuer. Je dois leur échapper, et je cours, comme si je flottais dans l'air.
Soudain, je déboule sur une terrasse, toujours ce calepinage de pierres énormes, et presque aussitôt, cet immense escalier.
Tenochtitlan. Tout ce que je craignais : je suis en haut de la grande pyramide du sacrifice et les guerriers aztèques sont derrière moi. Il est sûr que le bébé comme moi sommes désignés pour le sacrifice du cœur arraché.
Devant moi, les marches de la pyramide : cette pente brutale, descente dont je ne vois pas le bout. Je me lance, je les sens arriver, et je sais qu'une fois dans les degrés, ils ne pourront plus rien. Je dévale les marches, je ne vois pas bien mes pieds à cause du bébé. Soudain, je butte, je pars en avant, je lâche l'enfant qui décrit un orbe devant moi, vers le noir de la forêt, et je me sens moi aussi tomber en suivant la même courbe, au ralenti, toute ma peur s'est convertie dans cette trajectoire au ralenti.
Nuit noire et chaude, dans notre maison de la forêt.
Un hululement de chouette, amorti et lointain.
Les lambeaux du cauchemar flottent autour de moi. Nul mur ouvert, nul feu dans la cheminée, je suis dans ma chambre. Nul bébé, je suis seul ici, et venu pour écrire.
Et réparer le mur du jardin, qui s'effondre sous la poussée d'un chêne…
19 - À CET INSTANT, LE MUR S'OUVRE
JEAN-LOUIS MÉTIVIER / ATELIER D'ÉCRITURE EN LIGNE DE MARS 2022
Nous nous retrouvons devant un mur.
Plus aucun son ne sort de sa bouche.
Alena est comme médusée, atterrée.
Moi je suis désappointé, rien de plus. J'aimerais être un passe-muraille et me retrouver de l'autre côté. Mais je n'ai aucun pouvoir extraordinaire, juste des mots pour tenter de creuser un peu sa cuirasse. Elle me sourit enfin, et balbutie un "je t'aime tu sais".
- Je sais Alena, et moi donc, je déplacerais des montagnes pour toi.
Dis moi ce qui ne va pas s'il te plait. Et quelle montagne il faut soulever.
- Je ne sais pas trop, commence par la colline là bas et place là un kilomètre plus à gauche si tu veux.
- C'est comme si c'était fait, ferme les yeux et visualise son déplacement dans ton imagination, le cerveau a des pouvoirs illimités. Je patiente quelques minutes, tu me diras quand tu seras prête.
…
- Voilà c'est fait, je peux ouvrir les yeux ?
- Pas encore, c'est à moi d'imaginer le mouvement, je me concentre, ça ne devrait pas être trop dur, il n'y a pas de rocher et de minerai lourd.
La terre profonde d'abord, tonne après tonne, la couche de surface plus légère ensuite hectare après hectare, la végétation et la faune en dernier.
Alena, as-tu bien visualisé le changement, vois-tu la colline au nouvel endroit ?
- Oui je crois, est-ce que je peux vérifier maintenant ?
- Attends encore quelques instants que la matière soit stabilisée. Les animaux doivent aussi s'habituer à leur environnement déplacé. Ça y est, je viens de vérifier, le miracle vient d'opérer, tu peux contrôler à ton tour. Qu'en penses tu ?
- Oh, c'est merveilleux Marko, comment as tu fais ?
- L'amour Alena ! Il a réalisé ton souhait, tu as caressé mon cœur Aladin. Et le vœux s'est matérialisé. Le pouvoir de l'esprit sur la matière, l'intelligence du cœur en action. Si tu avais besoin d'une preuve de l'amour que j'ai pour toi ?
- Marko, je te crois tu sais, mais quelque chose m'interdit à l'intérieur d'aller plus loin, j'ai beau chercher, je ne sais ce qui peut me contraindre. Ou je ne le sais que trop.
- Ton ancien amour pour ce "rat, ce Poutine", tu n'est pas soignée !
On ne peut sortir indemne d'une telle histoire, ton cerveau a été mené à dures épreuves.
Que tu sois en plus Ukrainienne n'arrange en rien ton destin ni celui de ton peuple. Je suis certain que tu as bien fait de le quitter ce Vladimir, cet ogre noir et rouge, ce despote assoiffé de violence, ce fou délibéré, il mène son peuple à la ruine et le monde avec lui se précipite dans le précipice.
Et que penser de ses attaques frontales contre Kief et son Président, à quoi joue t il ?
Ses proches répètent qu'il espère ériger un mur style grande muraille de Chine tout autour de son futur empire, les délimitations ne sont pas encore connues, mais il croit dans la chute de l'Europe sous peu, les États Unis ne pourront rien dire ni faire contre lui.
- Un mur dis-tu, comment peux-tu sonder son esprit malade Marko.
- Alena, point besoin de vigueur extrasensorielle pour savoir le mal dont il est capable et l'esprit retord qu'il utilise en tant que Kgbiste omnipotent pour arriver à ses fins.
Avec les faibles Européens il arrivera bientôt à finaliser ses obscurs objectifs, le principal étant de faire souffrir ton peuple en représailles de ta fuite du “domicile conjugal”.
Pas besoin de brandir des drapeaux jaunes et bleus aux couleurs Ukrainiennes massivement pour lui faire comprendre que tout l'occident est contre lui.
Pour soutenir ce pays attaqué sans raisons valables une réplique en règle serait de mise, mais l'ogre fait peur à une trop grande partie de la planète et de ses dirigeants.
- Marko, veux tu dire que tu vas mettre en état de marche ton super pouvoir en direction de Vladimir et son Kremlin chéri ? Tu pourrais déplacer ce petit monde là à un endroit ou les belligérants ne pourraient plus nuire ?
- Alena, tu sais bien que je ne peux rien tenter tant que ton mur interne me résiste, toi seule peux décider de me laisser passer, ensuite la voie sera libre pour mon assaut final.
Ne compte pas sur moi pour te donner la destination de la transmutation que je tenterai à ce moment là, ce serait trop dangereux pour toi et les tiens.
Je te répète ma demande, donne moi ton laisser passer, ne crains rien, libère ta confiance en moi, je ne peux rien sans toi.
Tu es ma porte, tu es notre salut, tu verras, le monde sera sauvé.
J'ai aussi promis aux Avengers de ne rien tenter seul sans les prévenir. Au cas ou l'essai serait infructueux, on ne peut connaitre à l'avance le résultat d'un primata d'action de ce genre, je n'ai jamais tenté un tel exploit et n'aurai pas à le réitérer de sitôt.
Auparavant je ferai fondre tous les boutons rouges de son arme nucléaire "dissuasive", les codes seront rendus inutilisables pour son ministre de la défense et lui-même.
- Marko, mon mur interne se fissure, embrasse moi fort et toute ma défense inutile va s'effondrer, je t'aime tant Marko, viens. Sauve nous mon amour.
20 - BRISEUR
MARTINE CUTLER / ATELIER D'ÉCRITURE EN LIGNE DE MARS 2022
Morose le briseur de rêve se pose des questions.
- Je fais quoi moi à l'heure actuelle, on ne fait plus que cauchemarder dans ce monde anxiogène, gris, terne.
Plus personne ne rêve, à part ma cible favorite une drôle de fille qui actuellement au fond du trou, déprime,
Pas la moindre chimère à démanteler aux alentours.
Pas le moindre rêveur à l'horizon.
Rien, si ce n'est ce mur en plein milieu de nulle part.
Les pierres blanches bien alignées.
Si je me recyclais en casseur de mur ?
Le mur à des oreilles... Il l'entend et se met à bouger, il respire ondule doucement de gauche à droite, de droite à gauche.
On dirait un accordéon. Le mouvement s'accélère, tout va très vite. Les pierres se détachent, tombent une par une.
Le briseur de rêve ébahi, reste un moment devant la brèche.
Il passe de l'autre côté dans un bout de monde lumineux bleuté.
Frais. Un océan infini, une plage illimitée. Un autre monde
sans désastre, sans chaos. Une douceur inhabituelle l'envahit.
Métamorphosé, le briseur de rêves aperçoit une barque à la frange des vagues.
A son bord la cible favorite qui l'a devancé ... béate... lui sourit.
Oubliant sa hargne, il embarque à ses côtés.
21 - À CET INSTANT, LE MUR S'OUVRE...
JOËLLE FALLOT / ATELIER D'ÉCRITURE EN LIGNE DE MARS 2022
Minuit et demi ! Tout est calme dans la maison. Mon mari dort. Aucun bruit si ce n’est le léger ronflement de Teepee, lovée sur mes genoux. Son rêve doit être intense, des tressaillements secouent son corps. Je la caresse, lui faisant sentir ma présence rassurante. J’aime son poil, il est si doux.
Une lumière métallique filtre à travers les volets et effleure les meubles. C’est la pleine lune.
Pendant ces nuits-là, je n’arrive pas à trouver le sommeil. Un élan inexplicable me pousse toujours à quitter mon fauteuil, pourtant si douillet ! Mais plus étrange encore, je ne le ressens qu’au printemps !
Je sais que je vais me lever. Teepee va contester, par principe. Un chat n’est-il pas toujours un peu contestataire ?
Je descends les escaliers lentement. Je n’allume pas. Je ne veux pas réveiller mon mari. Surtout je ne veux pas briser la magie de cette lumière. La chatte, familière de la nuit, dévale les escaliers. J’ai toujours été émerveillée par la capacité qu’ont les chats de passer d’un sommeil profond à une vitalité impressionnante.
J’ouvre la porte de la cuisine. J’entrouvre le volet. Un petit grincement familier. Il va vraiment falloir graisser l’espagnolette !
Le jardin est inondé de lumière. Je m’aventure dans les allées guidée par la clarté. Teepee m’a quittée. Je l’entrevoie, tapie dans un buisson. Elle est aux aguets.
Le banc en fer forgé m’attire. J’aime m’y assoir. Le parfum envoûtant des rosiers anciens chatouille mes narines. Mon regard se porte sur la cabane de jardin. La lumière lunaire la transforme. Elle est sous les feux d’un projecteur invisible. C’est beau, magique, envoûtant.
Ce soir je sens des présences invisibles autour de moi. Ce n’est pas habituel. Pourtant cela ne m’inquiète pas. Cette nuit n’est-elle pas magnétique ! Soudain une lumière bleutée éclate dans la cabane. Je ne comprends pas. Le jardin est clôturé. Personne ne peut y entrer. J’ai dû oublier de l’éteindre. La chatte est indifférente. Elle joue avec une pomme de pin.
Je me dirige vers la cabane. Rien ne trouble le silence de la nuit si ce n’est le cri de quelque chouette. Pourtant, une angoisse qui m’est étrangère monte en moi. Mon pas se fait hésitant. Des frissons m’envahissent. Mais la nuit est douce. Je pose la main sur la poignée de la porte. Je tremble. Une boule au ventre, j’appuie lentement. La paume de ma main est moite. Puis brusquement, envahie d’un courage surprenant, je la pousse violemment et j’entre !
Une chaleur ardente m’enveloppe ! Des parfums suaves me grisent, des musiques langoureuses flattent mon ouïe ! Mais je ne vois rien. Je devine un bandeau sur les yeux. Des pas feutrés glissent autour de moi. Une main fine d’une grande douceur me prend par le bras. Il est dénudé. Etrange ! Je portais mon poncho ! Une autre main, aussi fine, caresse mes cheveux puis dénoue le bandeau !
Une onde de choc m’envahit ! Je ne suis pas dans la cabane de jardin ! Mais où suis-je ? De magnifiques flambeaux orientaux dévoilent une chambre immense dont le centre est meublé d’un lit à baldaquin aux lourdes tentures dorées, elles aussi de facture orientale. Effarée, je m’aperçois que je porte une longue robe de soie blanche. Mes cheveux que je porte en chignon tombent en cascade sur mes épaules. Trois jeunes filles, très jeunes et très belles me conduisent jusqu’à une coiffeuse en bois de cèdre. Elles ne me parlent pas ! L’une me passe un peigne en ivoire dans les cheveux. Une autre me dessine avec du henné ce qui semble être une main de Fatima. La troisième glisse des babouches à mes pieds. Qui sont-elles ? Pourquoi ce cérémonial ? Elles ne sont pas menaçantes. Pourtant je suis entourée d’ondes négatives. La panique me gagne !
Les jeunes filles, toujours muettes, me conduisent jusqu’au lit. Elles remontent les oreillers. Elles me font signe de m’y appuyer. Je voudrais réagir, refuser, me rebeller, mais impossible. Aucun son ne sort de ma bouche. Mon esprit est confus. On a dû me faire ingérer une drogue quelconque.
Soudain, la musique douce qui m’accompagnait depuis mon entrée dans ce lieu étrange s’interrompt. Je vois les jeunes filles s’éloigner sans bruit et disparaitre par une petite porte sculptée.
Au même instant apparait un homme vêtu d’un caftan pourpre et or. Je ne distingue pas ses traits. Sa corpulence proche de l’obésité me met mal à l’aise. Qui est-il ? Que veut-il ? Il s’approche du lit. J’entrevois, à la lueur des flambeaux, un visage rubicond avec des bajoues bien pendantes. De petits yeux sournois me fixent goulûment.
Soudain tout s’éclaire en moi ! Mon esprit visionne ce qui va se passer ! C’est un véritable cauchemar ! Soulevant son caftan, il monte péniblement sur le lit. Alors, du plus profond de mon être, jaillit un cri perçant et déchirant !
Je suis assise par terre, frissonnante. Teepee me regarde. Je lis de l’étonnement dans ses yeux verts. N’ai-je pas crié « non » à l’instant ? La lune disparait peu à peu derrière des nuages diaphanes. Je me tourne vers la cabane qui disparait elle aussi. Mais la clarté, aussi pâle soit-elle, dévoile des taches rougeâtres sur mes deux mains !
22 - À CET INSTANT, LE MUR S'OUVRE...
ANONYME / ATELIER D'ÉCRITURE EN LIGNE DE MARS 2022
Le 9 Novembre 1989, après le dîner, je lis un roman policier plein de suspense d’Elizabeth George, « Enquête dans le brouillard » en écoutant de la musique à la radio. Blois est calme, il fait nuit, quand soudain l’émission s’interrompt avec un flash d’information : toute la ville de Berlin est en effervescence, des foules de Berlinois se pressent vers le mur, à l’Ouest comme à l’Est. J’allume la télévision : à cet instant, le mur s’ouvre. Instant incroyable.
Des femmes, des hommes, des enfants se rassemblent et avancent en grand nombre vers les postes-frontières. Les barrières sont levées, dont celle du célèbre Check Point Charlie. D’autres Berlinois, plus jeunes, se hissent sur le mur munis de pioches et de marteaux pour l’abattre : ils creusent des brèches et des grappes humaines passent par les ouvertures ainsi créées. Ces images me sautent à la figure, je suis d’abord sidérée, je ne comprends pas, puis bizarrement je me sens joyeuse, sans doute la liesse de la foule est-elle communicative. Pourtant, je ne peux m’empêcher de penser à Prague où onze ans auparavant les soldats et les chars ont tiré sur la foule pacifique.
Le mur se dresse depuis 28 ans, il a causé la mort de nombreux Allemands qui essayaient de le franchir, par quel miracle pourrait-il soudainement rester ouvert en une nuit et laisser tout un chacun le traverser librement ?
Les cris de joie, les acclamations, les chansons, les klaxons des voitures, dont les fameuses Trabant, explosent de tous côtés. Des gens trinquent, s’offrent des fleurs, tombent dans les bras des uns des autres. Au fil de la caméra, je happe des scènes impressionnantes et éloquentes : des adolescents hilares dansent en ronde en criant à tue-tête les airs joués par de jeunes guitaristes, des grands-parents enlacent leurs enfants et petits-enfants (qu’ils n’ont connus sans doute que par photos), l’émotion est palpable, les larmes coulent, car la cellule familiale se reconstitue enfin.
Mais les soldats, mitraillette à l’épaule, les policiers, révolver à la ceinture, les chiens policiers et les véhicules militaires toujours aussi omniprésents, représentent une menace silencieuse.
Je fixe leurs visages filmés en gros plan et une part en moi s’inquiète. Leurs regards me semblent étranges, que dois-je y lire ? Attendent-ils un ordre pour tirer et lâcher les chiens sur la foule ? Il y a tant d’enfants, en poussette, tenus par la main ou courant librement seuls, dans cette bousculade euphorique… Pourquoi laissent-ils donc passer cette marée humaine qui franchit allègrement la frontière dans les deux sens ?
J’ai envie de croire maintenant au bonheur, à l’étonnement joyeux qu’exprime la foule. Par cette nuit si froide et si dense de Berlin, éclairée seulement par les phares des voitures, des véhicules militaires et les lumières blafardes des postes-frontières, chacun porte des vêtements chauds. Tout paraît irréel, l’heure avance et la manifestation continue de plus belle.
J’ai presque envie de me pincer, je reste seule devant l’écran, aimantée par les images extraordinaires, je rêve éveillée. Le lendemain j’apprendrai que tout était bien réel.
Que le regard des soldats reflétait en fait l’interrogation et l’inquiétude, qu’un responsable politique n’avait pas donné d’ordre précis, puis avait dit de laisser passer la foule, que le gouvernement est-allemand se désagrégeait…
Je ne sais quelle part en moi écouter : celle qui se réjouit, ou celle qui s’effraie ? Joie, peur, souvenirs historiques se mêlent. Minuit passe, les rues ne désemplissent pas, sept autres points de passage, puis trois autres encore se sont ouverts. Le Ku’damm, les Champs-Elysées de Berlin, est noir de monde. A trois heures du matin, le mur déborde de jeunes Allemands assis à califourchon. Ces scènes deviennent à la fois fantastiques et incongrues.
Les heures s’écoulent et j’oscille encore entre ces deux sensations, ces deux parts en moi. Telle une passagère clandestine, j’assiste à un événement ahurissant très loin de moi, alors que je me sens en lien avec cette vague humaine. Je suis ici et là-bas, à 1200 kilomètres à l’est, éloignée et proche.
Je me lève, je regarde par la fenêtre, j’ai beau guetté, rien de semblable ne se produit dans ma ville, ma rue reste déserte et silencieuse.
23 - La voix de l'autre
olivier jacques / ATELIER D'ÉCRITURE DU 5 MARS 2022
Il y a un cri, un fracas terrifiant.
Le silence.
Je ne sais combien de temps. C'est rassurant, presque serein.
Et maintenant, ce borborygme. Ou plutôt un coassement, un bruit fêlé, comme si la gorge qui l'émet était étranglée.
Puis le silence, à nouveau.
Non, pas complètement. Il y a ce bruit aussi. Un pchh-pchh régulier, comme un soufflet qui se gonfle et expulse l'air capté. C'est à gauche.
J'en suis sûr, oui, ça vient de ma gauche.
J'ai les yeux collés, c'est gênant. Je ne parviens pas à les ouvrir, mais je perçois une nappe lumineuse blanche, aveuglante, et je ne parviens pas à voir où sont mes mains.
Je me demande si je dors, si je rêve. Je connais pourtant cet état curieux, juste avant l'éveil complet, où mes rêves s'échappent en lambeaux incertains, ne me laissant qu'une frustration d'oubli.
Ce n'est pas ça.
Ce n'est pas ce moment-là.
Parce qu'il y a ces sons. Mes rêves sont sans son, j'en suis sûre.
Il y a cette odeur aussi, forte, piquante. Je la connais, mais je ne me rappelle plus…
Je prends conscience que, sous le bruit de forge, un autre bruit existe, constant, lancinant et pourtant quasi imperceptible.
Une sorte de vrombissement léger. Je me dit : mais qu'est-ce que c'est que ce truc ? "Je suis où, là ?" Je tressaille, ai-je parlé à haute voix ?
Et maintenant, un bip, une montre qui résonne que je n'avais pas remarquée, ou une alarme quelque part ? Non, c'est régulier. Le revoilà. Et encore.
Il est constant ce bip, je sais que je connais ce bruit, mais d'où ?
Pourquoi je ne sens pas mes extrémités ? J'ai l'impression désagréable que mes jambes sont… absentes ?
Un océan se bouscule sous mes paupières : un ressac, le mouvement lent des vagues rouges crêtées de noir…
C'est pourtant au moment de la plongée dans le sommeil que je vois cela d'habitude. C'est tout à fait agaçant, cette impression que rien ne correspond à rien. J'entends mais n'entends pas, je parle mais ne m'entends pas…
À nouveau la lueur blanche et forte, puis une ombre qui la coupe, juste devant moi. Enfin, je comprends, en même temps que j'entends sa voix : un visage, avec quelque chose de vert devant, c'est flou. Le visage demande : "Comment vous sentez-vous Madame ?"
Encore cet épouvantable craquement guttural, son acre et râpeux, qui semble vouloir exprimer une idée, ou une demande, mais je n'y comprends rien.
Dans mon champ de vision, le visage masqué d'un chirurgien ou d'un infirmier se précise. Et un reflet brillant, au bord de l'œil. C'est un masque, ils m'ont collé un masque à oxygène.
Je tourne légèrement la tête vers la gauche, d'où émane le chuintement. C'est un autre patient, à ma gauche, qui émet ce son de soufflet : il doit être sous assistance respiratoire.
Je me rappelle : la nuit, la route, le chevreuil, mon coup de volant, la voiture qui part, les tonneaux.
Je suis vivante donc. Je boirais bien, un peu d'eau, j'ai la gorge comme du ciment, du sable desséché. Je parle au visage : encore ce bruit atroce, raclement guttural. C'était donc moi, ce coassement ? Où est passée ma voix ?
24 - MON AUTRE VOIX
JEAN-LOUIS MÉTIVIER / ATELIER D'ÉCRITURE DU 5 MARS 2022
Rire, quoi de mieux ?
Être un humoriste comme Raymond Devos, c'est un travail à plein temps, de longue haleine.
Il lui faut construire le texte, jouer sur les mots, s'amuser à rebondir sur les sonorités, les rythmes des syllabes, des mots, les uns plus courts que les autres.
Il pense à la musique qui va accompagner ses textes, son musicien joue aussi en direct et appuie avec tel geste sur son piano, une note d'humour ou la fin du sketch.
L'intelligence du personnage ponctue son côté espiègle, il boute en train et les wagons suivent, le public voit bien où il l'emmène et devine de temps en temps la chute de l'histoire, il rit par avance.
L'animateur de l'atelier de théâtre dont je fais partie, me signale qu'un sketch comique, ce n'est pas le plus facile pour commencer, mais que c'est une bonne idée.
Je finis par choisir une histoire de Fernand Raynaud, elle a le mérite de ne pas être trop longue. A apprendre par cœur ce sera plus facile.
Me voilà qui rentre à la maison avec les trois pages à mémoriser.
Il faut lire à voix haute un nombre important de fois pour incruster les mots dans le cerveau, qu'ils soient miens, comme si je les avais écrit, faire comme si j'étais Fernand Raynaud, c'est la seule façon d'y arriver.
Une fois dans le salon, je m'installe sur mon canapé favori, bien calé avec un gros coussin dans le dos.
Lumière tamisée, téléphone coupé, je commence à lire.
Je ris et souris encore en l'entendant prononcer son texte, même si ma voix remplace la sienne.
Le volume, quel volume employer, plus fort ou plus doux et faible ? Faire comme si je suis dans la salle de spectacle, le public est là, la salle est pleine et applaudit pour que je commence.
Je donne le titre : “le douanier”, tonnerre d'applaudissements, ils connaissent, c'est bon signe, il ne faut pas que je me trompe, que je loupe une intonation !
Ce qui est drôle, c'est que ma voix n'est pas la même que d'habitude, elle est affirmative et puissante, plus grave que naturellement, pas timide du tout.
Je lis, ce doit être normal, lire et réciter c'est deux choses différentes.
Je vais boire un verre d'eau, cela me facilitera l'élocution…
L'autre jour, l'animateur nous a enregistré en pleine action.
Écoutez l'enregistrement à tête reposée, nous dit-il, et on en reparle la prochaine fois.
Aussitôt arrivé je branche le lecteur, je me demande qui peut bien parler de la sorte.
Mais c'est moi, j'en ai une drôle de voix.
D'habitude je ne m'écoute pas parler, mais là, je suis bien obligé.
Une voix affirmée et sûre d'elle, tout l'inverse de la mienne au quotidien.
Elle me plait bien finalement cette voix, un nouveau chemin à suivre, une voie avec plein d'issues de secours, des pistes bleues et rouges, comme au ski. Juste à se laisser glisser.
25 - MON AUTRE VOIX
JOËLLE FALLOT / ATELIER D'ÉCRITURE DU 5 MARS 2022
Le cours de musique va commencer. Aujourd’hui c’est un jour important. Le professeur nous présente les détails du spectacle de fin d’année. Chaque élève, individuellement ou par groupe de trois, doit lui présenter son chant. Musique classique ou musique moderne. À notre choix. Les élèves se pressent devant la porte de la classe. Il règne une grande excitation. Tout le monde parle en même temps. Ça crie, ça chante, ça plaisante, ça s’apostrophe ! On se croirait sur le marché du vendredi matin !
Je ne partage pas l’enthousiasme de mes camarades. Je suis inquiet. Ai-je fait le bon choix avec ce chant ? J’ai mis toute la semaine à me décider. Des images de moquerie, d’ironie, de sarcasme défilaient sans répit dans ma tête. Mes nuits étaient agitées. Au réveil, je changeais d’avis. Je choisissais un autre morceau ! Puis je changeais encore. Je revenais sans arrêt sur cet aria ! Je n’osais en parler à personne. Ni même à ma sœur, ma confidente !
Alea jacte est ! Je vais le chanter cet aria ! Je ne peux plus reculer !
Marilyne est sur le podium. Elle chante d’une voix très douce. Une chanson de Jean Ferrat. J’aime la vibration de sa voix. Elle me donne des frissons. J’en oublie presque mon angoisse.
Que va penser le professeur de mon choix ? Et mes copains ? De la musique baroque ! De la musique de castrats ! J’aime ma voix quand elle chante « Lascia ch’io pianga ». Tout mon être vibre ! Je m’envole ! Je suis libre ! Mais ma voix n’est pas celle d’un adolescent. Vont-ils se moquer ? Vont-ils me juger ? Vont-ils se méprendre sur ma sexualité ?
Pourtant il faut qu’ils sachent, qu’ils découvrent qui je suis vraiment. Même si je dois perdre leur amitié. Cette voix de contre-ténor est un cadeau, une richesse. Elle est moi. Je ne peux plus la cacher.
C’est mon tour ! Je monte sur le podium. Mes jambes flageolent. Ma gorge est sèche. Mes mains sont moites. Il faut que je me reprenne. Je dois y arriver. Je fais face à la classe. J’ose à peine regarder mes camarades, encore moins le professeur. Je lève les yeux vers le plafond. Je respire profondément. J’attaque mon aria.
Lascia ch’io pianga mia cruda sorte e che sospiri la libertà ! … Je tremble ! Ma voix est trop hésitante ! Je ne vais pas y arriver ! Il faut que je puise en moi : de l’assurance, de la confiance. Je n’ose toujours pas regarder l’assemblée. Soudain je sens un regard posé sur moi. Un regard confiant, encourageant. Un regard qui ne juge pas. Un regard qui me porte. Celui de Marilyne ! Tout change ! Ma voix est déterminée. Je ne tremble plus. Je n’ai plus peur. Je plane. Je suis Almirena. Je ressens sa dignité. C’est la mienne aussi.
Je ne redeviens moi-même que sous un tonnerre d’applaudissements. Je suis exténué, vidé de toute substance. Je suis heureux. Mes camarades de classe me félicitent, m’embrassent, me louent. Ils ont accepté mon autre voix !