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Atelier d'écriture du 15 janvier avec Audrey Gaillard (médiathèque Maurice-Genevoix)
La nuit me libère
Atelier d'écriture #01
Les textes des participants
41 rue molière, appartement 35, paul
bruno
La nuit, j’rêve, j’repense à ce que j’ai fait aujourd’hui. J’ai été me promener en ville et j’suis rentré, seul. J’ai allumé la télé pour regarder j’sais-pas-quoi. J’me suis endormi devant la télé, dans le fauteuil. J’me réveille, j’regarde l’heure. 20h. Faut que j’mange ! J’prends mon temps pour savourer mes carottes râpées. Ça rend aimable ! J’me fais un steak haché-haricots verts. Après, fromage, yaourt-nature-avec-un-peu-de-suc’. J’me remets devant la télé, j’regarde le foot. Pi j’vais me coucher dans mon lit.
J’rêve, j’repense à ce que j’ai fait aujourd’hui. J’voudrais changer de vie ! Vivre dans un pays chaud, l’Espagne ou le Portugal… J’regarde pour louer un logement, j’trouve une maison. Petite : une chambre, une cuisine, une salle de bain, un salon et un jardin avec des arbres, des pommes. J’ai gagné au loto, j’peux me payer ce que je veux ! Une voiture, des voyages, des vêtements, un nouveau look…
Teuh, teuh, teuh
Je tâtonne avec le bras tendu mais j’trouve pas ma bouteille, c’est le réveil. Le réveil, rond, tombe. Il a fait Ding, il est pas cassé. Ma main repart à la recherche de la bouteille. J’l’ai trouvé ! Elle est pas tombée. La bouteille en plastique, tchouk, entre mes doigts. J’bois un coup parce que ma gorge est sèche. L’eau tempérée fait du bien. Faut refermer la bouteille et la reposer par terre.
J’me rallonge, j’retourne à mon sommeil, à ma maison en Espagne. Il y fait chaud, les tableaux sur les murs reflètent le soleil des lieux. Y’en a sur tous les murs, pas de place pour le vide. J’enfile mon nouveau jogging et j’pars au foot. J’me suis payé le club du village et j’suis devenu l’entraineur en chef ! A la fin de ma journée j’rentre chez moi me préparer un bon petit plat. Mais avant de diner, j’passe sous ma douche à multi-jets de massage. Chhhh. J’me sens enfin bien dans la tête et dans le corps. L’avenir s’ouvre devant moi avec tous le sous du loto. Je me suis fait plein d’amis, une nouvelle vie commence. C’est la mienne, celle que j’ai choisi !
Dring, dring
Le réveil sonne. 7h. Faut que j’me prépare pour aller au travail. Une journée dans la boite de fabrication de masques chirurgicaux qui m’a embauché y’a 3 semaines, m’attend.
41 rue molière, appartement 31, Patrick
Alain
Depuis quelques nuits je fais des cauchemars, je me réveille en panique avec une impression de vide, j’ai peur du noir… A chaque fois c’est la même chose, cette impression de me réveiller d’une opération. C’était il y a un an, un AVC mais je me suis réveillé. C’était un réveil étrange, un rêve, je n’avais plus de repère. Je suis ici, non je suis ailleurs… Mais je suis où déjà ? Et il y avait ce silence entrecoupé des bruits de porte, des bruits de pas qui résonnent, le bruit des machines, la nuit de la solitude.
Aller boire un verre d’eau, je ne trouverai plus le sommeil. Regarder la nuit, ça je connais, j’ai l’habitude. Regarder le mouvement des nuages, les étoiles et les lumières des avions. Regarder les ombres des arbres, les ombres des passants. Ecouter le bruit des feuilles, le silence. Entendre les sirènes, essayer de deviner… Penser aussi aux gens qui dorment dehors dans le froid, sous la pluie. Penser à ceux qui travaillent, au boulanger.
Et puis le jour se lève. Une journée revient, plein de surprises.
41 rue molière, appartement 34, Lucia
Karine
Il est bientôt 22H. Je tends l’oreille vers la chambre des garçons avec l’espoir qu’ils se soient enfin endormis. J’entends surtout mon voisin Patrick qui doit faire sa vaisselle. Envie de m’évader…j’éteins les lumières du salon mais je garde ma petite liseuse pour éclairer mon tricot. Mes mains vont travailler un peu, cela aidera ma tête à partir.
A chaque évasion je retourne toujours près du lac, une petite demi-heure avant le lever du soleil, histoire de partager un chaï avec Kishore, de griller une clope, être aux premières loges quand Pushkar se réveille. En quelques minutes la place du Chai Shop quasi déserte jusqu’alors s’anime….
Un bruit de chasse d’eau me ramène brutalement ici, à mon tricot, dans l’appartement 34 de la rue Jean de la Fontaine. Martine et Philippe, mes voisins du dessous, se disputent bruyamment sur le balcon…difficile avec ce fond sonore de retourner à Pushkar.
Mettre de la musique pour couvrir les voix…repartir près du lac. Peut-être aller du côté du campement d’Indra cette fois. En rêve c’est toujours mieux, en rêve j’y suis à l’aise comme un poisson dans l’eau, on rit beaucoup, on chante à tue-tête « le coq est mort, le coq est mort, il ne dira plus cocodi cocoda ! ». Une étrange sonnerie s’invite dans la chanson, il me faut une seconde pour réaliser que quelqu’un sonne à ma porte, il me faut quelques secondes pour quitter mon cocodi cocoda.
C’est Ishane ma voisine de palier, elle me tend mon trousseau de clé que j’ai encore laissé dans la serrure !
Ce n’est pas facile de voyager ailleurs que dans la rue Molière ce soir. Je tente une dernière fois, j’abandonne mon tricot, je m’allonge et je ferme les yeux. Le lac est là, magnifique de quiétude…il se fait miroir…Les lumières, les couleurs et les prières pour Brahma m’enivre…Pushkar tu m’ensorcelles !
41 rue molière, appartement 37, Louise
Gabrielle
Moi, c’est Louise, secrétaire administrative dans un grand groupe que je ne nommerai pas. Tailleur obligatoire, horaire et emploi du temps à respecter à la règle. Suivre les directives, les protocoles, les procédures, c’est mon quotidien ! Mails, courriers, changement de planning, classer, contacter les clients, les fournisseurs, trouver une solution, organiser et réorganiser à nouveau encore et encore. Une pause ? Non, inimaginable, on avance toujours : une deux, une deux, comme à l’armée. On ne doit pas perdre de temps, le temps c’est de l’…
18h30, sortie du travail ; je termine à 17h mais mon patron devait finaliser un dossier urgent, comme souvent ces derniers temps.
Retour en métro, ligne B, encore 25 minutes de trajet et je suis chez moi.
J’habite dans un immeuble, dans une ville magnifique mais que je ne vois pas.
Ma journée se termine, je rentre enfin.
A la sortie du métro, le vent glacial caresse mon visage. Un frisson envahi tout mon corps, l’odeur du froid sec et parfumé s’infiltre dans mes poumons. Je prends une grande inspiration, ce froid qui me pénètre me fait du bien, apaise mes tensions me rappelant mes longues promenades hivernales avec mon grand-père dans la montagne. Les Pyrénées, mon havre de paix, la sensation de liberté et d’évasion portée par l’air pur des hauts sommets enneigés.
Arrivée au pied de mon immeuble, je prends un moment, la nuit vient de tomber, il fait froid mais le ciel est dégagé et j’arrive à voir quelques étoiles. J’inspire à nouveau profondément, finissant de me libérer de cette oppression que j’ai ressentie toute la journée, toute la semaine, car oui j’avais oublié de le préciser c’est vendredi soir.
La beauté de ce spectacle lumineux me fait un bien fou, m’apaise, libère mes pensées et puis je bascule, cette oeuvre d’art lumineuse grandiose et féérique me transporte dans un autre monde, celui des souvenirs.
C’est ce qu’il me fallait un moment de calme, un moment pour moi-même, même s’il n’a duré que quelques secondes. Je me sens sereine et enthousiaste maintenant.
Mon grand-père est là près de moi dans son chalet près du pic du midi, nous venons de rentrer d’une longue promenade dans la neige, j’ai 15 ans. Nous sommes gelés mais heureux, l’air pur a été revigorant et les paysages à couper le souffle. Et maintenant place à notre petit plaisir, la tasse de chocolat chaud à la cannelle au coin du feu, sous un plaid, provenant surement d’un héritage familial : que du bonheur.
Papi, ce soir je vais me faire plaisir, c’est décidé ! Ce cours passage dans mes souvenirs m’a redonné de l’énergie.
Je monte les trois étages de mon immeuble et me dirige vers mon appartement, mon sanctuaire. Je prends le couloir de gauche, devant la porte 307 de mon appartement, je m’arrête, je cherche les clés dans mon sac, toute une épopée, je les trouve enfin et j’ouvre la porte.
Ça y est je suis libre, plus d’ordres, plus de contraintes, plus rien ne m’est imposé, je referme à clé la porte derrière moi. Enfermée dans mon appartement et LIBRE. Je tique, je laisse s’envoler cette pensée, je suis déterminée à rester positive.
Je me dirige donc vers ma chambre, je me change, je me mets à l’aise : ma tenue pilou pilou des grandes occasions aves des dessins de montagnes si chères à mon coeur (pas très glamour je vous l’avoue mais tellement confortable, mais que cela reste entre nous bien sûr !).
Je sors de ma chambre, je vais directement dans la cuisine. Ce soir c’est cuisine maison ! Le self du travail et moi on ne s’entend pas très bien ; carottes en carton, viande et bien sans viande, dessert parfum chimique sans saveur. On se croirait dans un laboratoire expérimental où les aliments ont été créés artificiellement mais où visiblement le gout n’était pas une priorité ! Machez, machez, le carton aime être mastiqué, ingéré et transformé mais quelle drôle d’idée de vouloir qu’il soit apprécié ! Mince je deviens sarcastique, je me reprends.
J’ai besoin de m’évader, de ressentir, de vivre mes émotions. En un temps record je répare mon risotto crevettes, coquilles saint jacques et ses petits légumes. Les odeurs viennent chatouiller ma mémoire olfactive, les effluves me transportent dans un autre temps, une époque où l’on prend le temps de vivre, de partager et de tout simplement s’assoir autour d’une table en famille.
J’entends les cris de joie de mes cousins quand ma grand-mère apporte tous les plats à table : risotto de la mer, poulet farci aux olives, tarte quatre saisons, farandoles de légumes grillés et ces fins batônnets de pommes de terre dont nous raffolons tant nous les enfants. C’est un jour de fête, le partage autour d’un bon repas rempli la maison d’un bonheur immense et communicatif. Et puis sans que cela ne se remarque, les desserts envahissent sournoisement la table, je n’ai plus faim depuis un moment mais je succombe à leurs charmes : tarte tatin, sablés maison au chocolat et gâteau à l’ananas caramélisé. Ce gâteau est mon péché mignon fondant dans la bouche emportant avec lui une ribambelle de saveurs exquises pour mon plus grand plaisir.
Et là je reviens à la réalité, je souris car après mon risotto, le gâteau de ma grand-mère que j’aime temps m’attend dans le réfrigérateur ; pour être plus précise l’ultime part, rescapée d’une visite imprévue de mes deux frères hier soir.
Je termine mon repas, le gâteau n’est plus ; je pourlèche le bout de mes doigts pour prolonger et profiter une toute dernière fois de ces saveurs que j’aime tant car elles me font voyager dans les lointains souvenirs de mon enfance. Apres avoir desservi la table basse sur laquelle j’ai profité de ce bon repas aux souvenirs, je m’installe confortablement dans mon canapé et je prends un livre que j’ai acheté le weekend dernier aux puces.
Je me détache de mon quotidien, je prends mon envol et m’embarque dans la lecture de ce livre où l’imaginaire me transporte dans un monde où tout est possible. Ce recueil me plonge dans un monde ancien, d’un autre temps où les personnages étranges mais attachants se rencontrent de façon improbable. Un lieu hors du temps où chacun apporte sa part de mystère faisant de cette histoire une romance qui né, qui souffre, se perd, se retrouve, lutte pour finalement s’épanouir. Je m’identifie au personnage principal, je vis sa vie, je ressens ses émotions, je suis tour à tour, triste, frustrée, angoissée, intriguée, en colère, joyeuse. Les émotions que je ressens me font me sentir vivante. J’ai terminé mon livre, la fin est arrivée trop vite, bien trop vite et pourtant j’avais hâte de découvrir le dénouement de cette romance, quel paradoxe. Je suis bien même si en moi cohabitent plusieurs sentiments : la satisfaction de connaitre la fin de l’histoire et la frustration que cela soit déjà terminé. Mais comme toujours je ne peux m’empêcher de penser, de rêver un épilogue à cette histoire. Il est une heure trente du matin, je vais me coucher, me blottir sous la couette de mon lit si accueillant. Mon esprit continue de vagabonder ; je reste enfermée dans l’histoire de mon roman, de mon plein gré, je la laisse vivre, je l’alimente même de tout un tas de pensées qui se bousculent dans ma tête. Et sans m’en rendre de compte je glisse dans les bras de morphée mêlant mille et un souvenirs d’enfances, mon roman tel un conte oriental, et fantasmant une vie où tout se réalise car finalement rien n’est inaccessible surtout pas dans les rêves.