Participant #01 ~ Jean-Louis Métivier
Surf sur ligne d’eau
Je n’en crois pas mes yeux, le crawl est pourtant ma spécialité sportive préférée, je n’en vois pas le bout de cette autoroute.
À croire qu’on m’a trompé, dupé, manipulé quand ils m’ont dit que le trajet ne me ferait pas peur, que je n’en ferais qu’une bouchée, qu’une brassée, quelle déroute…
J’ai pourtant l’habitude de nager, même en eau trouble. Les crocodiles ne me font pas peur, en Floride l’année passée, j’en ai fait, des kilomètres dans les marécages !
Et là, je suis déboussolé. Le Nord où est-il ? Suis-je au bout de ma peine, où ai-je encore des kilomètres à avaler, comme un hamster qui tourne dans sa cage ?
Et pas de public, personne ne m’encourage, pas de compétiteurs d’ailleurs, une course contre la montre, même pas de juge de ligne au beau milieu.
J’ai l’impression de ne pas arriver, d’être sur la ligne de départ, je ne me vois pas avancer, pourtant tel un moulin à vent qui déploie ses ailes, j’avance encore de mille lieues.
La ligne d’arrivée s’il y en a une, je demande à voir. J’ai bien mis mon bonnet, mes lunettes de natation habituelles, pas un poisson volant, un dauphin ou une étoile de mer.
Je n’y comprends rien, il y a bien au loin ce soleil qui veut se coucher et qui n’y arrive pas, tout comme moi à finir cette longueur, prisonnier de la lumière.
Depuis le temps que je fais l’aller-retour je devrais y être, au bout de la piste, au bout de la course, au bout de la mer, et non, toujours en train de battre l’eau, de brasser de l’air.
Combien de temps vais-je encore m’accrocher à ce mythe de Sisyphe, pour qui et quel est ce mystère ?
Mon rythme n’est pas mauvais, les mouvements sont aérodynamiques, dignes d’un champion européen des bassins olympiques.
Le chrono ne doit pas être ridicule, pas loin de mon record de septembre de la saison passée où tous les compétiteurs me toisaient de leur corps athlétiques.
Allez, plus que quelques mouvements et j’y serai, arrivé au bord de la piscine et aux applaudissements du public en folie, les cris des aficionados.
Vite, il faut foncer encore, quelques traversées et le repos au bout, la récompense, dans la transe de l’effort des muscles échauffés, quitter le radeau.
J’ai compris ! Un rêve ! C’est un rêve ! Mon imagination me joue encore des tours, des tours et des détours, elle ne veut pas me voir arriver.
Réussir pourtant à ruser, à couper court à cette course endiablée contre moi-même, à trouver la piste qui conduit au summum, au nirvana. Finie la corvée !
J’y suis, je vois mon regard se troubler, je sombre dans une ivresse de l’effort, drogué aux amphétamines, où suis-je arrivé, dans quel état, suis-je le vainqueur ?
Personne alentour. Plus de bruit. Rien que le ciel. Je suis au bord d’une route le pouce en l’air en train de faire du stop. Personne ne s’arrête. Aucun ronflement de moteur.
Participant #02 ~ Gene
Départ
On lui avait dit que ce n’était pas une bonne idée.
- « Tu veux aller explorer la planète Zellia?
- Oui »
Aller vers l’inconnu? Il en rêvait depuis tellement de temps. Et le voici arrivé là où tout est différent. Là où les volcans déversent des laves glaciaires, là où les mers reposent telles des lacs, là où les vents des déserts se fracassent sur la roche. Il est seul dans cette nature que certains diraient hostile, désincarnée. Lui y exulte. Il aspire au renouveau, au déconventionnel, au toujours et maintenant. Il noie ses sens dans des expériences novatrices, exaltantes qui imprègnent ses pores et en exsudent le vivant. Il n’en pouvait plus de cette vie embryonnaire, de ces routes tracées, évidées, déshumanisées. Il exécrait ces chemins stériles, sombres comme l’aube et voués à la stagnation, l’immobilisme.
Chaque lever de soleil le porte vers la traversée inattendue, ce point de vue où le regard au fil de l’eau traverse les frontières invisibles. Il a toujours refusé l’idée des barrières, des barbelés au vitriol qui pénètrent les chairs ensanglantées. Il est opposé à l’entrave inféconde, celle qui broie, qui annihile, qui asphyxie, qui conduit à la perte d’humanité.
Il rêvait de nouveaux espaces faits d’apesanteur pour un cœur vivifié, un cœur explosé d’émotions. Zellia emplit ses aspirations et lui permet de riches expériences. Le temps œuvre chaque jour pour combler les incertitudes passées et nourrir ses pensées. Il se coule dans cette vie à contre-courant, loin de la blafardise de son quotidien. Telle la mue du serpent, son enveloppe s’anime d’une énergie rouge qui le propulse vers l’aspire tant ambitionné.
Participant #03 ~ NP
Déroutée
Je pars en terre inconnue,
Me déconnecte
Bonjour la nouveauté
Lâche prise et me laisse dérouter
Vis désormais
Sans attaches ni à priori
Je vais pouvoir créer inventer oser
Aborder l'avenir sereinement
Explorer la vie autrement
Simplement je me défais de tout
Tranquillement nage contre le courant
Au soleil couchant rêve éveillée
À mon innocence retrouvée
Sans ambiguïté vois mon horizon
S'éclaircir s'assagir s'élargir
Redéfinis ma vie
Enlève les priorités
M'émancipe à tout prix
Du regard des autres de mon jugement
Avance forte
De cette audace maîtrisée
Je m'encanaille
Me perds pour mieux me retrouver
Mon expérience mon alliée
Voyage en toute sérénité
Me métamorphose telle la chrysalide
Celle que je croyais perdue à jamais
Je l'ai enfin retrouvé...ma liberté !
Participant #04 ~ Dawn m cornelio
J'aurais voulu écrire autre chose.
Plusieurs tentatives. Vaines.
Dans la tête ou à même le papier.
Idées de perspectives venues entre les rêves. Inexistants ou simplement oubliés.
J’aurais aimé écrire une fiction. Mais tout ce qui vient c’est une réflexion.
Voyons ce que ça donne. Je pense qu’il n’y aura pas d’autres idées. Alors, allons de l’avant.
Ce qu’on pense voir c’est la paix du monde, face à l’effort de l’individu. L’herbe qui pousse ou jaunit. Le soleil qui se lève ou se couche. D’après les photos qui circulent ces jours-ci, c’est assez juste. La nature profite apparemment de l’absence provisoire de l’humain, même si les dauphins ne sont pas arrivés jusqu’à Venise.
Chez l’humain c’est autre chose. L’humain, malgré l’ennui, malgré l’angoisse, malgré et contre tout, essaie d’avancer. De ne pas faire de surplace. Dans sa compréhension, sa compassion, ou même sa connerie. Un centimètre, une idée, un changement, une larme, un sourire, un soupir, à la fois. Et on recommence.
Quelques mouvements perceptibles dans le monde. Le vrai remous, c’est sous l’eau, c’est dans la tête.
C’est notre réalité. On aide par notre distance au monde, aux interactions, aux amis, à la famille. Notre activité, sous la surface. Nos larmes, nos angoisses, nos petites réussites quotidiennes. Nos grands gestes sont minuscules et invisibles. Notre aide s’offre dans nos absences.
D’autres s’affairent, s’exposent aux dangers.
Nous, nous espérons.
Nous espérons les aider.
Participant #05 ~ Valérie H.
L'esthète dérouté
Il nageait, nageait, nageait.
Instinct de survie ? Amour du geste ?
Esprit de recordman ?
Nul ne le savait
Soif de compétition ?
Surgi de nulle part, sur la départementale
Concentré.
L'air de rien
Il nage, nage, nage.
Avec grande attention,
De ses lunettes et bonnet, paré
Parfait
Dans ses mouvements, un esthète
Qu'il pleuve, vente,
De jour comme de nuit
Un seul objectif.
Une ligne d'horizon
Nager, nager, nager.
Vers où ?
Vers quoi ?
La même question toujours
Entre rêve et fiction...
Sur sa ligne de flottaison,
Entre dans la profondeur de champ
Imperturbablement.
Nager, nager, nager.
Il est dans la pure sensation
L'œil du photographe a capté l'attention
Tourné vers l'arrière-plan ou porté sur la vision
D'un premier plan en pleine action
Codes cassés par cette démonstration
Imaginaire du plaisir de natation
Traverse sans plus de réaction
Dans son univers, reste avec passion.
Il nage sans plus de raison
Nager, nager, nager.
Rêve ou fiction,
Raison ou imaginaire
Il traverse la scène et coupe la ligne d'horizon
Le chrono tourne est-il sur les nerfs ?
Infatigablement
Nager, nager, nager.
Participant #06 ~ Colette lafont
Des routes
Il a franchi la ligne.
Il eût pu le faire en brasse coulée
nul ne l'aurait vu
lui ni sa photo.
Mais il a choisi le crawl sportif
et l'allure vaillante de celui qui fend l'espace
trace sa propre route vers son désir.
Seul dans l'aventure
comme souvent.
Vient le moment de se jeter à l'eau
même s'il n'y a pas d'eau.
Malgré tout il a franchi la ligne.
Pas une ligne imaginaire,
elle est visible, surpeinte de blanc.
C'est une limite.
Celui qui ne fait rien comme tout le monde,
Don Quichotte contemporain,
là où chacun voit une route a vu un fleuve :
Il a plongé.
Et le fleuve de son mirage le porte
l'emporte.
Nul ne verra l'exploit.
Il ne s'agit que de lui seul
et c'est déjà bien assez.
Participant #07 ~ Mathilde B.
Fendre l'asphalte
Nous devions partir à l’aube, la voiture remplie dans ses moindres recoins de bagages, matériel de plage, linges de maison, de rouleaux d’essuie-tout et de papier toilette. De victuailles, paquets de chips et petites bouteilles d’eau, de deux enfants et quatre doudous.
Un large échantillon, en somme, tout à fait déraisonnable de nos réels besoins. Un ensemble de petits « au cas où » pour un grand tout terriblement fouillis. Un casse-tête désopilant pour tout faire tenir dans l’habitacle de la voiture, sorte de Tétris géant en trois dimensions.
Il s’agissait tout de même de traverser la France sur 700 kilomètres pour 3 semaines d’échappées.
S’éloigner de nos terres arides pour aller rejoindre l’océan et s’extirper enfin du quotidien pour notre parenthèse estivale : les vacances à la mer. Celles qui donnaient sens à une année de course contre la montre, de réveils trop tôt, de couchers trop tard, de travail acharné et d’hiver qui s’attarde.
Un dernier tour aux toilettes, lavages de mains, comptage des gosses et des doudous, et j’additionne 2, je retiens 4, plus 2 parents, multipliés par l’excitation du départ, ça donnait qu’arrivés au bout de la rue, on s’interrogeait systématiquement sur le fait d’avoir bien éteint la lumière du garage, sorti la poubelle ou fermé la porte d’entrée...
Les vacances commençaient vraiment dès lors que tout ce petit monde et son fatras foutraque se retrouvaient confinés dans les 4 mètres carrés de la grande auto, lunettes de soleil vissées sur le nez et projection de l’ailleurs à venir.
Et tant pis pour les oublis de seconde nécessité sur le coin de table : la crème solaire, le roman préparé à la hâte, les mots mêlés, les brosses à dents des enfants.
C’est fou, toujours un oubli.
Et pourtant, toujours, on y survit.
Dès les 10 premières minutes, les enfants demandaient si nous arrivions bientôt – non – si l’on pouvait manger des chips – non, il est 8h, tu viens de prendre ton petit déjeuner – un bonbon alors ? - non plus – enlever nos chaussures et nos chaussettes ? - oui, du moment que tu gardes ta culotte !
La France serait longue à traverser mais ça faisait partie des vacances et de ce qui ferait plus tard le sel de vie de nos vieux jours. Alors on tenait bon. On proposait de faire un Petit Bac, de compter les voitures grises, de jouer au roi du silence ou mieux encore, de faire un concours de siestes.
Il faut reconnaître que j’étais plutôt bonne à ce dernier jeu.
Depuis toute petite, j’aimais l’état second de rêverie éveillée que procuraient les trajets en voiture. J’aimais être obligée de ne rien faire d’autre que d’observer les scènes qui s’offraient à moi, derrière la vitre de la voiture, et inventer des brèves de vies aux inconnus de mon passage. J’aimais l’ivresse légère que provoquaient les mouvements de la route et plus encore les petits guilis au ventre, après avoir franchi un cassis à vive allure.
Je m’endormais donc, lentement, luttant un peu, pour voir du pays.
Et puis je sombrais plus fort, dans un inconscient déjà là-bas, dans l’ailleurs des vacances.
Devant moi, l’océan. Immense.
Dans mes cheveux et sur mon visage, l’embrun.
Derrière moi, les tongs et les vêtements quittés à la hâte sur le sable, et puis eux trois, qui m’observaient depuis la voiture.
Courir – plonger – fendre l’eau d’un geste ample,
un crawl parfaitement maîtrisé – silence, profondeur, respiration, horizon, ciel, silence, profondeur, horizon – jurons – coup de freins – ABS - - - - - - -
réveil !
- Qu’est-ce qui se passe ?!
- C’est rien, on arrive sur Bordeaux ! C’est toujours bouché ici, quelle que soit l’heure ! On n’est pas rendus !
Silence, soupir. Horizon, bouché.
Participant #08 ~ J'Acte Mesrimes
Nager sa vie...
Ne pas avoir de doutes.
Coûte que coûte, traverser la route,
Pas pour trouver un emploi, juste pour soi,
Pour que tout son être se déploie !
S'affranchir de l'écume du bitume,
Oublier la planche, privilégier la glisse...
Tel Ulysse, user de malice,
Au chant des sirènes, être étanche,
Franchir la ligne blanche...
A chaque brassée, penser à bien respirer,
Inspirer, expirer, s'extirper,
Surtout, prendre garde à ne pas se noyer !
Vers les cieux, tendre la main,
Les yeux rivés sur demain.
Oser, conseil important,
La nage à contre-courant !
Participant #09 ~ Cécile Turek
Aquaroad
À vos marques...
Le signal retentit dans l'enceinte résonnante du centre aquatique. Mais elle est sourde... Elle ? Un petit bout d'humanité qui traverse l'autoroute de la vie. Une route bien sinueuse qui pourtant la mènera à destination. Laquelle ? Sûrement la même destinée à tout être vivant. Pour l'instant, elle fixe toute son attention sur cette ligne d'eau.
Dans les vestiaires, elle s'est remémoré le rêve qu'elle avait fait la veille. Un jeune homme aux commandes d'un bateau navigue sur une rivière. Il a pour mission de jeter par-dessus bord des êtres humains. Il largue ces corps inexpressifs sans éprouver ni crainte ni remords. Sous la surface, d'autres individus, dépourvus de bras et de jambes, le visage dissous, les attendent. Probablement livrés eux-mêmes à la rivière un peu plus tôt. Ils doivent y revenir plusieurs fois afin qu'à force de les ronger, de les élimer, ils finissent par les éliminer. Ils s'acharnent sur ces chairs si bien que le ressac de leurs sempiternelles attaques mue à leur tour les corps en troncs. Tous baignent perdus dans des eaux troubles, sorte de liquide amniotique où des fibres de chair surnagent autour des victimes, victimes des victimes.
En se réveillant, elle s'était spontanément comparée à ces chimères. Elle s'était demandé si elle ne trouvait pas dans cette eau chlorée une réminiscence de son état fœtal. Un retour aux sources de la vie, de sa vie. « À mes marques, à mes repères quels qu'ils soient. Peu importent les racines de mon arbre de vie, seuls ses fruits comptent. », pense-t-elle au moment de prendre la posture de départ.
Prêts...
On n'est jamais prêts à quoi que ce soit même avec les meilleurs repères du monde au départ. On a beau s'y préparer, les choses ne se déroulent jamais exactement comme on l'a prévu. Prêts à quoi d'ailleurs ? A affronter les épreuves, les douleurs, les déceptions, la perte de ceux qu'on aime ? Parce que pour les petits et grands bonheurs on ne vous demande jamais si vous êtes prêts... On vous dit « Profite bien ! » Elle, ni plus ni moins que quiconque, pouvait en témoigner. Au début, elle s'était servie de la natation comme d'un refuge. Une activité où noyer son angoisse de ne pas se sentir à la hauteur de la tâche qui lui incombait sur cette Terre : vivre. Pendant l'effort s'opérait un oubli de soi et de sa douleur. Une anesthésie de la pensée par la suprématie du corps. Un engourdissement du mental par la contrainte physique. Il avait fallu qu'elle se blesse pour comprendre le subterfuge d'un tel fonctionnement.
Partez...
Au signal ses muscles se tendent. Le contact de l'eau lui apporte instantanément un réconfort immédiat. Tout est plus simple, plus fluide, plus évident dans l'eau. Néanmoins, cela n'a pas toujours été le cas. Toute petite, son aquaphobie était telle qu'elle ne pouvait même pas envisager de se faire laver les cheveux dans la baignoire sans hurler. Sa peau ressentait comme une brûlure intense au contact de l'eau. Alors nager... qui l'aurait cru ? Et pourtant à l'âge de 7 ans, il lui avait fallu apprendre. Elle s'était consumée lorsqu'il avait fallu s'immerger dans la fournaise aquatique. Elle se souvient de la monitrice l'immolant dans le bassin de deux mètres. Son corps garde encore la mémoire de la terreur ressentie et de cette sensation que la vie s'arrête. Étonnamment, plusieurs mois plus tard, elle fusionnait avec ce nouvel élément jusqu'à l'absorber, le faire sien. La profonde panique avait laissé place à un enivrant apaisement. Depuis, à chaque plongeon, elle hésite à refaire surface et revenir.
A vos marques, prêts, partez !
Elle centre son attention sur ses mouvements et son souffle. Elle redouble de force et de précision dans ses mouvements, elle accélère. Toutes ses errances se combinent dans des gestes précis. Elle s'y jette feu et flamme. Puis, tout à coup, dans un dernier élan, elle parvient à la ligne d'arrivée. Son GPS intérieur lui annonce :
« Vous êtes arrivée à destination. »
Larguer ses amarres puis jeter son ancre. Partir pour mieux revenir à soi. C'était sa dernière course.
Participant #10 ~ Christian Sautier
Se laisser dérouter
Je vais vous raconter une incroyable histoire. Je n’avais que 8 ans et j'ai fait un rêve étrange.
Je dormais à l’ombre d’un vieil arbre au bord d’un étang et un petit écureuil, assis sur une branche, se mis à me parler.
"Bonjour Christian ….
Je fus très étonné mais la petite taille de mon interlocuteur me rassura.
- Qui es-tu ?
- Tu vois bien, je suis un écureuil et je voudrais être ton ami, je n’ai personne à qui parler ici. Tu veux bien ?
- Ok. Parlons !
Nous avons conversé longtemps, longtemps...
Au terme de ce bavardage, le petit écureuil s’est assis sur mon épaule et nous sommes allés nous promener. Nous avons traversé une immense prairie recouverte de fleurs multicolores, un coin paradisiaque. Nous sommes arrivés au bord de la route, un long ruban noir filant vers l’horizon et nous nous sommes assis dans l'herbe haute du talus.
Le petit écureuil qui regardait la route me dit :
- Votre vie à vous les humains est comme cette route, triste et monotone. C’est pour moi une plaie qui traverse mon jardin. Si tu n’avais pas quitté cette route on ne se serait jamais rencontré.
Le petit écureuil me dit alors :
- Je dois partir maintenant.
-Rappelle-toi, Christian, de ce que je viens de te dire."
J'essayais de le retenir...en vain.
Il traversa la prairie et alla retrouver son grand arbre. À cet instant, je fus sûr que je ne l'oublierais jamais. Je restais seul sur le talus, regardant cette route.
Là, je me suis réveillé en sursaut, les yeux mouillés !
Longtemps ce rêve m'a marqué par son réalisme, et les paroles de mon ami sont restées ancrées en moi.
Bien des années plus tard, je partis en vacances seul dans ma petite voiture. Je circulais sur une route toute droite et interminable. Elle traversait d’immenses champs de blé, des forêts verdoyantes, des prairies recouvertes de fleurs. Devant la beauté de ce paysage, je décidais de faire une pause. Je me suis arrêté sur le bord de la route pour admirer le paysage et je me suis alors souvenu des paroles d’un ami écureuil dans un rêve d’enfant, il y a bien des années.
Un petit chemin sur ma droite semblait m’inviter à entrer dans un petit bosquet. Je ne savais pas consciemment d'où venait cette attirance mais je décidais de quitter la route. Au sortir de ce bosquet, j’ai découvert une immense prairie recouverte de fleurs multicolores, un coin paradisiaque. Et là, je l’ai vu, il trônait seul, majestueux, le grand arbre de mon rêve au bord d’un petit étang. Je me suis assis sous l’arbre et j'ai regardé autour de moi, je me suis senti comme de retour dans mon rêve !
Je regardais la caresse du vent sur le petit étang et je décidais qu’un bon bain me ferait le plus grand bien après ces longues heures de route. Apres cet instant de détente, je m’allongeai sous l’arbre.
Soudain, un bruissement me fit sursauter. C'est à ce moment-là qu'au-dessus de ma tête est passé un écureuil. Cette vision me laissa rêveur.
Je ne sais pourquoi, je me suis mis à lui parler.
"Bonjour mon ami ? Te souviens-tu de moi ? Tu vois j’ai suivi ton conseil, j’ai quitté ma route et j’ai découvert ton beau jardin."
Le petit écureuil ne m’a pas répondu bien sûr.
Encore aujourd’hui, j’y repense souvent, cette étape sur ma route restera le plus beau souvenir de mes vacances.
Participant #11 ~ sandra LB
Plongée bienheureuse sur les chemins de traverse
J’ai quitté Saint-Remy vers 16h. Je déteste conduire de nuit et plus encore sous la pluie. La route est longue – 434 km –, j’aurais dû partir plus tôt. Il était 11h quand Sophie a appelé. Jean lui a dit que j’étais arrivée hier et repartais aujourd’hui. Moins d’une heure après, ils étaient là, Sophie, Emile et les garçons, puis Charles, son fils. Jean lui avait envoyé un message, lui proposant de nous rejoindre à déjeuner. Sitôt l’invitation lancée, Jean était parti acheter du pain et du charbon de bois, tandis que ma tante Jackie avait sorti deux douzaines de saucisses du congélateur et mis trois bouteilles de rosé de Provence au frais avant de sortir la vaisselle des jours de fête. Là, j’ai su que le départ allait être compliqué, du moins retardé.
Je roule et je fatigue. Nous avons pu déjeuner dehors, près du tilleul, malgré un temps menaçant. Finalement, c’était un bon moment. J’étais ravie de revoir les enfants. Ils ont maintenant 7 et 9 ans… Ils n’allaient pas à l’école la dernière fois que je suis passée, c’étaient des bébés. Comme le temps passe vite ! Ce sont maintenant deux petits gars toniques et, bien que différents - le cadet plus intéressé par les activités tranquilles, comme le dessin, que l’aîné, toujours dans les jambes des grands –, ils ont tous les deux de petits yeux noirs en amande, tout comme leur mère et leur grand-père. Jean dit que c’est la marque de fabrique de la famille Tisani, fromagers affineurs de père en fils depuis 1908. « Et fille depuis ?… depuis ? » 12 ans cette année.
Quand j’y repense… Pas un repas de famille sans que Jean ne mette Sophie à l’honneur. Sa fille aînée a rejoint la fromagerie dès son baccalauréat en poche, puis, deux enfants accouchés, a repris des études en marketing pour développer l’affaire familiale à l’export. Et aujourd’hui comme à l’habitude, la conversation s’est concentrée sur les questions courantes de l’entreprise. Sur la laiterie Vacher qui pour la deuxième fois en un mois n’a pas livré à temps, sur le congé de maternité de la première vendeuse, pour dans deux semaines alors qu’on a des problèmes avec les apprentis, qui ne sont pas motivés, sur le chien du maire adjoint qui a encore levé la patte sur la vitrine. « On a la tête sous l’eau en permanence », a dit Sophie à plusieurs reprises, avec dans la voix la fierté de ceux qui pensent être les seuls capables de se remettre de tout. Oui, ce déjeuner était fatiguant parce qu’ennuyeux.
La route n’en finit pas de courir devant moi et avec la pluie fine qui commence à tomber, elle me fait penser à la vie des Tisani, Jean et fille. Toute tracée, droite, absorbant l’eau comme il le faut. Je pense à Charles. Lui aussi a les yeux en amande, mais bruns. Il a toujours l’élégance de ne pas faire remarquer cette différence. Peut-être par générosité, pour éviter de rappeler à son père qu’il y a eu une autre femme que Jackie dans sa vie ? Ou pour garder le souvenir de sa mère pour lui-même ? Après le décès, il y a six ans, on s’attendait à ce que Charles connaisse une longue traversée du désert dans lequel il aurait perdu envies, emploi, amis. Au lieu de cela, il a continué d’animer son émission de radio et il a persisté dans son rêve de faire de l’écriture son métier. J’en avais eu écho par Jackie, en prenant des nouvelles au moment des vœux. Jean était inquiet que Charles s’obstine à refuser tout emploi à la fromagerie.
Le ciel et l’asphalte s’assemblent comme pour me faire écran. Je peine à suivre la ligne blanche et je n’en suis qu’à la moitié du chemin. Je ne sais même pas quelle est la radio où Charles travaille. Jackie ne me l’a jamais dit, il me semble, ou bien je ne m’en souviens plus. Je ne sais pas non plus quel genre d’émission il anime. A-t-il une spécialité, est-il journaliste ? Tout en fixant la route, je glisse la main dans mon sac posé sur le siège avant de la voiture et attrape le paquet que Charles m’a offert alors que j’étais sur le départ. À la forme, je sais qu’il s’agit d’un livre. Par sécurité, je m’arrête sur le bas-côté et ôte le papier kraft qui emballe ce qui est, plus exactement, un roman dessiné. Sur la couverture figure un nageur. Ou plutôt, la tête d’un homme, les yeux couverts par de petites lunettes de piscine. Sous le titre « Sortir la tête de l’eau », est écrit comme à la main : plongée bienheureuse sur les chemins de traverse.
Aurais-je jugé trop vite ? Après deux minutes de réflexion, je reprends la route, mais en sens inverse, direction Saint-Remy. Je ne voudrais pas rater un dîner extraordinaire…
Participant #12 ~ Jean Moynier
Le Nageur
S’évader ! Partir d'ici, fuir.
S’enfuir à tout prix ! Quitter ces lieux, ces jours sans fin... Cet espace sordide où l'on ne saurait vivre. Je dis vivre comme un Homme…
Y survivre cinq ans est déjà un exploit. Et à quel prix ? Je regarde mes camarades, trimant sous le soleil, besognant au fond du trou, amaigris, affamés, épuisés… Nous ne sommes plus que des ombres furtives, hâves et courbées sous les cris et les coups, fuyant les crocs des mâtins. Au fond, dans les boyaux étroits, l’air froid comme le tranchant crasseux des outils, n’est que poussière. En haut, sur le carreau, le soleil brûle les épaules et les dos. Le carreau, c'est le fouet qui siffle, nous mord et nous lacère et c’est les chiens aux aguets, qui veillent, féroces.
La mine, c'est la géhenne, la mort à petit feu. On ne vient jamais à bout du travail harassant. On le sait, c’est lui qui viendra à bout de nous… Creuser, creuser toujours, plus bas et plus profond. Pour voir de temps en temps, dans sa gangue grossière, briller comme un œil sec et froid, quelque éclat de diamant. La mine c'est l’enfer, c'est la machine aveugle qui broie jour après jour et dans un même geste, inlassablement répété, le minerai et les hommes. Hommes ? - Esclaves ; esclaves venus de vingt nations et priant mille dieux. Cent-trente morts-vivants enchainés et plongés à jamais dans le même creuset.
La seule paix c'est le soir, juste après la gamelle, quand les feux retombent en braises. Un chant s’élève, grave et lent, nostalgique, de cent poitrines décharnées et monte vers les cieux. Chant du pays, ode à la terre natale, cantique du souvenir et de l'espoir moribond.
M’enfuir ! À n’importe quel prix !
Ce soir la nuit est noire et les gardiens ont bu…Les chiens sont rassasiés, la lune s'est couchée laissant la place aux rares étoiles pâles qui scintillent entre les nuées.
Je me suis glissé sans un bruit sous la clôture. Au-dessus des foyers montait la douce mélopée de mes frères de chaines. J'ai rampé hors d'haleine jusqu'aux premiers fourrés puis marché à l'estime vers les monts Gangoora qui s'élèvent au loin, bien après la frontière.
Maintenant je dois franchir la rivière. Courir pour ne pas mourir. Au-delà c'est l’espoir, la vie… Adieu les chaines, les molosses et le fouet. J'irai libre et dressé sur ma terre natale, savourant, enivré, ma jeune liberté. J'irai jusque chez nous, j’enlacerai ma mère et descendrai au champ saluer mon père et mes frères.
Le fleuve serpente au fond de la vallée telle une route grise au milieu du désert, reflétant les nuages comme un miroir d’étain. J'étais un bon nageur jadis et ce dernier obstacle n'est pas pour m’effrayer… J’entends des chiens japper quelque part dans le bush. Leurs aboiements glacent mon sang. Je reconnais leurs voix ; ce sont ceux de la mine... Des torches s'agitent, fouillant l’obscurité. Dans l’entrelacs des arbustes elles se croisent et virevoltent, feux follets qui auraient un langage. Leurs mots de lumière résonnent en moi comme un arrêt de mort.
À l’horizon des collines rousses le soleil blême déchire les derniers voiles de la nuit sur un ciel gris de plomb. Une centaine de foulées me séparent encore de la route liquide qui coule vers l'ouest. Vite franchies, je me lance à l'eau à la seconde même où retentissent deux détonations. C’est un coup de poing qui me projette en avant. Dans l'eau tiède et profonde je nage de toutes mes forces vers la rive opposée. Puis, soudain une douleur irradie dans mon épaule gauche… Nageant de mon seul bras valide je me fatigue et n’avance plus guère... Autour de moi l'eau semble se figer, comme coagulerait un fleuve de sang. Le soleil jaunâtre la fait miroiter ainsi que du mercure. Je suis immergé dans un lac de bitume. Une camisole d’asphalte. À nouveau prisonnier ?
Là-bas, loin devant moi, la rive… La rive !
Participant #13 ~ Jean-Louis Ruifernandez
La grande traversée
Au-delà de la banalité du sujet, cette photo, pourquoi le nier, m’interpelle. Quoi de plus banal en effet qu’un homme qui traverse sans danger apparent une route nationale déserte. C’est son droit que je sache, pourquoi s’en formaliser ? À cette situation, que certains trouveraient énigmatique et qui pourrait paraitre invraisemblable au regard du commun des mortels, je trouve une explication rationnelle. Pragmatique, je constate, je questionne, j’expose. Et j’explique.
Cet homme qui nage sans complexe dans une large couche de bitume, d’où vient-il et, question subsidiaire mais néanmoins essentielle, où va-t-il ?
Son corps nu d’athlète surentrainé, la puissance de ses bras favorisant l’efficacité d’un crawl maîtrisé, ne laissent aucun doute : manifestement il est sorti tout droit de la piscine où, tout au long de la journée, pour tuer le temps, il effectuait, d’un bord à l’autre bord, des va-et-vient aussi monotones qu’interminables. Imaginez : réduit à l’échelle d’un poisson rouge baignant dans son confinement, c’est tourner durant des heures et des heures dans un bocal à l’exiguïté mortellement anxiogène.
Notre homme, tout comme le petit poisson rouge cité plus haut, n’en pouvait plus de nager dans ses bulles. Alors, il a bondi, jailli hors de son bassin-bocal, dans son élan a tracé son sillage jusqu’à la route nationale, la traverse, selon la photo, sans difficulté, (regardez attentivement, la nationale est déserte), va plus loin encore, poursuit son effort poussé par un battement de pieds exceptionnel, c’est là un avantage indéniable, qui le propulse à la façon de la puissante hélice d’un hors-bord italien , puis va plus loin, par-delà les vertes prairies, les champs de blés en herbe, jusqu’aux terrains en jachère tachés de coquelicots, salué d’en haut par le piaillement joyeux des hirondelles. N’étant handicapé, heureux homme, par aucune insuffisance respiratoire, incontestablement notre fugueur a du souffle ; en toute hypothèse et contrairement à l’opinion commune, rien ne s’oppose à ce qu’il poursuive sa fugue à travers la campagne. De temps à autre, pour se détendre, loin des remous du monde enfermé, il lui arrive de faire la planche, le regard sereinement tourné vers le soleil qui l’accompagne, complice, dans son échappée belle.
Ainsi jusqu’à la mer…
Là, comme en apesanteur, porté par les doux clapotis des vagues, il respire, avide, une nouvelle vie. Mieux, il entre en résurrection. Bien sûr il nage encore, mais il nage dans le bonheur !
Quant à vous vous qui lisez ces lignes, il convient que, désormais, vous rompiez avec les préjugés. Convenez-en, n’avait-t-il pas toutes les raisons de traverser la route à la nage ? Vous êtes sceptiques? Je ne voudrais pas paraitre grossier, mais si vous ne croyez pas à ma démonstration difficilement discutable, c’est que, pardonnez-moi, vous êtes atteints d’une sérieuse atrophie de l’imaginaire. Croyez-moi, c’est grave !
En ce qui me concerne, je ne vous cache pas que cet homme m’a donné des idées : dès demain je vais m’initier à la brasse papillon….
Participant #14 ~ martine bédier Alias 4532martine
Rêve et évasion pendant le confinement
Que de souvenirs me reviennent en mémoire quand j'aperçois cette route au loin ! Elle apparaît comme une ligne droite et infinie. Oui, cette route qui traverse la Basse Californie de San Diego à Cabo San Lucas et que j'ai empruntée, en chevauchant une Yamaha 850 TDM.
La basse Californie vous connaissez ? Comme son nom ne l'indique pas, il s'agit d'une province mexicaine située dans le prolongement de cette bonne vieille Californie américaine. Mais si !! Cette espèce de langue qui pend le long du Mexique, côté Pacifique. Ah ! Vous voyez, vous connaissez !
Ma moto tourne comme une horloge, révisée et astiquée, prête à avaler les 2000 kilomètres qui la séparent de Cabo San Lucas, à l'extrême pointe de la Basse Californie. Ce moyen de locomotion est l'outil idéal pour découvrir cette langue de terre désertique.
La frontière entre les USA et le Mexique est San Diego. Elle ressemble à un mur de Berlin. Je distingue une fortification et du fil de fer, mais le passage s'opère à peu près comme celui du Cotentin au Calvados. Bien sûr, une fois de l'autre côté, les buildings se tassent un peu et les baskets des locaux sont plus aérées, mais que voulez-vous, c'est le climat qui veut ça !
Le premier village traversé est Ensenada. Mon impression, en touriste rêveuse que je suis, avec un brin de culture cinéphile, me dévoile une horde de « sergent Garcia », sortie tout droit de la série télévisée Zorro, qui déambule dans les rues. Allez, direction la pompe à essence, et là je comprends très rapidement que la mise à zéro des compteurs sur les pompes mexicaines dépend du bon vouloir du pompiste, généralement plus prompt à m'arnaquer qu'à sauvegarder mes intérêts.
L'arrivée sur la plage de San Quentin est une image qui marque. Une nature sauvage où transparaît la puissance du Pacifique. Je profite d'une petite pause, pour déguster la boisson locale, la Téquila, c'est un régal. Tchin Tchin ! (À consommer avec modération).
Le troisième jour, j'aborde les premiers cactus candélabres qui bientôt deviennent des forêts de 6 à 7 mètres de haut. C'est impressionnant ! Au-dessus de ma tête, les urubus, charognards noirâtres, attendent qu'une vache famélique veuille bien se laisser écraser par un de ces monstrueux camions américains. Et voilà, je suis dans le désert de cactus avec néant humain, pas l'ombre d'un sombrero à l'horizon.
Les premières étapes, longues de 150 à 200 kilomètres, respectent mon postérieur. De là, va pour Guerrero Negro à la rencontre des baleines grises qui, chaque année de janvier à mars, viennent du détroit de Béring se reproduire dans ces eaux plus tempérées.
Je reprends la route et après un slalom entre les cactus montagnards, je débouche sur la mer de Cortès près de Santa Rosalia. Pendant une cinquantaine de kilomètres, la route suit le tracé du relief avant de filer vers Loreto. J'y passe la nuit, dans un hôtel, et au petit matin, vingt mètres suffisent pour être au ras de l'eau et admirer le lever du soleil sur cette mer d'huile.
Je découvre également La Paz, la capitale, située dans une baie calme et j'en profite pour faire un tour de jet ski. Ça vous donne envie ! N'est-ce pas ?
La dernière étape me conduit à Cabo San Lucas, le Saint Tropez local, avec sa marina et ses Américains par milliers. Voilà, mon périple se termine après 2000 kilomètres avalés sur cette route qui se nomme :
« MEXICO HIGHWAY NUMBER ONE »
Des souvenirs plein la tête mais aussi des kilomètres de pellicules photos.....eh oui, à cette époque le téléphone portable n'était pas de mise....c’était en 1997.
Participant #15 ~ Jacote
Vous avez dit rêver ?
La route est longue, longue, longue,
Marche sans jamais t’arrêter.
Pas âme qui vive en cette fin de journée,
Aucun tracteur ne ronronne au loin,
Le paysage invariable sans fin,
Pas un oiseau ne lance sa joie,
la route est longue, longue, longue,
Chante si tu es fatiguée
Qu’est-ce que j’ai dans ma p’tite tête à rêver…
d’une grande route paisible et silencieuse,
où marcher, un pas devant l’autre, sans effort,
Nage, nage, nage, sans jamais faiblir,
Concentre-toi, et la victoire sera tienne
Nage, nage, nage, de toute ton énergie
Ta route de rêve aura disparu avec le soleil
Ta joie sera immense et tu chanteras
ton ciel se fera sur terre avec tes bras
Participant #16 ~ Myriam Langlest
Encore trois largeurs
Encore trois largeurs et elle s’arrête. Assise sur le talus, la serviette à la main, elle fume. Cette eau ! Quinze aller-retour ce soir. Elle rit en bougeant ses muscles. Il fait chaud. Elle se souvient encore quand cette chaleur s’accompagnait du chant du grillon, surtout à cette heure-ci. Elle se souvient des insectes. Le silence fait partie de ce nouveau monde. Ni animaux, ni machines, ni voix humaines. Elle est vivante. Elle est seule. Elle n’a plus peur. La terreur est passée depuis qu’elle a trouvé le magasin abandonné. Elle restera le temps des provisions. À manger, à fumer, même à lire.
Elle a cessé de chercher à comprendre pourquoi depuis longtemps. Les routes sont devenues des rivières. Les rivières sont pleines de cailloux jaunes. Depuis un mois elle s’est aperçue qu’elle parlait seule. Depuis trois mois, elle a cessé de chercher un autre humain. Elle ne sait plus exactement depuis quand elle s’est réveillée seule dans sa ferme. Elle réfléchit à voix haute : « Tu dois faire un effort sinon ton cerveau va se ramollir. Comment faisaient les prisonniers ? » Mais elle n’est pas prisonnière. Elle peut aller où elle veut. Elle est juste seule. Seule juste. Juste. Seule.
Ça doit être depuis qu’elle a suffisamment à manger, qu’elle se questionne autant. Avant la course à la survivance occupait ses neurones 24 heures durant. Mais depuis la découverte du magasin, sa tête est pleine de pourquoi. Des pourquoi inutiles. Les réponses ne sont pas à sa portée. Alors elle nage, elle court, elle chante, elle hurle. Elle compte aussi : 3321 pas du magasin à la rivière. 20 boites de conserve. 42 revues, la moitié de porno. 4 pelles. 26 paquets de cigarettes. 50 paquets de chewing-gums, pas d’eau du tout mais il y a la rivière. Dans 700 boites, elle reprend la route, enfin la rivière-route. Elle a trop chaud. C’est décidé, elle ira au Nord.
Depuis une minute son oreille se tend inconsciemment. Quelque chose cloche. L’eau clapote. L’eau n’a jamais clapoté. Le nouveau monde n’a ni poissons, ni coup de vent. Alors d’un coup elle s’élance. Elle court dans la poussière. Elle glisse, elle tombe, se relève, pleure. Ses poumons brûlent. L’eau bouge, c’est sûr. « Qui est là ? Ne partez pas, je m’appelle Aline ! » Agrippée au rocher, elle voit la terre s’enrouler, tanguer, gronder. La terre tremble. Une seconde ou une minute, l’effroi est le même. Le silence est revenu. Aline se lève. Et soudain elle la voit, la rivière. Ou plutôt, elle voit qu’il n’y a plus de rivière. Plus d’eau, plus rien à la place. Du silence, de la chaleur. Et de nouvelles questions : « Combien je peux porter de boites de conserve dans mon sac à dos ? Le Nord, c’est bien ? La mort peut-être ? Une corde, un couteau ? »
Participant #17 ~ Pascal langlest
Ce soir-là, il faisait une nuit d’encre. C’était l’hiver et évidemment l’obscurité vous noyait de façon doucereuse. Elle s’installe dans votre tête comme on se jette sur un matelas cotonneux.
Il faisait une nuit de piscine fermée. Une route détrempée, des bas-côtés débordants, des panneaux indicateurs comme des bouées de sauvetage.
D’un coup, la pluie a redoublé de puissance, de force, de débit. Le ciel se déversait sur la route. Même les puissants projecteurs du camion avaient du mal à transpercer ce déluge.
La ligne blanche à peine perceptible devenait le seul signe de salut. La tempête enorgueillie par un fracas de tonnerre fit trembler le lourd habitacle.
Les arbres prenaient des formes de voilure dignes des navires passant le Cap Horn. Les dernières lueurs d’un sommeil endormi ne laissaient rien présager de magnifique pour la suite.
Ce coup de grain s’avérait tourner au désastre. Les hautes branches des vieux chênes, secouées, molestées, s’arrachaient de leur cime pour s’écraser comme un vieux crabe sur la chaussée noyée.
Une lumière au loin !
Suivre cette bon sang de ligne blanche !
La balise !
L’ouragan a eu raison de ce vieux genévrier centenaire ; en s’arrachant avec douleur et désespoir à sa terre, il a ouvert un sillon perpendiculaire à la route.
Debout sur les freins, aveuglé par les phares des pompiers,
il me reste
cette image.
Participant #18 ~ Christian Trézin
Le bout de la route
Reprendre la route. Dans la brume qui l'habitait l'image prit forme, sans prévenir, sans s'imposer, comme un insecte traverse le champ visuel et en sort. Il se répéta, surpris, « Reprendre la route ». Une idée nouvelle, après tant d'années de contrôle et de néant, une idée fugace. Un temps passa, indistinct, son esprit se déplaça. Il reprit le contrôle de ses mouvements. Il avançait sans effort, avec fluidité, sans défaillance ni plaisir. Il parcourut une distance assez longue vers le large avant qu'elle ne revienne et s'installe. Était-ce vraiment une envie mûrie en silence, à son insu, un souhait aujourd'hui ? Rien n'avait laissé jusque-là pressentir une impatience. Son quotidien était devenu sa nature. Il n'avait plus de besoin au-delà. Répéter les gestes, suivre les instructions, obéir. Sa mémoire n’était qu'une terre étrangère, interdite d’accès. Comment envisager le germe d'un désir ? Glisser ainsi entre les algues des eaux du lac, parfois, était le seul autre versant des jours.
Le soleil formait sous l'eau de grandes tâches de lumière mouvantes qui lui rappelaient la route bordée d'arbres qui conduisait vers l'horizon en laissant filtrer l'été, des rais flamboyants. Dans les champs de part et d'autre les gerbes s'entassaient et les troupeaux glanaient les épis oubliés. Il disait « la route au soir entre les arbres et le soleil au fond ». Il nommait ainsi des souvenirs pour la suite. Une réserve vitale.
Il faisait chaud. Les odeurs fortes des aromates, des pins et des cades l'enivraient. Les cigales l'assourdissaient. Il marchait sur les chemins ou s'allongeait dans les herbes. Il y observait la vie paisible, pensait-il, des insectes. Le temps d'un bonheur intense. La maison était là, tout près, dans ce paysage de collines sèches. Tout Giono était à sa place ici, celui des fresques héroïques ou des allégories comme celui des premiers romans, qu'il ouvrait à l'occasion pour relier son bonheur égoïste à l’universel.
Plus que quelques brasses et il rejoindrait la berge du lac, marcherait et retrouverait ses habits posés à même le sable. Il rattraperait l’ordinaire des jours. Le fourgon clair était là, déjà ou encore – il ne se posait pas même la question. Séché, rhabillé, il s'assit à l'arrière avec les autres sous leurs regards indifférents. Ils prirent la route morne dans la lande, l'asphalte marqué, l'herbe rase et les arbres rares tout autour jusqu'à la ligne d'horizon si proche en haut de la combe. La lumière grise du crépuscule se refermait sur un chapitre rituel si souvent répété. Dans quelques minutes ils arriveraient pour le repas du soir et la nuit. Il énonçait en lui « A quoi ai-je pensé ? Quel soleil d'un autre temps ? Comment retrouver ce qui, peut-être, a été ? Que la mort arrive, elle saura interrompre la mécanique sans porter atteinte à l'essentiel de ce qui a vécu. »
Participant #19 ~ Manole
Sortie de route
Se laisser dérouter, se lasser de la route et dans le doute, de toutes les routes
S'en retourner, sans douter, sans redouter le retour, cent lacets de la route
S'en retourner, sans détours, et se douter que ce retour est sans retour
Se détourner, se lasser de la route, se laisser dérouter
Se laisser détourner sans redouter le retour, sans redouter la déroute
– ET, VOUS, LA-BAS, ECOUTEZ-MOI PLUTÔT !
– Qui, moi ?
– Oui vous, au bord de la route, vous qui êtes en plein doute. Au point où vous en êtes, plongez donc sous la voûte et gagnez l'autre rive !
– Euhhhh ...
– Plongez, vous dis-je !
– …..
– Aaaah vous n'osez pas !
– C'est que …
– Avancez-vous un peu, oui là tout près, encore plus près, plus près, vous dis-je.
– C'est bon là ? C'est qu'il fait un peu froid ici.
– Oui. Ça ira. Que voyez-vous sur la route ?
– Rien.
– Mais enfin ouvrez les yeux, ce nageur, là, à vos pieds qui vous barre la route.
– Ah oui je le vois. D'ailleurs il m'éclabousse.
– Tant mieux !
– Comment ça, tant mieux ?
– Regardez-le plutôt que de gémir.
– Il nage bien. Tout droit. Sans détour. Mais ?
– Quoi mais ?
– Mais il me coupe la route.
– Et alors ? Il y a une minute à peine vous vouliez faire demi-tour. Pas vrai ?
– Si, si vous avez raison.
– Alors quoi ?
– J'ai les pieds tout mouillés maintenant.
– Excellent !
– Pourquoi dites-vous ça ? On dirait que cela vous amuse.
– Pour se laisser dérouter, il faut bien commencer par se mouiller les orteils.
– Vous avez raison, alors je me laisse dérouter et j'apprends à nager.
– Bien parlé !
– Mais ….
– Quoi encore, vous êtes toujours là ?
– Ben oui. J'ose pas.
– Ecoutez-moi bien, les statistiques sont formelles. Sur cette route, des nageurs comme celui-là il en passe, au mieux, un par siècle, alors c'est pas le moment de flancher !
– Aïe !
– Quoi encore ?
– J'ai oublié mon bonnet de bain et mes lunettes de nage.
– Idiote !
Participant #20 ~ Alain vildart
La route de Walpurgis
Je n’avais pas bu, et cela faisait longtemps que je ne me droguais plus… Pourtant, un soir de juin où les lucioles battaient la campagne, je vis s’avancer vers moi Notre-Dame des Sillons.
Dont les anges sont des grillons…
D’un signe, elle m’invita à la rejoindre de l’autre côté d’une rivière hérissée de cris de machines. On aurait dit une grosse barde de goudron plantée dans le désert… La rivière, pas la Madone !
Derrière elle, et lui faisant la nique, Kerouac, hilare, m’invitait aussi à prendre la route. Alors je plongeai dans le bitume lissé, méprisant la ligne continue.
On n’est pas sérieux quand on a cent quinze ans.