entete
Ateliers d'écriture virtuels par Lou Sarabadzic
Participez à un atelier d'écriture virtuel du 27 mai au 1er juin !
Participez, vous aussi, à un atelier d'écriture, mené par Lou Sarabadzic. La participation à cet atelier d'écriture virtuel est gratuite. 20 participants maximum.
Le sujet d’écriture est dévoilé le mercredi 27 mai. Vous pouvez nous envoyer vos textes au plus tard lundi 1er juin à minuit.
Inscription à l'atelier : envoyez votre candidature à : bibliotheques@agglopolys.fr
L'inscription est obligatoire pour participer (attendez la confirmation de celle-ci avant d'envoyer votre texte).
Comme pour chaque atelier, les textes des 20 participants, sont publiés sur cette page dans la semaine suivant leur réception.
Au plaisir de vous lire !
En participant à cet atelier, vous acceptez que le texte que vous remettez à l’auteur soit publié sur le site des bibliothèques d’Agglopolys. Vous pouvez choisir de le laisser anonyme, de le signer de votre nom, de vos initiales, d’un pseudonyme. Vous savez que cette publication en ligne n’est pas protégée et peut donner lieu à des copies non contrôlées. Si vous êtes mineur, cette contribution doit être accompagnée d’un accord parental. Vous renoncez pour ce texte à tout droit patrimonial. Même dans le cadre d’une fiction, des propos tombant sous le coup de la loi ne seront pas acceptés.
© Bibliothèques d'Agglopolys, Jean de La Fontaine, Fables choisies, 1688
Thème : Le filtre de la réécriture
Prenons un texte que beaucoup d'entre nous connaissent très bien... Au hasard, une Fable de la Fontaine. J'en suggère deux parmi les plus connues : « Le corbeau et le renard » et « Le lièvre et la tortue ». Choisissez celle qui vous inspire le plus. Belle occasion pour consulter les magnifiques manuscrits disponibles en ligne sur le site de la Bibliothèque Nationale de France, comme celui-ci, ou de rédécouvrir ces Fables en BD grâce à notre exemplaire numérique des classiques en BD de Bruno Heitz !
Ce que nous allons faire, c'est en réécrire une des deux proposées pour mieux la réinterpréter, et lui faire trouver des sens ou des rebondissements qu'on ne soupçonnait pas... Comment ? Tout simplement en choisissant une contrainte oulipienne, du nom de L'OuLiPo, que vous trouverez présenté ici si vous ne connaissez pas déjà. Vous pouvez choisir la contrainte qui vous plaît ou vous amuse le plus, voire en inventer une ! Parmi les contraintes les plus connues (retrouvez une liste sur leur site), on trouve notamment :
- Le lipogramme : texte où l'on s'interdit d'employer une lettre, comme le « e », comme l'a fait Georges Perec dans le célèbre livre La Disparition.
- Le poème fondu : en reprenant des mots du texte d'origine, et en les ré-agençant comme bon nous semble, on crée un poème.
- L'Anaérobie : on asphyxie le texte... en le privant d'R.
Mais vous pouvez aussi penser à la contrainte de Delmas, la boule de neige ou encore la célèbre méthode S+7 !
Alors, qu'est-ce que ça donnerait, « Le corbeau et le renard » sans R, ou sans U ? La fable « Le lièvre et la tortue » est-elle une belle source de poèmes fondus ? Ou d'efficace bataille de boules de neige ?
Dernière contrainte: titre compris, votre texte ne devra pas faire plus de 300 mots.
Participant #01 ~ Marie Giraud
Lapinot plus Unau
Mais pourquoi donc courir ? Il faut partir à point.
D'un Lapinot, d'un Unau, voici un haut fait :
« Parions l'ami, dit l'Unau, tu n'iras point
Si tôt au but » - « Si tôt au but, quoi ? Ris-tu ? »,
Chicana l'Animal coquin.
« Mon ami, il faut assainir
Ton corps par abracadabra !
Sûrs ou non, parions fissa. »
Voilà pour un duo si bluffant,
Qu'on mit non loin du but un prix :
Qui sut jusqu'où montait son pari,
Ni si d'un robin l'on convint ?
Mon Lapinot avait trois pas à accomplir,
Trois mini pas, qu'il s'imaginait
Franchir aussi fort subito,
Quand, poursuivi par maints mâtins,
Qu'il distançait, il savait fuir illico.
Ayant donc tout loisir pour assouvir sa faim,
Pour dormir, pour ouïr d'où l'air soufflait,
Il laissa l'Unau dans son coin,
Mouvoir son corps piano piano.
L'Unau partit, mollo mollo,
S'activant tant pianissimo.
Alors Lapinot moqua un si grand ahan,
Tint son pari pour vil banco,
Car si arrogant, si fat, il partit tard,
Brouta, musa, batifola,
Dansa, somnola, oubliant
Tout. Alors, lorsqu'il vit
L'Unau accomplir son pari,
Il partit tout furioso, mais
Trop tard, l'Unau arriva d'abord,
Qui lui cria : « Alors, avais-tu donc raison ?
À quoi bon pour lors bondir tous azimuts,
Toi qui as failli, tu dirais quoi,
Si ma grand'maison tu portais ? »
Participant #02 ~ OMA
La Cigale et la Momie
La Cigale ayant chanté
Tout l'été
Se pensa bien démunie
Quand la bise glaça ses manies
Pas un seul petit pâtisseau
De mouche ou de gousseau
Elle alla, dans sa famine
Chez la Momie, sa voisine
Souhaitant qu'elle lui démine
De quelques miettes, sa mimine
Jusqu'à la saison nouvelle
« Mais pas d'aumône, lui dit-elle
Avant l'août, foi d'animal
À toi, Dividendes et Capital »
Sa momie n'est pas joyeuse
C'est là qu'elle devint titilleuse
« Que faisais-tu au temps chaud ? »
Dit-elle, à cette quémandeuse
« À minuit, à midi, à tout venant,
Je chantais, ne t'en déplaise
Tu chantais, j'en suis bien aise
Et bien, valse, de la faim, oublie le malaise. »
Participant #03 ~ Jean-Louis Métivier
Le Choucas et le fennec
Elève choucas sur un arbre accroché,
Pinçait en sa goule un sassenage.
Elève fennec par l'effluve aguiché,
Lui cloua à peu près ce parlage :
« Hé ! Salut, monsieur du choucas !
Que vous êtes accorte ! Que vous me semblez délicat !
Sans avouer, si votre chantage
Se réfère à votre pennage,
Vous êtes le prodige des occupants de ces futaies. »
À ces verbes le choucas ne se sent pas de gaité ;
Et, pour déballer son beau chant,
Il débride une large goule, laisse choir son luchon.
Le fennec s'en saisit, et dit : « Mon bon croquant,
Apprenez que tout courtisan
Vit aux dépens de celui qui l'esgourde :
Cette conférence vaut bien un sassenage, sans bourde. »
Le choucas, honteux et brouillamineux
Cracha, mais un peu lent, qu'on ne l'y prendrait jamais mieux.
Participant #04 ~ Dawn M Cornelio
Littérature définitionnelle (avec beaucoup de libertés)
Dans un énoncé donné, on remplace chaque vocable signifiant (substantif, adjectif, verbe, adverbe) par une de ses définitions dans un dictionnaire donné ; on réitère l'opération sur le nouvel énoncé obtenu, et ainsi de suite.
Maître Passereau au beau plumage de jais,
Sur un végétal ligneux élevé,
Tient en son bec un comestible laitier.
Maître Mammifère roux de la famille des Canidés,
Percevant l'émanation par des organes particuliers,
Se voit attiré, et partage illico cette idée.
Mes compliments, Monsieur Passereau au beau plumage de jais
Quels sentiments de plaisir vous suscitez !
Quelles agréables et admirables qualités vous possédez !
Certainement une intox je ne peux prononcer,
Alors si votre chant vaut de vos plumes la beauté
Vous êtes le plus fabuleux des pensionnaires de la forêt.
À ces sons articulés, le passereau au plumage de jais
Ressent une émotion de plénitude illimitée.
Et pour faire apparaitre de son opéra la beauté
Il ouvre le bec, voit par l'effet de la pesanteur sa proie entrainée
Plus vite que son ombre, Maître Mammifère l'attrape, rusé,
Et prend le moment pour prononcer cette leçon avisée.
Mon bon Monsieur, acceptez la connaissance d'une triste réalité :
Quand on adresse à autrui des louanges exagérées, intéressées,
On profite facilement de l'animal trop facilement flatté
Ce savoir est maintenant et éternellement vôtre, mon élève embarrassé
Et vous n'avez payé que le prix d'un simple comestible laitier.
Gêné, embarrassé, le Passereau au beau plumage de jais
Regrette sa folie, et surtout son fromage, et promet qu'on ne l'y prendra plus jamais.
Participant #05 ~ Christian Trézin
Le Corbeau et le Renard [texte fondu]
Maître Renard ne sent plus
le bon fromage « Phénix » et
aux dépens de sa belle proie, laisse tomber.
Honteux et confus Maître Corbeau s'en saisit
un peu tard sans doute.
Mais alléché par le large bec, le Renard
perché sur un arbre de ces bois du Jura,
lui tint à peu près ce langage flatteur :
« Ouvre, dit-il, l'odeur se rapporte
à un fromage. Monsieur Corbeau,
apprenez que celui
qui vaut bien votre plumage s'écoute ! »
Corbeau tenait en un bec mon vit et
pour ne montrer, sans se mentir,
que cette joie que l'on prendrait
de sa leçon :
« Que vous êtes pas beau en votre l'y ».
À ces mots, voix des hôtes (Et bonjour le Corbeau !).
Si vous êtes tout ramage, joli Monsieur,
vous me semblez un son !
Corbin contra Goupil [lipogramme, sans e]
Un savant Corbin noir, sur un buisson assis,
Ornait son goulot d'un claquos.
Un adroit Goupil roux, ayant un goût commun,
Lui fit à propos un discours :
Mon salut, imposant Corbin,
Pour sûr on vous voit joli, on vous croit brillant !
Insinuons : si un babil
Vaut sans impair la plumaison,
Tout buisson vous dira du nom d'Alcyon.
A l'ouïr Corbin croit son jour fort important.
Alors il sort son cri, son ut,
Forçant son goulot, fait choir du coup son butin.
Goupil subtil y mit son grappin : Mon quidam,
Tout vous dit qu'un courtisan
Fait du profit sur un jobard niais.
Pour prix du savoir vous taxai donc un claquos.
Lors Corbin avili, confus,
Jura, trop tard pour sûr, qu'on n'aurait plus l'occasion.
Participant #06 ~ Jean Moynier
La revanche du corbeau
À supposer qu'on me demande ici d'écrire, ou plutôt n'ayons pas peur des mots, de réécrire d'une manière plus personnelle, voire d'extrapoler sous certaines contraintes un texte classique très connu - prouesse qui en moins de six-cents mots me parait difficilement réalisable - comme par exemple un lai de Marie de France, la sempiternelle tirade soutirée à l'acte I scène IV du Cid , chef d'œuvre du Grand Corneille, ou l'une des inimitables périodes du vicomte François-René de Chateaubriand rêvant d'Atala mollement alanguie sur les rives du Meschacebé - ce que je n'aurais jamais, au grand jamais osé de mon propre chef, ayant depuis ma plus tendre adolescence développé une nette préférence pour la chanson de geste médiévale ainsi que pour la poésie parnassienne dans son ensemble et Leconte de Lisle en particulier - ou encore une fable de ce fabuleux fabuliste que fut Jean de la Fontaine, en prenant au hasard « Le Corbeau et le Renard » pour l'arranger à la sauce oulipienne, j'aurais tout d'abord précisé – d'une plume encore hésitante conduite par un cerveau embrumé après deux longs mois de diète relationnelle et de distanciation sociale - que notre cher poète, lequel pourrait aujourd'hui même et céans se targuer d'avoir été, en France comme à l'étranger et au fil des siècles depuis Hésiode, le plus éminent spécialiste de ce domaine très pointu que constituent les fables animalières, au point d'être de nos jours encore, la référence, que dis-je, la personnification, l'incarnation de ce genre littéraire habile à traduire en mots précieux la sagesse populaire, notre cher poète donc, se révèle tout au long de cette courte et cependant harmonieuse vingtaine de rimes, avoir été un aussi piètre ornithologue qu'un fabuliste virtuose - à l'image d'ailleurs de ses antiques modèles Ovide et Phèdre - en traçant de ce rustique oiseau un portrait peu flatteur et même, disons-le crûment, scandaleusement à charge, erroné et péjoratif en le faisant passer pour un insondable benêt doublé d'un sombre fat, alors qu'il est, et de loin – ce que j'avance est scientifiquement prouvé – le plus intelligent des oiseaux, possédant un potentiel intellectuel situé bien au-dessus de celui de très nombreux mammifères y compris ceux comptant parmi nos animaux domestiques, équivalent dit-on aux capacités d'un enfant humain de trois-quatre ans et surclassant sans l'ombre d'un doute la malice du renard – mais peut-être, à décharge pour Jean de la Fontaine, l'avancement de la science ornithologique au dix-septième siècle n'autorisait-il pas une connaissance aussi approfondie de l'éthologie des différentes espèces du genre Corvus – intelligence, qui plus est et vous ne l'ignorez pas, relayée par une capacité à communiquer par signes avec des congénères au sein d'une organisation sociale faisant la part belle à l'empathie et à la solidarité ce qui, vous en conviendrez aisément, est un fait assez rare chez les animaux, même ceux réputés grégaires et supérieurs tel le bipède plantigrade nommé Homo Sapiens Sapiens lequel, depuis des temps immémoriaux et pour on ne sait plus trop quelles obscures raisons, nourrit à l'encontre de ce malheureux volatile une aversion aussi tenace qu'irraisonnée et en fait, outre que dans ses fables, un personnage inquiétant d'histoires de sorcières et un funeste antihéros de contes angoissants et de mythes à dormir debout, alors que la seule vétille que l'on pourrait éventuellement reprocher à cet oiseau bucolique serait de faire trop vigoureusement usage d'un organe vocal dont le moins qu'on puisse en dire est qu'il est totalement inapte à émettre la plus élémentaire double-croche ce qui, tout bien considéré, n'est qu'un défaut mineur, et c'est sur cette remarque somme toute assez futile que je vous laisse, chers lecteurs, découvrir la contrefaçon de la fable hypocrite qui moque sans pitié notre cher volatile, sous la forme d'un poème anagrammatique sans rime ni raison, ni queue, ni tête, totalement absurde et vide de sens, que je me vois contraint d'intituler :
« Le labeur tarde encore ».
Car ma chère bru barre une piste où
Un bon français net mégote.
L'art roule dare-dare par le chemin
Et un seul pic gagne la partie :
Un bébé chou, un jour, a osé dormir !
Babou, osez quelque vue ! Je vous mésestime !
« Vers à manger, soir et matin
L'apéro m'apporte sage vertu,
Cheveux de bois lisses, honte des poètes. »
Jeunes scouts obstinés, âpre école de l'âme ;
À Robert le monstre, vil époux
Ému, ce soir portera l'ivresse au billabong.
« Merlin, des sirènes montent droit au bonsaï :
Et zut, perle, faut qu'on parte !
Une diode pique tel le vieux cactus
Devant ce fût blanc, totem où saigne une rose ».
Ô, le bon char neuf est coûteux,
Rendre un temps à la plupart du jury qui raisonne.
Participant #07 ~ Colette Lafont
Balade en Absurdie
L'agneau sous un tapis planqué
Cachait sous sa patte un couteau
Un loup quelque peu éméché
Sentit la menace et ôta son chapeau:
"Quel est le poids
de cette loi?
Je vous vois ému et même déçu.
Voulez-vous sans qu'il vous en coûte
Que je fasse hommage
sans dommage
À ceux dont vous chahutez le message?"
L'agneau leva le poids
du beau tapis de soie
et saisit une noix.
"Sans aucun doute
Mettez-la dans la soute
Et sans que cela coûte
une absoute."
Participant #08 ~ Annie Loyau
Sieur Renard et Maître Corbeau
Sieur Renard passé maître en matière de chantage,
Devant Maître Corbeau, sur l'estrade perché,
S'en vint à comparaître pour larcins, maraudages,
Convoqué sur le champ afin d'être jugé :
-Hé ! Vous revoici, Compère ! Dit l'homme portant beau
Au malotru n'ayant ni costume ni chapeau.
-Sans mentir, si mon chapardage
Se rapporte à moult avantages
Par maints phénix reçus, hôtes sans foi ni loi,
Légère punition serait de bon aloi.
Alors, et pour montrer sa belle voix,
Maître Corbeau pérore et Renard semble en proie
Au remords, tête baissée. – Apprenez, mon Bon Sieur,
Qu'en tout bien, tout honneur,
Après avoir été ainsi à votre écoute,
Il me faut vous juger et, bénéfice du doute
De votre repentir, sans prison demander,
« D'intérêt général, des travaux » j'ai mandés.
Sieur Renard, honteux et confus,
Jura, mais un peu tard, qu'on ne l'y prendrait plus.
Participant #09 ~ Matcut
Anaérobie
Le liève et la totue
Ien ne set de coui, il faut pati à point.
Le lieve et la totue en sont un témoignage.
Gageons, dit celle-ci, que vous n' atteindez point
Sitôt que moi ce but. -Sitôt ? Etes-vous sage ?
Epatit l'animal lège
Ma commée il faut vous puge
Avec quate gains d'elléboe
Sage ou non, je paie encoe
Ainsi fut fait : et de tous deux
On mis pès du but les enjeux
Savoi quoi, ce n'est pas l'affaie
Ni de quel juge l'on convint.
Note liève n'avait que quate pas à faie
J'entends de ceux qu'il fait losque pêt d'ete atteint
Il s'éloigne des chiens les envoie aux calendes
Et leu fait apenter les landes
Ayant, dis-je, du temps de este pou boute
Pou domi et pou écoute
D'où vient le vent il laisse la Totu
Alle son tain de sénateu
Elle pat elle s'évetue
Elle se hâte avec lenteu
Lui cependant mépise une telle victoie
Tient la gageue à peu de gloie
Coit qu'il y va de son honneu
De pati tad.il boute,il se epose,
Il s'amuse à tout aute chose
Qu'à la gageue. A la fin quand il vit
Que l'aute touchait pesque au bout de la caièe
il patit comme un tait mais les élans qu'il fit
fuent vain;la Totue aiva la pemiee
Eh bien ! Lui ciat-elle,avais-je pas aison ?
De quoi vous set votre vitesse ?
Moi, l'empote ! Et que seait-ce
Si vous potiez une maison ?
Accéder aux anciens ateliers d'écriture
Retrouvez ci-dessous les anciens ateliers d'écriture proposés par Lou Sarabadzic.
Atelier d'écriture du 6 mai 2020
Thème: La magie de l’écriture
Ce troisième atelier d’écriture se penchera sur un thème retenu par les lecteurs et les lectrices de notre fiction participative : la magie.
Vous recevez la lettre d’une créature douée de magie vivant dans la forêt de Brocéliande. Qui est cette créature ? Que dit cette lettre ? Avant de l’écrire, prenez quelque temps pour imaginer et vous représenter le caractère de l’être magique qui vous écrit, ainsi que la raison pour laquelle il le fait. Ce « vous » peut évidemment être fictif : êtes-vous Merlin en vacances ? Une fée à la retraite ? Un crapaud devenu prince ? Une garde-forestière ?
Ces éléments vous aideront à trouver le ton parfait pour votre lettre.
Car ce qu’il vous faut rédiger, c’est une lettre de 500 mots maximum.
Présentation : Format Word ou Open Office, Times New Roman, police 12. N’oubliez pas les formules de politesse (souvent une manière subtile ou drôle de dépeindre un caractère), et une ou des fausse(s) adresse(s), si cela stimule votre imagination ! Pour le reste, rêvez, philosophez, amusez-vous… C'est vous qui choisissez !
Illustration par bastien_rhld / Pixabay
Participant #01 ~ Asphodèle
Lettre à Merlin
8 lune de Maïal Crapaudin de Lamare
À Merlin l’enchanteur
Rond-Point de la Table Ronde
Forêt de Boulogne 41000
Salut à toi, vénérable Merlin aux tempes chenues.
Je viens déranger ta quiétude bien méritée dans ton coin de campagne du Loir-et-Cher, car je connais tes pouvoirs, moi, petit crapaud breton né en forêt de de Brocéliande.
Je sais que grâce à toi, Arthur, notre chantre et monarque, est monté sur le trône, que tu as permis aux preux chevaliers de la Table Ronde de triompher en d’illustres combats et de faire régner la paix et la prospérité sur ma lointaine région.
Mais aujourd’hui, le péril est grand et je compte sur toi pour m’aider : dans ma forêt, je n’entends plus le chant des oiseaux, je trouve de moins en moins d’insectes pour me nourrir.
Les arbres, d’après ce que m’a dit mon grand-père, sont soumis à des coupes fréquentes, débités et envoyés dans des contrées lointaines et inconnues, pour être transformés en objets bizarres dont je ne connais point l’usage.
À l’automne, je ne rencontre plus mes amis les champignons avec lesquels j’avais coutume de deviser ; ces jolies petites chaumières que vous appelez ruches se font de plus en plus rares et la bruyère sous laquelle j’avais coutume de faire ma sieste, tout en m’enivrant de ses effluves délicats, est toute desséchée. Et j’ai entendu dire que nombre de mes congénères sont morts de soif ou de coups de chaleur ces derniers étés.
Il paraît que les “Hommes”, ces maîtres du monde, comme on le dit chez nous, commettent beaucoup de dégâts.
D’ailleurs, j’entends souvent des bruits bizarres dans la forêt : ce seraient des moteurs de véhicules qu’ils utilisent pour se déplacer ou s’amuser, car beaucoup d’ “Hommes” ne veulent plus marcher en forêt. Ils font aussi souvent des feux pour se divertir, et il m’est arrivé de voir la forêt s’embraser et disparaître en partie.
Les soirées non plus ne sont plus celles que nous avons connues : quand j’admire le ciel avec mes frères pour observer les constellations, il m’est impossible de distinguer la moindre étoile : une brume étrange plane au-dessus de nos têtes.
Impossible d’entonner comme autrefois nos chants joyeux pour fêter l’arrivée de l’été ; presque partout, l’eau a disparu.
Nous avons donc, moi et les miens, décrété l’état d’urgence.
Les forces du Mal ont pris le pouvoir et nous te demandons de l’aide : toi seul peut en venir à bout.
Je sais que tu es très vieux, très fatigué mais le temps n’a pas de prise sur toi car tu as le pouvoir de te régénérer chaque jour ; nous faisons donc appel, une dernière fois, à ta générosité et à ta magie.
L’heure est grave, Merlin, nous te lançons un SOS. Notre survie est en jeu.
Reçois, toi, Roi des Rois, tous mes croassements respectueux.
Crapaudin de Lamare
50 allée des clapotis
Participant #02 ~ FRED
Jour filleul
L’Hermite
Brocéliande Avenue
‘Jour filleul !
Même perdu en mon océan de verdure, j’ai eu vent de vos ennuis… j’ai su raison retrouvée une évidence… le jour où j’ai décidé de m’extraire… crois en ton parrain à l’écorce dure, seule la passion nous sauve… Je suis devenu le clown qui danse sur la peau d’éléphant qui recouvre mon cœur… la littérature… la peinture la musique, je n’ai jamais arrêté le flot…, cette énergie cette lumière a toujours été la brillance de mes respirations…
Mais toute bonne chose a une fin, une raisonnable terminaison… au foutre feu cette sagesse qui… ! Voudrait me contenir derrière mes yeux d’hibou…
Grâce aux mots je sais ma chance de demeurer un puit de sève… abreuvé désormais des fraicheurs primordiales, je ne me solde plus… je vis intensément et me laisse submerger par la passion… ancien calciné je sais ma chance, ma valeur… et sens avec mes ancres le devoir de transmission… les arbres fendus laissent passer la lumière… et à notre époque, des hauts le cœur où que je regarde, Princesse ânonnant sans cesse « mais calme-toi »…, les gens sont moches, la bêtise tisse sa toile en réseau… protégeons nos enfants … protège-toi !, on oubliera les minables en marche, pas les étoiles… pas Hugo pas Mozart pas Rembrandt… la dame en noir chantant Perlimpinpin… les vers de Verlaine… L’argent, seul roi moderne n’offense que ceux dénués d’amour au sens large, la palette du sentiment… Je sais ce jour ma chance et ma perte d’être un instrument à cordes qui vibre, dans une société de grosses caisses !...
Voilà Filleul, ton vieux fou de parrain voulait juste te dire de mettre à profit cette période… donne à ta vie l’éclat de la passion, la brillance des poésies…
Elle est là, sous tes yeux… la vie… sa vraie magie…
Saisis-la.
Et surtout…
N’oublie jamais d’aimer, même trop…
Je ne t’embrasse pas… Je te regarde !
Participant #03 ~ IZZY MARTYNKOWA
Suzie SHAPOGARNY Professeur Cyrius BRICABRAC
5, rue du Présage sucré salé 13, avenue des Arbres Tordus
00000 BROCELIANDE 00000 MERLIN VILLAGE
Cher Professeur,
J’espère que vous vous portez bien, que vous avez retrouvé votre grimoire de famille et que les grenouilles mignonnes sont en pleine forme.
Comme vous me l’avez conseillé, je poursuis les cours du soir à la clairière des trois lunes avec Mademoiselle Perle IMPINPIN et son faucon blagueur. Le pauvre semble avoir quelques soucis de santé actuellement, c’est pourquoi je vous écris. Il est sinistre. Les leçons sont devenues d’un ennui… Il y a trois soirs, je me suis endormie en plein milieu d’un charme et au lieu d’obtenir un filtre de bonne humeur j’ai réussi à créer une décoction de pâquerettes déprimante… Grave erreur, ma voisine l’a absorbée et nous avons été interrompus pendant toute la leçon par ses pleurs. Mademoiselle Perle était désespérée, ne savait plus quoi faire et le faucon n’a pas bougé d’une serre. Il est resté muet, insensible à ses larmes. Ce n’est pourtant pas son genre… Cela fait bientôt un mois qu’il n’a sifflé aucune jeune sorcière comme à son habitude, qu’il n’a décroché de regard enjôleur à aucune des fées assistantes, et il tourne le dos à Mademoiselle Perle durant toute la séance. On voit bien qu’elle est très contrariée par la situation et qu’elle ne trouve pas elle-même la solution…
D’après vous, qu’est-ce qui met le faucon dans cet état ? Puis-je essayer de lui faire absorber un remède de grand-mère ? Par exemple, la petite crème qui déride en profondeur ? Si oui, à quelle dose ? Ou bien s’agit-il d’une phase normale de son développement ? Il commence à perdre ses plumes beiges et à avoir du duvet au menton… Quel conseil pouvez-vous nous donner ?
Je vous promets de faire de mon mieux pour assimiler les leçons de magie bleue qui sont les plus difficiles. Vous savez, je travaille dur jusqu’au lever du soleil, je cultive aussi mon jardinet et mon zoo miniature : carottes timides, pastèques poilues, ratons grincheux, moustiques frisés, œufs de comètes… J’ai même réussi à avoir un élevage de hamsters péteurs… pour faire des blagues à mes voisins qui sont un peu collet monté. Vous voyez, je ne m’ennuie pas...
Et comment va votre laboratoire ? Toujours autant de commandes pour la Chine ? J’adore vos nounours en fibre de rutabaga pour faire fuir les vampires et j’ai offert le lion en réglisse à mon petit cousin qui depuis n’a plus peur de se faire molester pendant la récré… Bravo, bravo !
J’ai hâte de vous revoir au prochain équinoxe. J’espère que vous amènerez aussi le jeune apprenti qui travaille à la rédaction de vos formules. Je l’aime bien, il est si drôle !
Je vous envoie quelques bonbons au sirop de la fontaine aux mille bienfaits pour votre chat Choucroute et la bonne Irma – une spécialité de Brocéliande.
Affectueusement, et avec une gousse de malice,
Votre petite sorcière Suzie
Participant #04 ~ DB
Grand Sourcier Delphinus
Lieu-dit la Rive
Forêt de Brocéliande
Maître Pierre Sourcier
Maison pour Sourciers Agés
Mortagnelande
Très cher Maître Sourcier,
Si je prends la plume ce soir, pour vous écrire et ainsi vous importuner pendant votre retraite méritée, c’est que je ne sais comment sortir sans votre aide d’une situation très délicate dans laquelle j’ai involontairement plongé la Forêt. Malgré votre riche enseignement, et mon apprentissage à vos côtés tout au long de ces cent-cinquante dernières années, je ne peux faire face au désordre qui règne aujourd’hui, que j’ai malheureusement largement contribué à créer…
Les premiers temps suivant votre départ pour la Maison des Sourciers Agés, j’ai repris votre fonction de Grand Sourcier de la Forêt, prenant soin des différents points d’eau que vos prédécesseurs et vous-mêmes aviez repérés, et recherchant de nouvelles sources de cette eau claire et magique, nécessaire au déploiement des pouvoirs divers et variés des habitants de la Forêt. En cela, le rôle de Grand Sourcier, ainsi que la transmission de votre savoir me l’a fait comprendre, est primordial pour maintenir cette spécificité des Brocéliandais, fées, trolls et magiciens. Je le répète à nos quelques visiteurs : ces pouvoirs sont notre identité, ce qui nous distingue des elfes de la Lothlorien, ou des sorcières de Sacalonia, mais aussi des simples humains et des animaux, avec qui nous partageons notre Forêt.
Muni de la baguette de noisetier ancestrale que vous m’aviez léguée, j’ai donc arpenté nos terres durant des jours entiers, dans l’espoir de la sentir trembler entre mes mains, signe que je m’approchais d’une ligne d’eau. Mais j’ai eu beau m’enfoncer de plus en plus loin dans la Forêt, parmi les arbres, les buissons et les lianes dont la densité se resserrait à chacun de mes pas, jamais la baguette ne s’est mise à vibrer.
Or, comme vous l’imaginez, les points d’eau déjà connus se tarissent peu à peu, et sans découverte de nouvelles sources permettant aux habitants de s’asperger d’eau miraculeuse, leurs pouvoirs risquent de ne pas se régénérer. Hélas, c’est bien ce qui commence à se produire ! Formules, potions, sortilèges, baguettes, perdent de leur précision. Bientôt ils n’auront plus aucun effet, et c’en sera fini de la magie dans la Forêt de Brocéliande…
Je ne peux me résoudre à l’idée d’être à l’origine de ce désastre. Je sais que j’ai voulu trop tôt prendre mon indépendance, montrer mon savoir-faire et me détacher de vous... Malgré vos avertissements, j’ai souhaité m’imposer au poste de Grand Sourcier. Je vous ai poussé à partir de la Forêt, et à vous rendre, seul, dans cette Maison pour Sourciers Agés. Je sais pourtant que, loin des vôtres, vous n’y êtes pas à votre place.
Aujourd’hui, empli de souffrance pour notre peuple, et de repentir de ne pas avoir mené mon apprentissage à terme à vos côtés, de ne pas avoir entendu tous vos conseils, je vous implore de revenir parmi nous. Votre seule présence redonnera confiance et espoir aux Brocéliandais, et je pourrai, si vous l’acceptez, reprendre ma formation au point où je l’ai laissée… Un Maître et son apprenti sont unis à jamais, je le sais désormais.
Dans l’attente de votre réponse et, je l’espère, de votre retour dans la Forêt, je vous prie d’accepter, très cher Maître Sourcier, l’expression de mon respect le plus sincère.
Grand Sourcier Delphinus
Participant #05 ~ SARAH DS
Lac de Brocéliande, Rebel, elfe des eaux
le 06/05/2020
Ma très chère amie,
Je te fais parvenir les dernières nouvelles de la forêt de Brocéliande, comme tu me l’as demandé après ton départ. Je ne comprends toutefois pas pourquoi elle te fascine autant. Après tout, ce n’est qu’une forêt féérique parmi tant d’autres… Mais cela avait l’air de te tenir très à cœur alors je vais essayer de te raconter au mieux.
Voici quelque chose qui devrait te faire rire : hier, Merlin a essayé une nouvelle formule qui a fait éternuer toute la forêt. Au sens propre. La formule était une commande d’une fée farceuse dont il a refusé de donner le nom, ce qu’on peut comprendre. Elle souhaitait pouvoir faire attraper un rhume à quiconque lui reprochait une farce. Alors autant te dire à quel point toute la forêt est heureuse que Merlin n’ait pas trouvé cette formule. Cependant, sa formule ratée a eu des effets secondaires : au moment où je t’écris, toute la forêt est enrhumée ! Même nous, elfes en tous genres, qui sommes très résistants aux maladies, avons été touchés. Mais bon, comme Merlin est vraiment très important pour la réputation de notre terre, personne n’ose lui faire de reproches.
Oh ! Il y a une autre affaire qu’il faut que je te raconte : la princesse Elinor aurait fait un malaise à la suite d’un thé en rose chez la fée Morgane ! Tu le sais sans doute, ta cousine déteste le rose, au grand désespoir de sa mère et au grand bonheur de ses deux frères. Mais revenons à notre affaire. Comme je te l’ai dit plus haut, la princesse a été contrainte d’aller au thé, de mettre une robe avec des froufrous en veux-tu en voilà ainsi que de boire son thé le petit doigt en l’air. Résultat : overdose de bonnes manières, ta cousine a fait un malaise ! Ceci a fait la une de tous les journaux, et j’espère pour Elinor que cela a enfin fait comprendre à sa mère qu’il valait mieux transgresser les traditions et faire de la petite sœur de la princesse l’héritière du royaume.
Après, ce sont les affaires courantes : le "Brocéliande news" change de propriétaire, la fée Anggun se marie avec l’elfe Rebelde, les trolls réclament le droit d’envoyer un représentant à l’APF (Assemblée des Peuples de la Forêt)… Bref, rien de bien nouveau.
Tu sais, il y a des jours où je me dis que je ferais mieux de retourner explorer le monde à la recherche de créatures féériques dans l’oubli mais quand j’en parle à la dame du lac elle me dit que j’ai déjà trouvé toute les créatures. J’ai du mal à la croire, mais bon…
Voilà, j’espère avoir de tes nouvelles très bientôt.
Ta très chère amie,
Rebel, l’elfe des eaux.
Post-Scriptum : pourrais-tu, toi aussi, me tenir au courant des dernières nouveautés technologiques chez les humains ? Cela me passionne, mais tu le sais déjà !
Participant #06 ~ Martine BEDIER alias 4532martine
Le rêve d’un elfe
Ho ho ho !
Vous ne devinerez jamais ce qu'il m'arrive. Eh bien, je vais vous le dire. Je viens de recevoir une lettre magique. Si, si, magique ! Elle vient tout droit de la forêt de Brocéliande et elle est signée par un elfe. Incroyable, mais vrai !
Je vais, de ce pas, vous la lire. Vous êtes prêts ? Allons-y. Ho ho ho !
PERE NOËL
PÔLE NORD
Cher Père Noël,
Je m'appelle Eliott. Je suis un elfe, rouge et vert, et je suis maintenu prisonnier, dans une forêt située en Bretagne, depuis mon plus jeune âge. Si tu savais comme je m'ennuie. Pourtant, je suis gentil et d'une grande bonté.
Tous les matins, en me réveillant, je pense à toi, tout vêtu de rouge. Ton image me poursuit toute la journée, encore et encore. Tu as de la chance d'habiter au Pôle Nord, entouré de tes lutins.
Au fait, comment va Rudolph ? Je me vois le brosser, le cajoler, le nourrir, lui accrocher des clochettes autour de la tête. Avec moi, pas de souci, il serait fin prêt pour la grande nuit de Noël.
Et Madame Noël, prépare-t-elle toujours des biscuits ? Oh que j'aimerais les goûter ! Je te promets, je serais raisonnable, seulement deux ou trois, pas plus.
La nuit je rêve de ta maison, mais en particulier de ton atelier, dans lequel tu fabriques les joujoux pour les petits enfants de la Terre. Je te prêterais main forte, ainsi qu'à toute ton équipe. Quel privilège ils ont, de travailler pour toi.
Pour me mettre du baume au cœur, je fredonne le refrain de la chanson de Pierre Lozère « les lutins de Noël font la ronde autour des sapins, les lutins de Noël font la ronde la main dans la main ».
Et là, comme par magie, j'entre dans la farandole et le sourire revient. Dans ces moments-là, je suis avec toi et tout me paraît merveilleux. C'est une délivrance de courte durée mais, ô combien réconfortante.
Le soir de Noël, je pourrais te tenir compagnie dans ta tournée et surtout t'alléger de ta hotte, qui doit être très lourde à porter, vu ton grand âge. Tu as besoin de repos, tu l'as bien mérité. Cela fait des décennies que tu parcours le monde pour apporter de la joie à des milliers de bambins.
Je ne te parle même pas de la cheminée que tu dois descendre à chaque maison ! Heureusement, il y a toujours, je l'espère, un verre de lait et un gâteau au pied du sapin, afin que tu reprennes des forces.
Comme tu peux le constater, je désire au plus profond de moi te rejoindre au Pôle Nord. Mais c'est loin, très loin ! Néanmoins j'ai une idée. Je suis un elfe, donc j'ai des pouvoirs magiques.
ABRACADABRA et hop je suis là. Mais avant, j'attends avec impatience ton accord.
J'ai hâte de te lire, mon cher Père Noël.
À Bientôt.
Eliott
Participant #07 ~ Jean Moynier
Message secret
Lancelot,
Mon fils, nous voilà bien en peine. Où es-tu, que deviens-tu ? Presque un an que nous sommes sans nouvelles. Je tremble quand j’entends résonner le pont-levis sous les sabots d’un destrier. Je cours au vitrail, pensant voir paraître ton écu « d'argent à trois bandes de gueules ». Ce qui n’arrive jamais... Mais, trêve de sensiblerie… Écoute.
Épouse de roi n'est pas demoiselle pour qui tu peux sans risque te consumer d'amour. Quand bien même serait-ce dans le plus grand secret… Hier je t'ai vu en songe, montant dans la charrette par amour pour Guenièvre, risquant ton honneur et ta renommée. Si seulement j'étais assurée que ton espoir ne fût pas chimérique je pourrais te comprendre. Mais…
Les griffes du lion n'épargnent pas le chacal qui foule son territoire. Je te vois te fourvoyer dans une équipée d'où ne sortiront que chagrins et opprobre. Il te faudra force et constance pour éviter ce piège qu’Amour te tend.
Étrange illusion que la tienne ! Je crains, hélas, qu’elle ne s'avère funeste. Pourquoi avoir délaissé la quête du Graal ? Douterais-tu de toi ? Redouterais-tu de faillir, toi si vaillant, en qui j'avais fondé tant d'espoirs après t’avoir éduqué dans ce but suprême ? Je ne sais que penser…
Aussi, permets-moi de te mettre en garde. Je connais le fond de ton cœur. Je sais jusqu'où, de service rendu en parole donnée, ta naïveté, ta droiture et le respect des codes chevaleresques peuvent te mener… avec autant de conséquences improbables que regrettables.
Gauvain, qui fut notre hôte, nous a conté certaines de tes prouesses. À l'écouter, Merlin en rougissait de fierté… nous avons appris comment tu as délivré le château de la Douloureuse Garde de ses sortilèges. Ainsi tu es allé là-bas ! C’est donc que tu as soulevé la dalle enchantée… Tu sais maintenant qui était ton père et tout ce qu'exige de toi cette noble et glorieuse ascendance…
Au château, le temps fait son œuvre et adoucit un peu la peine de ton absence. Mais je vois bien que notre cher magicien s'ennuie, même s'il fait tout pour le dissimuler. Les murs et les voûtes de Comper ne retentissent plus de tes rires ni de tes courses et le son clair de ta voix lui manque beaucoup, surtout le soir, au dîner. Je pense qu'il te regrette bien plus que moi.
Nous voici parvenus au terme de ma lettre. Tu vas la trouver sévère et ennuyeuse et me reprocher de te morigéner comme quand tu étais encore un enfant. Mais souviens-toi de mes enseignements et médite sur les paroles de Merlin : « Un combat peut se perdre dès les premières passes… L'adversaire le plus redoutable est toujours à senestre. »
Tu pourras ainsi lire cette missive « entre les lignes ». Tu y découvriras le nom du chevalier qui, si tu n'y prends garde, causera ta disgrâce, ton exil et la ruine de la Table Ronde. Puis tu brûleras ce parchemin. Sois vigilant !
Fée Viviane.
Participant #08 ~ Manole
Samedi 8 mai 2020,
Chère promeneuse au bonnet bleu,
Permettez que je vous interpelle ainsi ? C'est le surnom que je vous ai attribué depuis que, du haut de mon vieux chêne fourchu au croisement des deux mares, j'ai aperçu pour la première fois votre bonnet. Assez vilain d'ailleurs ce bonnet bleu turquoise en laine synthétique. C'était le 20 mars à 20h10.
Ce soir-là, pour votre première promenade dans ce petit bosquet dont je suis le gardien, je dois dire que vous m'avez surpris. Vous êtes arrivée jusqu'ici d'un pas énergique et au pied de mon vieux chêne vous vous êtes immobilisée.
D'habitude je me contente de regarder passer les visiteurs d'un œil distrait. Seuls les chasseurs et leurs chiens retiennent mon attention. Mon boulot de gardien est simple. Grâce à mon souffle protecteur je préviens les animaux du bosquet dès qu'un danger les menace.
Vous étiez immobile, bras le long du corps, visage fixe. En m'approchant je vous ai entendu compter vos respirations. Nombre impair pour l'inspiration. Nombre pair pour l'expiration. Comme ça jusqu'à 250. Puis vous êtes repartie, le pas lent et souple.
Le lendemain soir, je vous attendais. Cette fois j'ai découvert votre voix. Quand vous êtes arrivée au pied de mon vieux chêne, vous parliez au téléphone, haut-parleur branché, avec votre amie de Paris. Elle vous racontait comment elle avait surmonté le virus. Vous lui disiez votre inquiétude sur le déboussolement de vos vieux parents. Vous avez raccroché et cette fois encore, vous avez compté votre respiration. 250. Et vous êtes repartie. C'est à ce moment précis que j'ai décidé de vous aider. Il faut dire que j'ai un petit pouvoir, celui d'apaiser les hommes avec la complicité des animaux du bosquet. Alors je les ai convoqués. Le sanglier, le jeune chevreuil et le couple de canards. Je leur ai demandé de se montrer à vous d'une manière ou d'une autre.
Le sanglier s'est présenté le jour suivant en croisant votre chemin à une vingtaine de mètres. Et même s'il vous a un peu effrayée, par sa course brève et directe, il vous a montré que l'action vous permettra de surmonter l'inquiétude concernant vos parents. Le surlendemain, le couple de canards vous attendait tranquillement en nageant au milieu de la petite mare. À votre arrivée, ils l'ont traversée silencieusement pour rejoindre l'autre rive et se camoufler dans l'épais tapis de feuilles de chênes. Ainsi, ils vous ont transmis le calme émotionnel qui vous servira pour franchir les épreuves à venir. Le jeune chevreuil si timide et si joyeux est entré en piste trois jours plus tard avec quelques bonds légers et gracieux. Une manière de vous adresser au nom des habitants de cette forêt toute la sympathie dont vous allez avoir besoin.
Voila. Ma lettre est terminée et mon voisin l'acacia se fait messager de ce courrier par le souffle protecteur du subtil parfum de ses fleurs. Je crois bien vous avoir entendue dire à votre amie de Paris combien vous adorez ce parfum.
Bien à vous.
Le gardien du bosquet
Participant #09 ~ Christian trézin
Mon frère ami des arbres, mon autre moi-même,
À nouveau les mots m'ont assailli, magie qui monte comme un arbre derrière les yeux. Des mondes s'animent que je ne connais pas, des forêts sonnent comme des orchestres et j'ai rencontré une fée. Écoute-moi. Écoute notre dialogue insensé.
Nos entretiens habités d'un mensonge plus tendre que l'odeur du jour, nous étions là, novices et insoumis, n'ayant pas appris l'usage de ce que nous n'avions pas espéré. Tentation dans le regard emplissant l'espace entre la pluie et les fleurs du pommier.
Cet amour fou s’appuyait au silence pour s'élever jusqu'au bord des falaises de craie. Les découvertes inassouvies nous dressaient désirants comme des peupliers vers les nouveaux repères, marqués des pays et des visages pour les jours futurs.
Comme si l'ultime était à chaque instant l'invité, la nuit j'allais contempler les arbres et leur sceau contre le ciel. Au premier chêne j'ai mêlé ses cheveux aux branches, je me suis tourné face au ciel et j'ai ri. Puis elle m'a demandé d'ouvrir une fenêtre dont la poignée, forgée des mots du fond de soi, me résistait.
Elle me disait :
« Je ne vis pas d'outrages ni d'orangers au pied vert. Ma seule énigme est plus amère qu'un oignon et les contraires montent de loin sans jamais éclore aux barrières. Nue dans le paysage rêvé j'ai mis un terme à la froide envergure des regards multiples mais sourds. J'ai ranimé les équinoxes déchus, clos les paupières, pris les saveurs à mains pleines et j'ai dit que tout serait ainsi. »
Des hantises cachées se levaient à nos propres voix, plus loin, toujours tendus vers un pays de collines et de vergers inabordables, chargés d'agrumes et d'oiseaux. Chaque pas nous ramenait au fleuve dont nous guettions sans limites le retrait pour passer outre.
Tous les vallons ouverts conduisaient à la rive. J'ai marché vers l'océan sans savoir si je pourrais jamais retourner. J'ai suivi les chemins et je suis revenu plus pauvre, chargé de pierres et d'herbes, l'odeur à moitié confondue des floraisons. Il a suffi d'un vent plus léger qu'il n'y semble pour que les galets chauds et la forêt se reconnaissent. Au fond, dans le bleu des brumes, les jardins et leurs fruits déchirants. Des souvenirs m'échappent depuis que l'eau monte au-delà des arbres.
Elle disait :
« Je te prends contre moi et je désire ainsi l'éternité des pierres, que le temps fasse halte, que les yeux n'ouvrent plus sur un autre jardin, voir la fin et savoir de quelle fibre est tissée l'eau. »
On aurait prononcé même le mal pour ne plus prêter attention à la marche lissée par les milliers de pas. Il n'est d'autre besoin que celui de se perdre et de se lacérer aux ronces. Tout vaut mieux que la froide blessure des jours de marbre.
Au temps accompli, le savoir était en nous qui n'avons pas trahi les convenances de nos certitudes passées.
Maintenant je file. Je m'en vais retrouver l'athanor.
R.-G.
Participant #10 ~ Colette Lafont
De la part d'un souvenir
Chère rêveuse attentive,
Prends sans regret ce moment unique qui n'appartient qu'à toi seule, offert à ton errance confinée.
Tu navigues dans tes souvenirs……. Me voici!
Une forêt profonde habitée de ténèbres
Une fontaine féérique
Des dolmens mystérieux, le tombeau de Merlin
Secrets, pouvoirs, et présences invisibles.
Écoute, mon amie, c'est toute ta Bretagne
Brocéliande et Viviane enchantaient ton enfance, petite fille solitaire enfouie dans le grand goût des vieux livres, seules images alors accessibles pour vivre un peu ailleurs.
Tu n'habitais pas loin mais tu n'y vins jamais.
Me voici aujourd'hui : dans tes trésors de silence, je suis resté intact jamais détruit par les chocs du réel. Et parfois je te parle car tu sais le secret : sur une porte inconnue de ces lieux muets est écrite une phrase au profond de ta vie :
« La porte du dedans s'ouvre de l'intérieur »
Garde-moi, garde-les tes souvenirs vivaces de ces temps loin là-bas ! Au seuil de ton hiver, tel un grand feu de bois, nous avons le pouvoir d'éclairer et d'enchanter encore tes jours de maintenant.
Oui, garde-moi parmi tes merveilles.
Je serai toujours là pour toi.
C.T Yalong Temps
Participant #11 ~ Joëlle fallot
Viviane, divine Viviane,
C’est la 777ème missive qu’Amste te porte depuis un mois, mais tu ne daignes pas le recevoir. Pourtant je sais que tu adores mon fidèle compagnon, ce superbe chat noir aux pouvoirs innombrables !
Viviane, je me meurs d’amour mais toi, tu sembles m’oublier. Je sais que je te fascine, alors pourquoi ce silence ? Te souviens-tu de la première fois où nous sommes rencontrés ? J’étais dans la forêt, je récoltais des racines de mandragore quand j’entendis soudain un bruissement. Je me retournai et, oh merveille, je te vis ! Divine ! Tu portais une robe blanche en mousseline et nous sûmes tout de suite que quelque chose de magique se passait entre nous. Je fus fasciné par ta beauté et… Non, je dois arrêter. Mon cœur bat trop fort ! Mes potions, enviées par mes confrères, n’ont plus d’effet sur moi. J’ai même l’impression qu’elles renforcent ma passion !
Viviane, réponds moi, ne me laisse pas ainsi. As-tu découvert la cachette de mon voile magique ? M’as-tu ensorcelé pendant un de mes sommeils ?
C’est vrai que maintenant tu es devenue une fée accomplie. Tu étais ma meilleure élève. Te souviens-tu du jour où solennellement je t’ai remis ta première baguette magique ? Oui, je pense que tu t’en souviens. On ne peut pas dire que ta première tentative fut une réussite ! J’en ai encore les larmes aux yeux… tellement je riais, je riais ! Tu regardais ta baguette avec fascination, tes yeux pétillaient de malice. Ah tes yeux, je n’arrive pas à les oublier ! Bref, fièrement, tu me dis : « Cher maître Merlin, je vais transformer ton affreux crapaud en un prince charmant qui tombera instantanément amoureux de moi ». Le buste droit, la démarche assurée, et voilà que tu t’avances vers Tiddak, la baguette magique pointée vers sa tête verdâtre et d’une voix grave et convaincue tu invoques ces mots : « Vlan craud devis u bo prin chant » sans te rendre compte que tu oublies, oh désastre, un tout petit mot mais si important « slepit ». Et soudain, atterrée, tu vis jaillir devant toi un affreux vieillard, qui n’en croyant pas ses yeux et sa chance, se précipite sur toi avec fougue ! Heureusement, j’avais la formule magique qui redonna vie à mon Tiddak ! Tu aurais dû voir ta tête ! Impossible de m’arrêter de rire !
Oh Viviane, tu m’as enfermé dans cette tour de verre depuis une éternité me gardant tout à toi mais me visitant si rarement ! Vais-je user de mon pouvoir pour sortir de cette prison d’amour et tenter de t’oublier ? Ou vais-je accepter mon sort d’amant éploré et vivre dans l’attente éternelle de tes visites ?
Ceci est ma dernière missive, ma divine. Amste attend fidèlement à mes pieds que je la lui remette. Quand tu la liras, si tu la lis, j’aurai décidé de mon destin.
Que Taranis, Teutatès et Esus te protègent !
Merlin le désenchanté
Participant #12 ~ Dawn M cornelio
Chère Madame Cornelio,
Je vous souhaite bien le bonjour, et espère que ce pli vous trouve bien en forme.
Même après avoir regardé trois fois ma signature et cinq fois le cachet postal, ne fouillez pas trop votre souvenir, vous ne m’y trouverez pas. Toutefois, j’espère que vous ferez assez confiance à une inconnue pour poursuivre votre lecture – ceci n’est ni une lettre-chaîne à recopier pour conjurer le malheur ni une arnaque promettant des richesses inconnues sur simple envoi de vos coordonnées bancaires. Je vous prie, assurez-vous que le café est réchauffé, les chiens à vos côtés et votre derrière confortablement installé (oui, vous pouvez garder la radio allumée et votre iPhone à portée de main), et prenez le temps de me lire, le mystère sera vite élucidé.
Je suis la Mante, et je vous écris en tant que Responsable de l’intégration de nouveaux·lles membres de l’association NVNC. Nous ne sommes pas vraiment une société secrète, on est plutôt une société discrète, existant au vu et au su de tou·te·s, mais dont la discrétion nous permet de passer Ni Vu·e·s Ni Connu·e·s où que nous soyons. Nous avons des membres partout dans le monde mais notre siège est depuis toujours à Brocéliande, grâce à l’ouverture de l’esprit de la majorité de ses habitant·e·s.
Comme la plupart de nos concitoyen·ne·s, nous sommes magifié·e·s, mais si subtilement. Notre magie? Notre camouflage – l’état quasi permanent d’être visibles sans être vu·e·s, sans avoir pour autant à disparaitre. Cela, vous l’imaginez bien, nous économise une énergie folle. L’autre aspect de notre magie – celle que nous voudrons semer dans le monde – c’est que nous ne laissons que peu de traces dans les endroits où nous passons et nous contentons de consommer peu de ressources. Ces deux caractéristiques nous ont permis d’échapper à votre vue alors que nous vous observions lors de vos récentes promenades chez nous.
Nous avons remarqué non seulement que vous ne jetiez ni mégots, ni emballages, ni gobelets en plastique, mais que vous ramassiez aussi tous les solides sortant desdits toutous, que vous mettiez par la suite dans le réceptacle destiné à cet effet. Vous venez uniquement avec vos amis à quatre pattes, l’iPhone, et une boisson en bouteille réutilisable, sans vous accaparer de rien de ce qui nous appartient, ramenant seulement des photos de ce qui attire votre attention (on aime les voir sur les réseaux!). Nous voyons dans ces gestes un respect de l’environnement comme de la planète – comportement admirable car basé dans des choix et non pas dans la magie. Nous vous invitons chaleureusement à devenir membre, et à consulter notre site web, www.sociétéNVNC.org. Votre mot de passe personnalisé est #résistance #persistance.
Dans l’espoir d’un retour positif de votre part, je vous prie, Madame Cornelio, d’accepter nos sincères remerciements pour votre attention à l’égard de la planète, ainsi que l’offre de devenir membre de la société.
PS. Pour toute question, contactez-moi via le bouton « La Mante » de notre site web. Je répondrai avec plaisir dans les meilleurs délais.
Participant #13 ~ Jehan
CAIRN
OFFICE NATIONAL DES FORÊTS
BUREAU DES INGÉNIEURS
Monsieur,
Veuillez bien excuser mon intrusion intempestive dans votre vie. Depuis plusieurs jours, mes nuits ressemblent à une succession de cauchemars et de bouffées d’angoisse.
La raison ? Je vous passe les détails. Une fin de soirée bien arrosée au chalet de Brocéliande, qui s’est terminée par une séance de spiritisme, pas très sérieuse, où chacun riait de bon cœur, avant que la table tremble et que le verre se brise.
Un convive s’est levé, comme pris de spasmes, pour nous délivrer des paroles mystérieuses, destinées à un profanateur qui aurait soi-disant volé une pierre dans la forêt.
Le lendemain, j’ai interrogé mes agents. Aucun n’avait déplacé quoi que ce soit sur le domaine. Or j’ai remarqué que vous étiez le seul à y courir chaque dimanche. J’ai pensé que, peut-être, c’était vous… Je vous livre donc le message tel quel…
Oh ! Si vous saviez ce soir-là, comme la voix insistait : « Dépêchez-vous ! Allez porter ces paroles au visiteur ignorant. Dites-lui qu’il doit absolument rapporter la pierre… ». On avait tous le même regard d’incompréhension, mais la voix continuait :
« Je sais… Je sais… Vous vous demandez « qui parle ». Mais je ne peux vous révéler mon nom. Ce pourquoi j’ai brisé le verre. Mon nom n’a ni consonne ni voyelle. Il vous est inaccessible. C’est un nom courant d’air. Un nom qu’aucune langue humaine ne peut prononcer. Tout ce que je peux vous dire, c’est qu’on peut l’entendre à un seul endroit dans la forêt de Brocéliande, quand le vent de l’ouest se lève et penche la cime des arbres.
Bien sûr, vous ne me croyez pas… Je le vois à vos têtes pincées d’hommes modernes, qui ne portent plus aucune valeur à ce langage oublié des esprits de la nature.
Je pourrais vous dire…
Je suis l’ombre d’un tas de pierre que vous prenez pour un vulgaire empilement de cailloux…
Je suis un reste de calendrier celte qui peut encore servir…
Je suis une aide aux chasseurs aguerris pour rabattre le gibier…
Je suis la marque ancienne d’un chemin initiatique…
Je suis le dernier vestige d’un puits templier cachant une eau claire pour le pèlerin qui a soif…
Je suis la tombe d’un saint juif, pyramide de pierre, devant un crime nazi qui veut l’oublier…
Je suis une question minérale, glissant à l’oreille du curieux, le mystère qui pousse les humains à empiler des pierres…
Mais en réalité, je suis avant tout un instrument primitif, un bout de vent qui donne de l’esprit au lieu, une note grave de flûte de pan, un cri de cornemuse, une source sonore qui murmure au promeneur : « Rappelle-toi ! Beaucoup d’hommes sont passés par là, avant toi » …
Alors je vous en supplie, dites au visiteur ignorant de reposer la pierre musicale où elle était, qu’avec le vent salé des côtes bretonnes, je puisse enfin sortir de mon silence. ».
Je vous remercie de l’attention que vous porterez à cette lettre. Dans l’espoir de voir revenir la pierre à sa place initiale, je vous adresse mes respectueuses salutations.
LE DIRECTEUR
Participant #14 ~ Matcut
Liaison dangeureuse
Le courrier n'existe pas là où j'habite. Les garçons n'ont aucun lien avec l'extérieur. Moi non plus d'ailleurs. Nous vivons très bien comme ça. Je surveille l'homme de ma vie trop volage à mon goût. Trop longtemps que ça dure.
Un colibri à gorge rouge se pose à mes côtés sur une pierre, messager délicat. Je prends le pli accroché à sa patte et je commence à déchiffrer une belle écriture avec des pleins et des déliés.
Ma très chère amie,
Je vous écris par l'intermédiaire de cet émissaire rapide qui symbolise la joie, l'amour, la beauté et qui est capable d'arrêter le temps. La forêt de Brocéliande où cette garce de fée Viviane me confine est toujours magnifique. Nous étions fous amoureux du temps de Lancelot que nous avons protégé et élevé. Elle est loin la mémoire d'Excalibur dormant au fond de l'eau. La magnifique dame du lac s'est transformée en sorcière d'une jalousie féroce. Aucun répit pour moi. Nous sommes en guerre et je n'arrive pas à la vaincre.
Ma magie vaut la sienne. Je suis épuisé par nos combats sans fin. Un jour mes colibris m'ont parlé de vous. Je fus enchanté et intrigué par leur récit. Il paraît que vous leur ressemblez, ils vous aiment beaucoup.
Viendriez-vous à Brocéliande? J'ai un plan pour en finir avec Viviane, j'ai besoin de votre aide et de votre poudre magique pour briser le sort qu'elle m'a jeté.
Il suffit pour cela de l'enfermer dans son palais de cristal au fond du lac et le sort se retournera contre elle. Les colibris arrêteront le temps et votre poudre magique fera le reste.
Vous n'aurez aucun mal à me rejoindre si vous en avez l'envie, les elfes sont nos alliés, ils détestent Viviane. La forêt retrouvera sa légèreté, je saurai vous aimer.
Venez ma chère nous serons très heureux.
Merlin
Je souris au colibri à gorge rouge, pas besoin de réfléchir trop longtemps, l'action me manque.
Les garçons perdus n'ont plus besoin de moi. Fini le capitaine crochet, Wendy la gentille qui aura son Peter tout à elle. Mon sac de poudre magique en bandoulière j'enfourche le colibri qui part à pleine vitesse vers la forêt Brocéliande.
Participant #15 ~ Jean-Louis Métivier
Merlin l’Enchanteur Hyères le 22 courant
Presqu’île de Hyères
Plage de Tahiti
Poste Restante 91
Ma très chère Madame Mim,
J’espère que vous n’êtes pas trop malade par les temps qui courent. Ici, où je me repose enfin, au bord de la Mer Egée, au calme, je vous écris, car mon fidèle Archimède vient de me réveiller pour me faire part d’une nouvelle particulièrement désagréable à mes oreilles.
Vous auriez jeté un sort à nos compatriotes de la contrée qui commence à les décimer tous les uns après les autres. Je vous en sens malheureusement capable, tant je connais votre mauvais caractère et l’étendue de vos capacités à nuire à nos semblables, avec votre magie redoutable, mais là vous dépassez les bornes des limites.
Un virus sévit un peu partout, un virus couronné m’a-t-on dit. Je veux savoir si cela est vrai. Et l’entendre dire de votre bouche, il va de soi que si ce maléfice vient de vous, et je saurai m’en assurer, ne me cachez rien, stoppez ce carnage sans délai !
Ce coronavirus est malveillant et touche les plus âgés et les plus sages des habitants de cette Terre. Suis-je l’une de vos cibles ? Voulez-vous donc anéantir le grand maître de la forêt de Brocéliande et des autres territoires ? Quel est la motivation de cet acte scandaleux et pernicieux que je ne saurais tolérer plus avant, une prise de pouvoir délibérée ?
Ne m’obligez pas à me déplacer et à ruiner les jours heureux qui me comblent depuis quelques jours ici dans le Sud.
Ma colère est d’autant plus grande que je vous croyais calmée quand je vous ai croisée lors du dernier banquet des magiciens, vous me sembliez contrite et sagement convaincue de l’inutilité de faire le mal autour de vous. Je vois qu’il n’en est rien et le déplore au plus haut point.
Trouvez donc l’antidote à ce coronavirus immédiatement et faites-le boire à tous ceux qui seraient atteint de ce mal. Annulez ce sort au plus vite avant que je m’occupe d’en créer un des plus venimeux à votre endroit et seulement pour vous, vilaine sorcière maléfique !
Je vous envoie Archimède accompagné de cette missive pour vous compter séant de quel bois je me chauffe et soyez sûre que ma colère, si elle doit s’exprimer, ne tolèrera aucune pitié de ma part, ma vengeance sera terrible.
Croyez chère Madame Mim à l’assurance de ma plus entière préoccupation à débusquer toute traîtrise dans vos actes et dans vos gestes.
P.S. Soyez prompte à réagir avant que les cieux ne s’abattent sur vous, j’ai des amis sur la toile et saurai si vous avez été efficace. Le cas échéant, je ne ferai de vous qu’une bouchée.
Votre dévoué et confraternel Merlin qui n’est plus enchanté du tout
d’entendre parler de vous de la sorte.
Fermer
Atelier d'écriture du 22 avril 2020
Thème : Se laisser dérouter
Regardez la photo ci-dessus. Que vous inspire-t-elle ? Une émotion ? Une histoire ? Un souvenir ? Laissez-vous guider par cette inspiration et écrivez sans vous soucier de la forme... Cela peut être un poème, une nouvelle, un dialogue, une scène de théâtre, un texte absurde ou une description minitieuse de ce que vous voyez...
Seule contrainte : que le texte, rédigé en Police Arial taille 11, ne dépasse pas une page A4.
Description de l'image pour les personnes malvoyantes : Photo en couleur d'un individu nageant le crawl, comme dans une piscine, de l'eau gicle autour de ses bras, indiquant un mouvement vif et rapide. Cet individu est en fait sur une route déserte, et la substance dans laquelle il nage semble être de l'asphalte plutôt que de l'eau, créant une image surréaliste. A l'arrière-plan, dans un paysage légèrement vallonné, le soleil apparaît juste au-dessus d'une rangée d'arbres, et la lumière est relativement faible, évoquant l'aube ou la tombée du jour.
Retrouvez cette image et d'autres réalisations de son auteur, Comfreak, sur le site Pixabay, qui propose gratuitement un très grand choix d'images libres de droits. Une fabuleuse source d'inspiration à tout moment !
Participant #01 ~ Jean-Louis Métivier
Surf sur ligne d’eau
Je n’en crois pas mes yeux, le crawl est pourtant ma spécialité sportive préférée, je n’en vois pas le bout de cette autoroute.
À croire qu’on m’a trompé, dupé, manipulé quand ils m’ont dit que le trajet ne me ferait pas peur, que je n’en ferais qu’une bouchée, qu’une brassée, quelle déroute…
J’ai pourtant l’habitude de nager, même en eau trouble. Les crocodiles ne me font pas peur, en Floride l’année passée, j’en ai fait, des kilomètres dans les marécages !
Et là, je suis déboussolé. Le Nord où est-il ? Suis-je au bout de ma peine, où ai-je encore des kilomètres à avaler, comme un hamster qui tourne dans sa cage ?
Et pas de public, personne ne m’encourage, pas de compétiteurs d’ailleurs, une course contre la montre, même pas de juge de ligne au beau milieu.
J’ai l’impression de ne pas arriver, d’être sur la ligne de départ, je ne me vois pas avancer, pourtant tel un moulin à vent qui déploie ses ailes, j’avance encore de mille lieues.
La ligne d’arrivée s’il y en a une, je demande à voir. J’ai bien mis mon bonnet, mes lunettes de natation habituelles, pas un poisson volant, un dauphin ou une étoile de mer.
Je n’y comprends rien, il y a bien au loin ce soleil qui veut se coucher et qui n’y arrive pas, tout comme moi à finir cette longueur, prisonnier de la lumière.
Depuis le temps que je fais l’aller-retour je devrais y être, au bout de la piste, au bout de la course, au bout de la mer, et non, toujours en train de battre l’eau, de brasser de l’air.
Combien de temps vais-je encore m’accrocher à ce mythe de Sisyphe, pour qui et quel est ce mystère ?
Mon rythme n’est pas mauvais, les mouvements sont aérodynamiques, dignes d’un champion européen des bassins olympiques.
Le chrono ne doit pas être ridicule, pas loin de mon record de septembre de la saison passée où tous les compétiteurs me toisaient de leur corps athlétiques.
Allez, plus que quelques mouvements et j’y serai, arrivé au bord de la piscine et aux applaudissements du public en folie, les cris des aficionados.
Vite, il faut foncer encore, quelques traversées et le repos au bout, la récompense, dans la transe de l’effort des muscles échauffés, quitter le radeau.
J’ai compris ! Un rêve ! C’est un rêve ! Mon imagination me joue encore des tours, des tours et des détours, elle ne veut pas me voir arriver.
Réussir pourtant à ruser, à couper court à cette course endiablée contre moi-même, à trouver la piste qui conduit au summum, au nirvana. Finie la corvée !
J’y suis, je vois mon regard se troubler, je sombre dans une ivresse de l’effort, drogué aux amphétamines, où suis-je arrivé, dans quel état, suis-je le vainqueur ?
Personne alentour. Plus de bruit. Rien que le ciel. Je suis au bord d’une route le pouce en l’air en train de faire du stop. Personne ne s’arrête. Aucun ronflement de moteur.
Participant #02 ~ Gene
Départ
On lui avait dit que ce n’était pas une bonne idée.
- « Tu veux aller explorer la planète Zellia?
- Oui »
Aller vers l’inconnu? Il en rêvait depuis tellement de temps. Et le voici arrivé là où tout est différent. Là où les volcans déversent des laves glaciaires, là où les mers reposent telles des lacs, là où les vents des déserts se fracassent sur la roche. Il est seul dans cette nature que certains diraient hostile, désincarnée. Lui y exulte. Il aspire au renouveau, au déconventionnel, au toujours et maintenant. Il noie ses sens dans des expériences novatrices, exaltantes qui imprègnent ses pores et en exsudent le vivant. Il n’en pouvait plus de cette vie embryonnaire, de ces routes tracées, évidées, déshumanisées. Il exécrait ces chemins stériles, sombres comme l’aube et voués à la stagnation, l’immobilisme.
Chaque lever de soleil le porte vers la traversée inattendue, ce point de vue où le regard au fil de l’eau traverse les frontières invisibles. Il a toujours refusé l’idée des barrières, des barbelés au vitriol qui pénètrent les chairs ensanglantées. Il est opposé à l’entrave inféconde, celle qui broie, qui annihile, qui asphyxie, qui conduit à la perte d’humanité.
Il rêvait de nouveaux espaces faits d’apesanteur pour un cœur vivifié, un cœur explosé d’émotions. Zellia emplit ses aspirations et lui permet de riches expériences. Le temps œuvre chaque jour pour combler les incertitudes passées et nourrir ses pensées. Il se coule dans cette vie à contre-courant, loin de la blafardise de son quotidien. Telle la mue du serpent, son enveloppe s’anime d’une énergie rouge qui le propulse vers l’aspire tant ambitionné.
Participant #03 ~ NP
Déroutée
Je pars en terre inconnue,
Me déconnecte
Bonjour la nouveauté
Lâche prise et me laisse dérouter
Vis désormais
Sans attaches ni à priori
Je vais pouvoir créer inventer oser
Aborder l'avenir sereinement
Explorer la vie autrement
Simplement je me défais de tout
Tranquillement nage contre le courant
Au soleil couchant rêve éveillée
À mon innocence retrouvée
Sans ambiguïté vois mon horizon
S'éclaircir s'assagir s'élargir
Redéfinis ma vie
Enlève les priorités
M'émancipe à tout prix
Du regard des autres de mon jugement
Avance forte
De cette audace maîtrisée
Je m'encanaille
Me perds pour mieux me retrouver
Mon expérience mon alliée
Voyage en toute sérénité
Me métamorphose telle la chrysalide
Celle que je croyais perdue à jamais
Je l'ai enfin retrouvé...ma liberté !
Participant #04 ~ Dawn m cornelio
J'aurais voulu écrire autre chose.
Plusieurs tentatives. Vaines.
Dans la tête ou à même le papier.
Idées de perspectives venues entre les rêves. Inexistants ou simplement oubliés.
J’aurais aimé écrire une fiction. Mais tout ce qui vient c’est une réflexion.
Voyons ce que ça donne. Je pense qu’il n’y aura pas d’autres idées. Alors, allons de l’avant.
Ce qu’on pense voir c’est la paix du monde, face à l’effort de l’individu. L’herbe qui pousse ou jaunit. Le soleil qui se lève ou se couche. D’après les photos qui circulent ces jours-ci, c’est assez juste. La nature profite apparemment de l’absence provisoire de l’humain, même si les dauphins ne sont pas arrivés jusqu’à Venise.
Chez l’humain c’est autre chose. L’humain, malgré l’ennui, malgré l’angoisse, malgré et contre tout, essaie d’avancer. De ne pas faire de surplace. Dans sa compréhension, sa compassion, ou même sa connerie. Un centimètre, une idée, un changement, une larme, un sourire, un soupir, à la fois. Et on recommence.
Quelques mouvements perceptibles dans le monde. Le vrai remous, c’est sous l’eau, c’est dans la tête.
C’est notre réalité. On aide par notre distance au monde, aux interactions, aux amis, à la famille. Notre activité, sous la surface. Nos larmes, nos angoisses, nos petites réussites quotidiennes. Nos grands gestes sont minuscules et invisibles. Notre aide s’offre dans nos absences.
D’autres s’affairent, s’exposent aux dangers.
Nous, nous espérons.
Nous espérons les aider.
Participant #05 ~ Valérie H.
L'esthète dérouté
Il nageait, nageait, nageait.
Instinct de survie ? Amour du geste ?
Esprit de recordman ?
Nul ne le savait
Soif de compétition ?
Surgi de nulle part, sur la départementale
Concentré.
L'air de rien
Il nage, nage, nage.
Avec grande attention,
De ses lunettes et bonnet, paré
Parfait
Dans ses mouvements, un esthète
Qu'il pleuve, vente,
De jour comme de nuit
Un seul objectif.
Une ligne d'horizon
Nager, nager, nager.
Vers où ?
Vers quoi ?
La même question toujours
Entre rêve et fiction...
Sur sa ligne de flottaison,
Entre dans la profondeur de champ
Imperturbablement.
Nager, nager, nager.
Il est dans la pure sensation
L'œil du photographe a capté l'attention
Tourné vers l'arrière-plan ou porté sur la vision
D'un premier plan en pleine action
Codes cassés par cette démonstration
Imaginaire du plaisir de natation
Traverse sans plus de réaction
Dans son univers, reste avec passion.
Il nage sans plus de raison
Nager, nager, nager.
Rêve ou fiction,
Raison ou imaginaire
Il traverse la scène et coupe la ligne d'horizon
Le chrono tourne est-il sur les nerfs ?
Infatigablement
Nager, nager, nager.
Participant #06 ~ Colette lafont
Des routes
Il a franchi la ligne.
Il eût pu le faire en brasse coulée
nul ne l'aurait vu
lui ni sa photo.
Mais il a choisi le crawl sportif
et l'allure vaillante de celui qui fend l'espace
trace sa propre route vers son désir.
Seul dans l'aventure
comme souvent.
Vient le moment de se jeter à l'eau
même s'il n'y a pas d'eau.
Malgré tout il a franchi la ligne.
Pas une ligne imaginaire,
elle est visible, surpeinte de blanc.
C'est une limite.
Celui qui ne fait rien comme tout le monde,
Don Quichotte contemporain,
là où chacun voit une route a vu un fleuve :
Il a plongé.
Et le fleuve de son mirage le porte
l'emporte.
Nul ne verra l'exploit.
Il ne s'agit que de lui seul
et c'est déjà bien assez.
Participant #07 ~ Mathilde B.
Fendre l'asphalte
Nous devions partir à l’aube, la voiture remplie dans ses moindres recoins de bagages, matériel de plage, linges de maison, de rouleaux d’essuie-tout et de papier toilette. De victuailles, paquets de chips et petites bouteilles d’eau, de deux enfants et quatre doudous.
Un large échantillon, en somme, tout à fait déraisonnable de nos réels besoins. Un ensemble de petits « au cas où » pour un grand tout terriblement fouillis. Un casse-tête désopilant pour tout faire tenir dans l’habitacle de la voiture, sorte de Tétris géant en trois dimensions.
Il s’agissait tout de même de traverser la France sur 700 kilomètres pour 3 semaines d’échappées.
S’éloigner de nos terres arides pour aller rejoindre l’océan et s’extirper enfin du quotidien pour notre parenthèse estivale : les vacances à la mer. Celles qui donnaient sens à une année de course contre la montre, de réveils trop tôt, de couchers trop tard, de travail acharné et d’hiver qui s’attarde.
Un dernier tour aux toilettes, lavages de mains, comptage des gosses et des doudous, et j’additionne 2, je retiens 4, plus 2 parents, multipliés par l’excitation du départ, ça donnait qu’arrivés au bout de la rue, on s’interrogeait systématiquement sur le fait d’avoir bien éteint la lumière du garage, sorti la poubelle ou fermé la porte d’entrée...
Les vacances commençaient vraiment dès lors que tout ce petit monde et son fatras foutraque se retrouvaient confinés dans les 4 mètres carrés de la grande auto, lunettes de soleil vissées sur le nez et projection de l’ailleurs à venir.
Et tant pis pour les oublis de seconde nécessité sur le coin de table : la crème solaire, le roman préparé à la hâte, les mots mêlés, les brosses à dents des enfants.
C’est fou, toujours un oubli.
Et pourtant, toujours, on y survit.
Dès les 10 premières minutes, les enfants demandaient si nous arrivions bientôt – non – si l’on pouvait manger des chips – non, il est 8h, tu viens de prendre ton petit déjeuner – un bonbon alors ? - non plus – enlever nos chaussures et nos chaussettes ? - oui, du moment que tu gardes ta culotte !
La France serait longue à traverser mais ça faisait partie des vacances et de ce qui ferait plus tard le sel de vie de nos vieux jours. Alors on tenait bon. On proposait de faire un Petit Bac, de compter les voitures grises, de jouer au roi du silence ou mieux encore, de faire un concours de siestes.
Il faut reconnaître que j’étais plutôt bonne à ce dernier jeu.
Depuis toute petite, j’aimais l’état second de rêverie éveillée que procuraient les trajets en voiture. J’aimais être obligée de ne rien faire d’autre que d’observer les scènes qui s’offraient à moi, derrière la vitre de la voiture, et inventer des brèves de vies aux inconnus de mon passage. J’aimais l’ivresse légère que provoquaient les mouvements de la route et plus encore les petits guilis au ventre, après avoir franchi un cassis à vive allure.
Je m’endormais donc, lentement, luttant un peu, pour voir du pays.
Et puis je sombrais plus fort, dans un inconscient déjà là-bas, dans l’ailleurs des vacances.
Devant moi, l’océan. Immense.
Dans mes cheveux et sur mon visage, l’embrun.
Derrière moi, les tongs et les vêtements quittés à la hâte sur le sable, et puis eux trois, qui m’observaient depuis la voiture.
Courir – plonger – fendre l’eau d’un geste ample,
un crawl parfaitement maîtrisé – silence, profondeur, respiration, horizon, ciel, silence, profondeur, horizon – jurons – coup de freins – ABS - - - - - - -
réveil !
- Qu’est-ce qui se passe ?!
- C’est rien, on arrive sur Bordeaux ! C’est toujours bouché ici, quelle que soit l’heure ! On n’est pas rendus !
Silence, soupir. Horizon, bouché.
Participant #08 ~ J'Acte Mesrimes
Nager sa vie...
Ne pas avoir de doutes.
Coûte que coûte, traverser la route,
Pas pour trouver un emploi, juste pour soi,
Pour que tout son être se déploie !
S'affranchir de l'écume du bitume,
Oublier la planche, privilégier la glisse...
Tel Ulysse, user de malice,
Au chant des sirènes, être étanche,
Franchir la ligne blanche...
A chaque brassée, penser à bien respirer,
Inspirer, expirer, s'extirper,
Surtout, prendre garde à ne pas se noyer !
Vers les cieux, tendre la main,
Les yeux rivés sur demain.
Oser, conseil important,
La nage à contre-courant !
Participant #09 ~ Cécile Turek
Aquaroad
À vos marques...
Le signal retentit dans l'enceinte résonnante du centre aquatique. Mais elle est sourde... Elle ? Un petit bout d'humanité qui traverse l'autoroute de la vie. Une route bien sinueuse qui pourtant la mènera à destination. Laquelle ? Sûrement la même destinée à tout être vivant. Pour l'instant, elle fixe toute son attention sur cette ligne d'eau.
Dans les vestiaires, elle s'est remémoré le rêve qu'elle avait fait la veille. Un jeune homme aux commandes d'un bateau navigue sur une rivière. Il a pour mission de jeter par-dessus bord des êtres humains. Il largue ces corps inexpressifs sans éprouver ni crainte ni remords. Sous la surface, d'autres individus, dépourvus de bras et de jambes, le visage dissous, les attendent. Probablement livrés eux-mêmes à la rivière un peu plus tôt. Ils doivent y revenir plusieurs fois afin qu'à force de les ronger, de les élimer, ils finissent par les éliminer. Ils s'acharnent sur ces chairs si bien que le ressac de leurs sempiternelles attaques mue à leur tour les corps en troncs. Tous baignent perdus dans des eaux troubles, sorte de liquide amniotique où des fibres de chair surnagent autour des victimes, victimes des victimes.
En se réveillant, elle s'était spontanément comparée à ces chimères. Elle s'était demandé si elle ne trouvait pas dans cette eau chlorée une réminiscence de son état fœtal. Un retour aux sources de la vie, de sa vie. « À mes marques, à mes repères quels qu'ils soient. Peu importent les racines de mon arbre de vie, seuls ses fruits comptent. », pense-t-elle au moment de prendre la posture de départ.
Prêts...
On n'est jamais prêts à quoi que ce soit même avec les meilleurs repères du monde au départ. On a beau s'y préparer, les choses ne se déroulent jamais exactement comme on l'a prévu. Prêts à quoi d'ailleurs ? A affronter les épreuves, les douleurs, les déceptions, la perte de ceux qu'on aime ? Parce que pour les petits et grands bonheurs on ne vous demande jamais si vous êtes prêts... On vous dit « Profite bien ! » Elle, ni plus ni moins que quiconque, pouvait en témoigner. Au début, elle s'était servie de la natation comme d'un refuge. Une activité où noyer son angoisse de ne pas se sentir à la hauteur de la tâche qui lui incombait sur cette Terre : vivre. Pendant l'effort s'opérait un oubli de soi et de sa douleur. Une anesthésie de la pensée par la suprématie du corps. Un engourdissement du mental par la contrainte physique. Il avait fallu qu'elle se blesse pour comprendre le subterfuge d'un tel fonctionnement.
Partez...
Au signal ses muscles se tendent. Le contact de l'eau lui apporte instantanément un réconfort immédiat. Tout est plus simple, plus fluide, plus évident dans l'eau. Néanmoins, cela n'a pas toujours été le cas. Toute petite, son aquaphobie était telle qu'elle ne pouvait même pas envisager de se faire laver les cheveux dans la baignoire sans hurler. Sa peau ressentait comme une brûlure intense au contact de l'eau. Alors nager... qui l'aurait cru ? Et pourtant à l'âge de 7 ans, il lui avait fallu apprendre. Elle s'était consumée lorsqu'il avait fallu s'immerger dans la fournaise aquatique. Elle se souvient de la monitrice l'immolant dans le bassin de deux mètres. Son corps garde encore la mémoire de la terreur ressentie et de cette sensation que la vie s'arrête. Étonnamment, plusieurs mois plus tard, elle fusionnait avec ce nouvel élément jusqu'à l'absorber, le faire sien. La profonde panique avait laissé place à un enivrant apaisement. Depuis, à chaque plongeon, elle hésite à refaire surface et revenir.
A vos marques, prêts, partez !
Elle centre son attention sur ses mouvements et son souffle. Elle redouble de force et de précision dans ses mouvements, elle accélère. Toutes ses errances se combinent dans des gestes précis. Elle s'y jette feu et flamme. Puis, tout à coup, dans un dernier élan, elle parvient à la ligne d'arrivée. Son GPS intérieur lui annonce :
« Vous êtes arrivée à destination. »
Larguer ses amarres puis jeter son ancre. Partir pour mieux revenir à soi. C'était sa dernière course.
Participant #10 ~ Christian Sautier
Se laisser dérouter
Je vais vous raconter une incroyable histoire. Je n’avais que 8 ans et j'ai fait un rêve étrange.
Je dormais à l’ombre d’un vieil arbre au bord d’un étang et un petit écureuil, assis sur une branche, se mis à me parler.
"Bonjour Christian ….
Je fus très étonné mais la petite taille de mon interlocuteur me rassura.
- Qui es-tu ?
- Tu vois bien, je suis un écureuil et je voudrais être ton ami, je n’ai personne à qui parler ici. Tu veux bien ?
- Ok. Parlons !
Nous avons conversé longtemps, longtemps...
Au terme de ce bavardage, le petit écureuil s’est assis sur mon épaule et nous sommes allés nous promener. Nous avons traversé une immense prairie recouverte de fleurs multicolores, un coin paradisiaque. Nous sommes arrivés au bord de la route, un long ruban noir filant vers l’horizon et nous nous sommes assis dans l'herbe haute du talus.
Le petit écureuil qui regardait la route me dit :
- Votre vie à vous les humains est comme cette route, triste et monotone. C’est pour moi une plaie qui traverse mon jardin. Si tu n’avais pas quitté cette route on ne se serait jamais rencontré.
Le petit écureuil me dit alors :
- Je dois partir maintenant.
-Rappelle-toi, Christian, de ce que je viens de te dire."
J'essayais de le retenir...en vain.
Il traversa la prairie et alla retrouver son grand arbre. À cet instant, je fus sûr que je ne l'oublierais jamais. Je restais seul sur le talus, regardant cette route.
Là, je me suis réveillé en sursaut, les yeux mouillés !
Longtemps ce rêve m'a marqué par son réalisme, et les paroles de mon ami sont restées ancrées en moi.
Bien des années plus tard, je partis en vacances seul dans ma petite voiture. Je circulais sur une route toute droite et interminable. Elle traversait d’immenses champs de blé, des forêts verdoyantes, des prairies recouvertes de fleurs. Devant la beauté de ce paysage, je décidais de faire une pause. Je me suis arrêté sur le bord de la route pour admirer le paysage et je me suis alors souvenu des paroles d’un ami écureuil dans un rêve d’enfant, il y a bien des années.
Un petit chemin sur ma droite semblait m’inviter à entrer dans un petit bosquet. Je ne savais pas consciemment d'où venait cette attirance mais je décidais de quitter la route. Au sortir de ce bosquet, j’ai découvert une immense prairie recouverte de fleurs multicolores, un coin paradisiaque. Et là, je l’ai vu, il trônait seul, majestueux, le grand arbre de mon rêve au bord d’un petit étang. Je me suis assis sous l’arbre et j'ai regardé autour de moi, je me suis senti comme de retour dans mon rêve !
Je regardais la caresse du vent sur le petit étang et je décidais qu’un bon bain me ferait le plus grand bien après ces longues heures de route. Apres cet instant de détente, je m’allongeai sous l’arbre.
Soudain, un bruissement me fit sursauter. C'est à ce moment-là qu'au-dessus de ma tête est passé un écureuil. Cette vision me laissa rêveur.
Je ne sais pourquoi, je me suis mis à lui parler.
"Bonjour mon ami ? Te souviens-tu de moi ? Tu vois j’ai suivi ton conseil, j’ai quitté ma route et j’ai découvert ton beau jardin."
Le petit écureuil ne m’a pas répondu bien sûr.
Encore aujourd’hui, j’y repense souvent, cette étape sur ma route restera le plus beau souvenir de mes vacances.
Participant #11 ~ sandra LB
Plongée bienheureuse sur les chemins de traverse
J’ai quitté Saint-Remy vers 16h. Je déteste conduire de nuit et plus encore sous la pluie. La route est longue – 434 km –, j’aurais dû partir plus tôt. Il était 11h quand Sophie a appelé. Jean lui a dit que j’étais arrivée hier et repartais aujourd’hui. Moins d’une heure après, ils étaient là, Sophie, Emile et les garçons, puis Charles, son fils. Jean lui avait envoyé un message, lui proposant de nous rejoindre à déjeuner. Sitôt l’invitation lancée, Jean était parti acheter du pain et du charbon de bois, tandis que ma tante Jackie avait sorti deux douzaines de saucisses du congélateur et mis trois bouteilles de rosé de Provence au frais avant de sortir la vaisselle des jours de fête. Là, j’ai su que le départ allait être compliqué, du moins retardé.
Je roule et je fatigue. Nous avons pu déjeuner dehors, près du tilleul, malgré un temps menaçant. Finalement, c’était un bon moment. J’étais ravie de revoir les enfants. Ils ont maintenant 7 et 9 ans… Ils n’allaient pas à l’école la dernière fois que je suis passée, c’étaient des bébés. Comme le temps passe vite ! Ce sont maintenant deux petits gars toniques et, bien que différents - le cadet plus intéressé par les activités tranquilles, comme le dessin, que l’aîné, toujours dans les jambes des grands –, ils ont tous les deux de petits yeux noirs en amande, tout comme leur mère et leur grand-père. Jean dit que c’est la marque de fabrique de la famille Tisani, fromagers affineurs de père en fils depuis 1908. « Et fille depuis ?… depuis ? » 12 ans cette année.
Quand j’y repense… Pas un repas de famille sans que Jean ne mette Sophie à l’honneur. Sa fille aînée a rejoint la fromagerie dès son baccalauréat en poche, puis, deux enfants accouchés, a repris des études en marketing pour développer l’affaire familiale à l’export. Et aujourd’hui comme à l’habitude, la conversation s’est concentrée sur les questions courantes de l’entreprise. Sur la laiterie Vacher qui pour la deuxième fois en un mois n’a pas livré à temps, sur le congé de maternité de la première vendeuse, pour dans deux semaines alors qu’on a des problèmes avec les apprentis, qui ne sont pas motivés, sur le chien du maire adjoint qui a encore levé la patte sur la vitrine. « On a la tête sous l’eau en permanence », a dit Sophie à plusieurs reprises, avec dans la voix la fierté de ceux qui pensent être les seuls capables de se remettre de tout. Oui, ce déjeuner était fatiguant parce qu’ennuyeux.
La route n’en finit pas de courir devant moi et avec la pluie fine qui commence à tomber, elle me fait penser à la vie des Tisani, Jean et fille. Toute tracée, droite, absorbant l’eau comme il le faut. Je pense à Charles. Lui aussi a les yeux en amande, mais bruns. Il a toujours l’élégance de ne pas faire remarquer cette différence. Peut-être par générosité, pour éviter de rappeler à son père qu’il y a eu une autre femme que Jackie dans sa vie ? Ou pour garder le souvenir de sa mère pour lui-même ? Après le décès, il y a six ans, on s’attendait à ce que Charles connaisse une longue traversée du désert dans lequel il aurait perdu envies, emploi, amis. Au lieu de cela, il a continué d’animer son émission de radio et il a persisté dans son rêve de faire de l’écriture son métier. J’en avais eu écho par Jackie, en prenant des nouvelles au moment des vœux. Jean était inquiet que Charles s’obstine à refuser tout emploi à la fromagerie.
Le ciel et l’asphalte s’assemblent comme pour me faire écran. Je peine à suivre la ligne blanche et je n’en suis qu’à la moitié du chemin. Je ne sais même pas quelle est la radio où Charles travaille. Jackie ne me l’a jamais dit, il me semble, ou bien je ne m’en souviens plus. Je ne sais pas non plus quel genre d’émission il anime. A-t-il une spécialité, est-il journaliste ? Tout en fixant la route, je glisse la main dans mon sac posé sur le siège avant de la voiture et attrape le paquet que Charles m’a offert alors que j’étais sur le départ. À la forme, je sais qu’il s’agit d’un livre. Par sécurité, je m’arrête sur le bas-côté et ôte le papier kraft qui emballe ce qui est, plus exactement, un roman dessiné. Sur la couverture figure un nageur. Ou plutôt, la tête d’un homme, les yeux couverts par de petites lunettes de piscine. Sous le titre « Sortir la tête de l’eau », est écrit comme à la main : plongée bienheureuse sur les chemins de traverse.
Aurais-je jugé trop vite ? Après deux minutes de réflexion, je reprends la route, mais en sens inverse, direction Saint-Remy. Je ne voudrais pas rater un dîner extraordinaire…
Participant #12 ~ Jean Moynier
Le Nageur
S’évader ! Partir d'ici, fuir.
S’enfuir à tout prix ! Quitter ces lieux, ces jours sans fin... Cet espace sordide où l'on ne saurait vivre. Je dis vivre comme un Homme…
Y survivre cinq ans est déjà un exploit. Et à quel prix ? Je regarde mes camarades, trimant sous le soleil, besognant au fond du trou, amaigris, affamés, épuisés… Nous ne sommes plus que des ombres furtives, hâves et courbées sous les cris et les coups, fuyant les crocs des mâtins. Au fond, dans les boyaux étroits, l’air froid comme le tranchant crasseux des outils, n’est que poussière. En haut, sur le carreau, le soleil brûle les épaules et les dos. Le carreau, c'est le fouet qui siffle, nous mord et nous lacère et c’est les chiens aux aguets, qui veillent, féroces.
La mine, c'est la géhenne, la mort à petit feu. On ne vient jamais à bout du travail harassant. On le sait, c’est lui qui viendra à bout de nous… Creuser, creuser toujours, plus bas et plus profond. Pour voir de temps en temps, dans sa gangue grossière, briller comme un œil sec et froid, quelque éclat de diamant. La mine c'est l’enfer, c'est la machine aveugle qui broie jour après jour et dans un même geste, inlassablement répété, le minerai et les hommes. Hommes ? - Esclaves ; esclaves venus de vingt nations et priant mille dieux. Cent-trente morts-vivants enchainés et plongés à jamais dans le même creuset.
La seule paix c'est le soir, juste après la gamelle, quand les feux retombent en braises. Un chant s’élève, grave et lent, nostalgique, de cent poitrines décharnées et monte vers les cieux. Chant du pays, ode à la terre natale, cantique du souvenir et de l'espoir moribond.
M’enfuir ! À n’importe quel prix !
Ce soir la nuit est noire et les gardiens ont bu…Les chiens sont rassasiés, la lune s'est couchée laissant la place aux rares étoiles pâles qui scintillent entre les nuées.
Je me suis glissé sans un bruit sous la clôture. Au-dessus des foyers montait la douce mélopée de mes frères de chaines. J'ai rampé hors d'haleine jusqu'aux premiers fourrés puis marché à l'estime vers les monts Gangoora qui s'élèvent au loin, bien après la frontière.
Maintenant je dois franchir la rivière. Courir pour ne pas mourir. Au-delà c'est l’espoir, la vie… Adieu les chaines, les molosses et le fouet. J'irai libre et dressé sur ma terre natale, savourant, enivré, ma jeune liberté. J'irai jusque chez nous, j’enlacerai ma mère et descendrai au champ saluer mon père et mes frères.
Le fleuve serpente au fond de la vallée telle une route grise au milieu du désert, reflétant les nuages comme un miroir d’étain. J'étais un bon nageur jadis et ce dernier obstacle n'est pas pour m’effrayer… J’entends des chiens japper quelque part dans le bush. Leurs aboiements glacent mon sang. Je reconnais leurs voix ; ce sont ceux de la mine... Des torches s'agitent, fouillant l’obscurité. Dans l’entrelacs des arbustes elles se croisent et virevoltent, feux follets qui auraient un langage. Leurs mots de lumière résonnent en moi comme un arrêt de mort.
À l’horizon des collines rousses le soleil blême déchire les derniers voiles de la nuit sur un ciel gris de plomb. Une centaine de foulées me séparent encore de la route liquide qui coule vers l'ouest. Vite franchies, je me lance à l'eau à la seconde même où retentissent deux détonations. C’est un coup de poing qui me projette en avant. Dans l'eau tiède et profonde je nage de toutes mes forces vers la rive opposée. Puis, soudain une douleur irradie dans mon épaule gauche… Nageant de mon seul bras valide je me fatigue et n’avance plus guère... Autour de moi l'eau semble se figer, comme coagulerait un fleuve de sang. Le soleil jaunâtre la fait miroiter ainsi que du mercure. Je suis immergé dans un lac de bitume. Une camisole d’asphalte. À nouveau prisonnier ?
Là-bas, loin devant moi, la rive… La rive !
Participant #13 ~ Jean-Louis Ruifernandez
La grande traversée
Au-delà de la banalité du sujet, cette photo, pourquoi le nier, m’interpelle. Quoi de plus banal en effet qu’un homme qui traverse sans danger apparent une route nationale déserte. C’est son droit que je sache, pourquoi s’en formaliser ? À cette situation, que certains trouveraient énigmatique et qui pourrait paraitre invraisemblable au regard du commun des mortels, je trouve une explication rationnelle. Pragmatique, je constate, je questionne, j’expose. Et j’explique.
Cet homme qui nage sans complexe dans une large couche de bitume, d’où vient-il et, question subsidiaire mais néanmoins essentielle, où va-t-il ?
Son corps nu d’athlète surentrainé, la puissance de ses bras favorisant l’efficacité d’un crawl maîtrisé, ne laissent aucun doute : manifestement il est sorti tout droit de la piscine où, tout au long de la journée, pour tuer le temps, il effectuait, d’un bord à l’autre bord, des va-et-vient aussi monotones qu’interminables. Imaginez : réduit à l’échelle d’un poisson rouge baignant dans son confinement, c’est tourner durant des heures et des heures dans un bocal à l’exiguïté mortellement anxiogène.
Notre homme, tout comme le petit poisson rouge cité plus haut, n’en pouvait plus de nager dans ses bulles. Alors, il a bondi, jailli hors de son bassin-bocal, dans son élan a tracé son sillage jusqu’à la route nationale, la traverse, selon la photo, sans difficulté, (regardez attentivement, la nationale est déserte), va plus loin encore, poursuit son effort poussé par un battement de pieds exceptionnel, c’est là un avantage indéniable, qui le propulse à la façon de la puissante hélice d’un hors-bord italien , puis va plus loin, par-delà les vertes prairies, les champs de blés en herbe, jusqu’aux terrains en jachère tachés de coquelicots, salué d’en haut par le piaillement joyeux des hirondelles. N’étant handicapé, heureux homme, par aucune insuffisance respiratoire, incontestablement notre fugueur a du souffle ; en toute hypothèse et contrairement à l’opinion commune, rien ne s’oppose à ce qu’il poursuive sa fugue à travers la campagne. De temps à autre, pour se détendre, loin des remous du monde enfermé, il lui arrive de faire la planche, le regard sereinement tourné vers le soleil qui l’accompagne, complice, dans son échappée belle.
Ainsi jusqu’à la mer…
Là, comme en apesanteur, porté par les doux clapotis des vagues, il respire, avide, une nouvelle vie. Mieux, il entre en résurrection. Bien sûr il nage encore, mais il nage dans le bonheur !
Quant à vous vous qui lisez ces lignes, il convient que, désormais, vous rompiez avec les préjugés. Convenez-en, n’avait-t-il pas toutes les raisons de traverser la route à la nage ? Vous êtes sceptiques? Je ne voudrais pas paraitre grossier, mais si vous ne croyez pas à ma démonstration difficilement discutable, c’est que, pardonnez-moi, vous êtes atteints d’une sérieuse atrophie de l’imaginaire. Croyez-moi, c’est grave !
En ce qui me concerne, je ne vous cache pas que cet homme m’a donné des idées : dès demain je vais m’initier à la brasse papillon….
Participant #14 ~ martine bédier Alias 4532martine
Rêve et évasion pendant le confinement
Que de souvenirs me reviennent en mémoire quand j'aperçois cette route au loin ! Elle apparaît comme une ligne droite et infinie. Oui, cette route qui traverse la Basse Californie de San Diego à Cabo San Lucas et que j'ai empruntée, en chevauchant une Yamaha 850 TDM.
La basse Californie vous connaissez ? Comme son nom ne l'indique pas, il s'agit d'une province mexicaine située dans le prolongement de cette bonne vieille Californie américaine. Mais si !! Cette espèce de langue qui pend le long du Mexique, côté Pacifique. Ah ! Vous voyez, vous connaissez !
Ma moto tourne comme une horloge, révisée et astiquée, prête à avaler les 2000 kilomètres qui la séparent de Cabo San Lucas, à l'extrême pointe de la Basse Californie. Ce moyen de locomotion est l'outil idéal pour découvrir cette langue de terre désertique.
La frontière entre les USA et le Mexique est San Diego. Elle ressemble à un mur de Berlin. Je distingue une fortification et du fil de fer, mais le passage s'opère à peu près comme celui du Cotentin au Calvados. Bien sûr, une fois de l'autre côté, les buildings se tassent un peu et les baskets des locaux sont plus aérées, mais que voulez-vous, c'est le climat qui veut ça !
Le premier village traversé est Ensenada. Mon impression, en touriste rêveuse que je suis, avec un brin de culture cinéphile, me dévoile une horde de « sergent Garcia », sortie tout droit de la série télévisée Zorro, qui déambule dans les rues. Allez, direction la pompe à essence, et là je comprends très rapidement que la mise à zéro des compteurs sur les pompes mexicaines dépend du bon vouloir du pompiste, généralement plus prompt à m'arnaquer qu'à sauvegarder mes intérêts.
L'arrivée sur la plage de San Quentin est une image qui marque. Une nature sauvage où transparaît la puissance du Pacifique. Je profite d'une petite pause, pour déguster la boisson locale, la Téquila, c'est un régal. Tchin Tchin ! (À consommer avec modération).
Le troisième jour, j'aborde les premiers cactus candélabres qui bientôt deviennent des forêts de 6 à 7 mètres de haut. C'est impressionnant ! Au-dessus de ma tête, les urubus, charognards noirâtres, attendent qu'une vache famélique veuille bien se laisser écraser par un de ces monstrueux camions américains. Et voilà, je suis dans le désert de cactus avec néant humain, pas l'ombre d'un sombrero à l'horizon.
Les premières étapes, longues de 150 à 200 kilomètres, respectent mon postérieur. De là, va pour Guerrero Negro à la rencontre des baleines grises qui, chaque année de janvier à mars, viennent du détroit de Béring se reproduire dans ces eaux plus tempérées.
Je reprends la route et après un slalom entre les cactus montagnards, je débouche sur la mer de Cortès près de Santa Rosalia. Pendant une cinquantaine de kilomètres, la route suit le tracé du relief avant de filer vers Loreto. J'y passe la nuit, dans un hôtel, et au petit matin, vingt mètres suffisent pour être au ras de l'eau et admirer le lever du soleil sur cette mer d'huile.
Je découvre également La Paz, la capitale, située dans une baie calme et j'en profite pour faire un tour de jet ski. Ça vous donne envie ! N'est-ce pas ?
La dernière étape me conduit à Cabo San Lucas, le Saint Tropez local, avec sa marina et ses Américains par milliers. Voilà, mon périple se termine après 2000 kilomètres avalés sur cette route qui se nomme :
« MEXICO HIGHWAY NUMBER ONE »
Des souvenirs plein la tête mais aussi des kilomètres de pellicules photos.....eh oui, à cette époque le téléphone portable n'était pas de mise....c’était en 1997.
Participant #15 ~ Jacote
Vous avez dit rêver ?
La route est longue, longue, longue,
Marche sans jamais t’arrêter.
Pas âme qui vive en cette fin de journée,
Aucun tracteur ne ronronne au loin,
Le paysage invariable sans fin,
Pas un oiseau ne lance sa joie,
la route est longue, longue, longue,
Chante si tu es fatiguée
Qu’est-ce que j’ai dans ma p’tite tête à rêver…
d’une grande route paisible et silencieuse,
où marcher, un pas devant l’autre, sans effort,
Nage, nage, nage, sans jamais faiblir,
Concentre-toi, et la victoire sera tienne
Nage, nage, nage, de toute ton énergie
Ta route de rêve aura disparu avec le soleil
Ta joie sera immense et tu chanteras
ton ciel se fera sur terre avec tes bras
Participant #16 ~ Myriam Langlest
Encore trois largeurs
Encore trois largeurs et elle s’arrête. Assise sur le talus, la serviette à la main, elle fume. Cette eau ! Quinze aller-retour ce soir. Elle rit en bougeant ses muscles. Il fait chaud. Elle se souvient encore quand cette chaleur s’accompagnait du chant du grillon, surtout à cette heure-ci. Elle se souvient des insectes. Le silence fait partie de ce nouveau monde. Ni animaux, ni machines, ni voix humaines. Elle est vivante. Elle est seule. Elle n’a plus peur. La terreur est passée depuis qu’elle a trouvé le magasin abandonné. Elle restera le temps des provisions. À manger, à fumer, même à lire.
Elle a cessé de chercher à comprendre pourquoi depuis longtemps. Les routes sont devenues des rivières. Les rivières sont pleines de cailloux jaunes. Depuis un mois elle s’est aperçue qu’elle parlait seule. Depuis trois mois, elle a cessé de chercher un autre humain. Elle ne sait plus exactement depuis quand elle s’est réveillée seule dans sa ferme. Elle réfléchit à voix haute : « Tu dois faire un effort sinon ton cerveau va se ramollir. Comment faisaient les prisonniers ? » Mais elle n’est pas prisonnière. Elle peut aller où elle veut. Elle est juste seule. Seule juste. Juste. Seule.
Ça doit être depuis qu’elle a suffisamment à manger, qu’elle se questionne autant. Avant la course à la survivance occupait ses neurones 24 heures durant. Mais depuis la découverte du magasin, sa tête est pleine de pourquoi. Des pourquoi inutiles. Les réponses ne sont pas à sa portée. Alors elle nage, elle court, elle chante, elle hurle. Elle compte aussi : 3321 pas du magasin à la rivière. 20 boites de conserve. 42 revues, la moitié de porno. 4 pelles. 26 paquets de cigarettes. 50 paquets de chewing-gums, pas d’eau du tout mais il y a la rivière. Dans 700 boites, elle reprend la route, enfin la rivière-route. Elle a trop chaud. C’est décidé, elle ira au Nord.
Depuis une minute son oreille se tend inconsciemment. Quelque chose cloche. L’eau clapote. L’eau n’a jamais clapoté. Le nouveau monde n’a ni poissons, ni coup de vent. Alors d’un coup elle s’élance. Elle court dans la poussière. Elle glisse, elle tombe, se relève, pleure. Ses poumons brûlent. L’eau bouge, c’est sûr. « Qui est là ? Ne partez pas, je m’appelle Aline ! » Agrippée au rocher, elle voit la terre s’enrouler, tanguer, gronder. La terre tremble. Une seconde ou une minute, l’effroi est le même. Le silence est revenu. Aline se lève. Et soudain elle la voit, la rivière. Ou plutôt, elle voit qu’il n’y a plus de rivière. Plus d’eau, plus rien à la place. Du silence, de la chaleur. Et de nouvelles questions : « Combien je peux porter de boites de conserve dans mon sac à dos ? Le Nord, c’est bien ? La mort peut-être ? Une corde, un couteau ? »
Participant #17 ~ Pascal langlest
Ce soir-là, il faisait une nuit d’encre. C’était l’hiver et évidemment l’obscurité vous noyait de façon doucereuse. Elle s’installe dans votre tête comme on se jette sur un matelas cotonneux.
Il faisait une nuit de piscine fermée. Une route détrempée, des bas-côtés débordants, des panneaux indicateurs comme des bouées de sauvetage.
D’un coup, la pluie a redoublé de puissance, de force, de débit. Le ciel se déversait sur la route. Même les puissants projecteurs du camion avaient du mal à transpercer ce déluge.
La ligne blanche à peine perceptible devenait le seul signe de salut. La tempête enorgueillie par un fracas de tonnerre fit trembler le lourd habitacle.
Les arbres prenaient des formes de voilure dignes des navires passant le Cap Horn. Les dernières lueurs d’un sommeil endormi ne laissaient rien présager de magnifique pour la suite.
Ce coup de grain s’avérait tourner au désastre. Les hautes branches des vieux chênes, secouées, molestées, s’arrachaient de leur cime pour s’écraser comme un vieux crabe sur la chaussée noyée.
Une lumière au loin !
Suivre cette bon sang de ligne blanche !
La balise !
L’ouragan a eu raison de ce vieux genévrier centenaire ; en s’arrachant avec douleur et désespoir à sa terre, il a ouvert un sillon perpendiculaire à la route.
Debout sur les freins, aveuglé par les phares des pompiers,
il me reste
cette image.
Participant #18 ~ Christian Trézin
Le bout de la route
Reprendre la route. Dans la brume qui l'habitait l'image prit forme, sans prévenir, sans s'imposer, comme un insecte traverse le champ visuel et en sort. Il se répéta, surpris, « Reprendre la route ». Une idée nouvelle, après tant d'années de contrôle et de néant, une idée fugace. Un temps passa, indistinct, son esprit se déplaça. Il reprit le contrôle de ses mouvements. Il avançait sans effort, avec fluidité, sans défaillance ni plaisir. Il parcourut une distance assez longue vers le large avant qu'elle ne revienne et s'installe. Était-ce vraiment une envie mûrie en silence, à son insu, un souhait aujourd'hui ? Rien n'avait laissé jusque-là pressentir une impatience. Son quotidien était devenu sa nature. Il n'avait plus de besoin au-delà. Répéter les gestes, suivre les instructions, obéir. Sa mémoire n’était qu'une terre étrangère, interdite d’accès. Comment envisager le germe d'un désir ? Glisser ainsi entre les algues des eaux du lac, parfois, était le seul autre versant des jours.
Le soleil formait sous l'eau de grandes tâches de lumière mouvantes qui lui rappelaient la route bordée d'arbres qui conduisait vers l'horizon en laissant filtrer l'été, des rais flamboyants. Dans les champs de part et d'autre les gerbes s'entassaient et les troupeaux glanaient les épis oubliés. Il disait « la route au soir entre les arbres et le soleil au fond ». Il nommait ainsi des souvenirs pour la suite. Une réserve vitale.
Il faisait chaud. Les odeurs fortes des aromates, des pins et des cades l'enivraient. Les cigales l'assourdissaient. Il marchait sur les chemins ou s'allongeait dans les herbes. Il y observait la vie paisible, pensait-il, des insectes. Le temps d'un bonheur intense. La maison était là, tout près, dans ce paysage de collines sèches. Tout Giono était à sa place ici, celui des fresques héroïques ou des allégories comme celui des premiers romans, qu'il ouvrait à l'occasion pour relier son bonheur égoïste à l’universel.
Plus que quelques brasses et il rejoindrait la berge du lac, marcherait et retrouverait ses habits posés à même le sable. Il rattraperait l’ordinaire des jours. Le fourgon clair était là, déjà ou encore – il ne se posait pas même la question. Séché, rhabillé, il s'assit à l'arrière avec les autres sous leurs regards indifférents. Ils prirent la route morne dans la lande, l'asphalte marqué, l'herbe rase et les arbres rares tout autour jusqu'à la ligne d'horizon si proche en haut de la combe. La lumière grise du crépuscule se refermait sur un chapitre rituel si souvent répété. Dans quelques minutes ils arriveraient pour le repas du soir et la nuit. Il énonçait en lui « A quoi ai-je pensé ? Quel soleil d'un autre temps ? Comment retrouver ce qui, peut-être, a été ? Que la mort arrive, elle saura interrompre la mécanique sans porter atteinte à l'essentiel de ce qui a vécu. »
Participant #19 ~ Manole
Sortie de route
Se laisser dérouter, se lasser de la route et dans le doute, de toutes les routes
S'en retourner, sans douter, sans redouter le retour, cent lacets de la route
S'en retourner, sans détours, et se douter que ce retour est sans retour
Se détourner, se lasser de la route, se laisser dérouter
Se laisser détourner sans redouter le retour, sans redouter la déroute
– ET, VOUS, LA-BAS, ECOUTEZ-MOI PLUTÔT !
– Qui, moi ?
– Oui vous, au bord de la route, vous qui êtes en plein doute. Au point où vous en êtes, plongez donc sous la voûte et gagnez l'autre rive !
– Euhhhh ...
– Plongez, vous dis-je !
– …..
– Aaaah vous n'osez pas !
– C'est que …
– Avancez-vous un peu, oui là tout près, encore plus près, plus près, vous dis-je.
– C'est bon là ? C'est qu'il fait un peu froid ici.
– Oui. Ça ira. Que voyez-vous sur la route ?
– Rien.
– Mais enfin ouvrez les yeux, ce nageur, là, à vos pieds qui vous barre la route.
– Ah oui je le vois. D'ailleurs il m'éclabousse.
– Tant mieux !
– Comment ça, tant mieux ?
– Regardez-le plutôt que de gémir.
– Il nage bien. Tout droit. Sans détour. Mais ?
– Quoi mais ?
– Mais il me coupe la route.
– Et alors ? Il y a une minute à peine vous vouliez faire demi-tour. Pas vrai ?
– Si, si vous avez raison.
– Alors quoi ?
– J'ai les pieds tout mouillés maintenant.
– Excellent !
– Pourquoi dites-vous ça ? On dirait que cela vous amuse.
– Pour se laisser dérouter, il faut bien commencer par se mouiller les orteils.
– Vous avez raison, alors je me laisse dérouter et j'apprends à nager.
– Bien parlé !
– Mais ….
– Quoi encore, vous êtes toujours là ?
– Ben oui. J'ose pas.
– Ecoutez-moi bien, les statistiques sont formelles. Sur cette route, des nageurs comme celui-là il en passe, au mieux, un par siècle, alors c'est pas le moment de flancher !
– Aïe !
– Quoi encore ?
– J'ai oublié mon bonnet de bain et mes lunettes de nage.
– Idiote !
Participant #20 ~ Alain vildart
La route de Walpurgis
Je n’avais pas bu, et cela faisait longtemps que je ne me droguais plus… Pourtant, un soir de juin où les lucioles battaient la campagne, je vis s’avancer vers moi Notre-Dame des Sillons.
Dont les anges sont des grillons…
D’un signe, elle m’invita à la rejoindre de l’autre côté d’une rivière hérissée de cris de machines. On aurait dit une grosse barde de goudron plantée dans le désert… La rivière, pas la Madone !
Derrière elle, et lui faisant la nique, Kerouac, hilare, m’invitait aussi à prendre la route. Alors je plongeai dans le bitume lissé, méprisant la ligne continue.
On n’est pas sérieux quand on a cent quinze ans.
Fermer
Atelier d'écriture du 29 avril 2020
Thème: Franchir les murs (du son)
Musique : Pluie et orage depuis une tente
(à télécharger en cliquant ici) :
Cliquez ci-dessus pour écouter la bande sonore. C'est le bruit de la pluie tombant sur une toile de tente. Vous êtes à l'intérieur. Mais qui est ce "vous" ? Et quelle heure est-il ? Inventez un personnage et imaginez ce qu'il fait, où il est, depuis combien de temps et pourquoi, puis écrivez une entrée (ou deux) de journal intime ou de voyage (n'oubliez pas d'indiquer la date), comme si vous la rédigiez dans la tente en attendant que la pluie cesse. Vous pouvez laisser le son tourner tout au long de l'écriture, si cela vous aide à vous imprégner de l'ambiance.
Contrainte : le texte fera maximum 500 mots et tiendra sur une page A4.
Présentation: Police Times New Roman taille 12.
Si vous êtes une personne sourde ou malentendante et souhaitez participer à cet exercice, vous le pouvez bien sûr! Dans ce cas, l'inspiration peut parfaitement venir de ce résumé: un personnage est sous une tente. Dehors, la pluie tombe. Puis suivez le même sujet que celui décrit ci-dessus: écrivez une ou deux entrées de journal intime ou de voyage, en vous plaçant dans la peau de ce personnage. 500 mots maximum.
Bande sonore mise à disposition gratuitement sur son site par Joseph Sardin, merci à lui! N'hésitez pas à aller y faire un tour pour trouver d'autres sources d'inspiration, et vous aider à capturer de manière particulièrement fine une atmosphère.
Participant #01 ~ DB
À la recherche du temps qui passe
Lugo, 13 septembre 2021
Ah la Galice ! Un temps océanique, rappelant celui de la Bretagne ? L’idée d’un climat et d’une culture proches dans ces deux régions me paraissait incongrue. Et pourtant, ça n’a pas manqué : me voici dans ma tente depuis hier soir, où j’ai commencé par essuyer un bel orage. Puis la pluie s’est mise à tomber sans fin, et je suis là, à attendre impatiemment qu’elle veuille bien cesser pour reprendre mon chemin. Encore une dizaine de jours de marche pour atteindre Saint Jacques, j’ai tellement hâte !
D’ordinaire les pèlerins sont supposés raisonnables, sages, philosophes, pieux… Mais moi, j’ai entrepris cette épopée par orgueil, pour éprouver mon endurance physique, ma force mentale, aller puiser au plus profond de moi des sensations, des ressentis enfouis, oubliés voire jamais encore expérimentés. Alors patience et sagesse ne sont pas mes premières qualités…
Cependant, toutes ces journées à marcher seule ont réussi à m’apaiser, à m’éloigner de la trépidence de cette vie trop remplie, si remplie qu’elle empêche d’éprouver le temps qui passe. J’avais tellement besoin de le ressentir s’écouler : un arrêt sur image, puis une séquence au ralenti, pour ne plus me voir vieillir si vite, et réapprendre à savourer l’instant présent. C’est aussi cette parenthèse que j’ai cherché à vivre en entreprenant ce périple. Ai-je atteint mon but ?
Quand je ressens cette impatience à atteindre l’objectif de mon voyage, que je vis à nouveau à travers la projection vers un futur proche, je m’interroge sur ce que j’ai appris chemin faisant… Ou plutôt sur ce qu’il en restera une fois rentrée, si mes vieux réflexes sont encore si prompts à refaire surface. Comment ne pas replonger, oublier ? Comment m’imprégner, ancrer cet art de vivre hic et nunc ? Travailler, jardiner, faire du sport, s’informer, se cultiver, jouer de la musique, être une mère, une conjointe, une sœur, une fille, une amie… Un temps pour chacun et chaque chose ? Ou bien une écoute, du corps, de l’esprit et de l’âme, pour sentir et profiter...
En me souvenant de cet instant précis où, seule sous ma tente, j’aurai eu ce recul, ce regard, cette hauteur, je m’efforcerai de revenir à cet alignement essentiel.
Quinze heures, les gouttes de pluie semblent s’espacer. La chaleur retrouvée dans la tente indique le retour du soleil. Une désagréable moiteur se crée par cette brusque remontée de température associée à l’humidité. Je vais bientôt être poussée hors de mon abri, qui n’en est plus vraiment un d’ailleurs, pour prendre l’air, probablement plus frais à l’extérieur, et faire quelques pas. Pendant qu’il sèche, j’irai prendre des nouvelles de mes compagnons de route, rencontrés au fil des étapes. Nous nous soutenons, nous encourageons, partageons nos sensations, nos expériences, et cette chaleur humaine, toute simple, vient me conforter et me rassurer dans ma marche solitaire.
Je sors, je vais marcher pieds nus dans l’herbe humide et fraîche, pour détendre mes jambes engourdies par plusieurs heures passées dans cet espace confiné…
Participant #02 ~ sarah ds
Déluge indonésien
Jour 28
Me voilà enfin arrivé en Indonésie. C’est une des dernières étapes de mon tour du monde. Je ne m’imaginais pas un pays pluvieux. On m’a toujours parlé d’un pays coloré, chaleureux et plein d’épices. On ne retient des endroits que ce qui nous plait j’en ai déjà fait l’expérience dans les autres pays que j’ai déjà visité.
Il pleut tellement que je n’ai pas pu prendre une seule photo pour le moment. J’espère que le temps va vite s’arranger car ma tente est vieille et mes précédentes étapes ne l’ont guère épargnée. Pour le moment, elle tient le coup, mais pour combien de temps encore ? J’ai profité de cette pluie pour faire le point sur mes vivres. Je n’en ai plus beaucoup. J’irai au marché demain. En attendant, je vais bien manger car cela fait plusieurs jours que je mange très peu. Maintenant que je suis à proximité d’une ville, je n’ai pas de raison de me rationner.
Jour 29
J’aurais dû me méfier hier. La pluie n’a pas cessé depuis que j’ai installé ma tente. Et ça y est. Elle a craqué. Ce n’est qu’une déchirure minime, et je pourrais la recoudre facilement si j’avais le matériel. Seulement voilà, je ne l’ai pas, ce satané matériel. Et la pluie tombe si fort qu’elle fait l’effet de milliers de cailloux à quiconque s’aventure dehors. La veille, j’ai mangé tous mes vivres restants hormis une pomme. Je croyais pouvoir acheter de la nourriture et d’autres objets pour combler mes besoins au marché aujourd’hui mais cette pluie m’empêche de mettre un pied hors de ma tente.
En plus de cela, la déchirure, malgré sa petite taille fait de gros dégâts. J’ai essayé de la boucher, en vain. Mes pieds sont trempés. D’ailleurs, toutes mes affaires le sont. Et puis, je suis très fatigué. La pluie m’a empêché de dormir. Je n’ai pas fermé l’œil de la nuit… L’eau s’infiltre de plus en plus et agrandit le trou. Je veux sortir de la tente mais me ravise. Ce serait de la folie. Je serai emporté par le courant. Je crois que je ne finirai jamais ce tour du monde. Je ne veux pas me faire de faux espoirs. Mais… La tente bouge ! Elle est emportée par le courant ! Cette fois c’est vraiment fini, j’ai de l’eau jusqu’aux épaules, je vais me noyer. Je parviens à tenir ce journal hors de l’eau. Que se passe-t-il ? Tout s’est arrêté. L’eau ne monte plus, la tente ne bouge plus. Je viens de risquer un coup d’œil dehors : le courant m’a emporté jusque dans une ville. Quelqu’un déchire le toit de ma tente et me fait monter sur un bateau ! Chanceux que je suis ! Demain, je consignerai ici tout ce qui va suivre cette soirée mouvementée.
Participant #03 ~ matcut
Interminable pluie
Jeudi soir 25 juillet 2025
Cette pluie m'empêche de dormir. J'adore écouter la pluie, surtout la nuit. Mais ce n'est pas le moment, il faut que je dorme. J'ai une mission à accomplir. Bientôt deux jours que je suis coincé au bord du Yangtsé, je dois être à Shanghai dans 48h.
Jeudi matin 26 juillet 2025
Dormi un peu, la pluie tombe en rafale, le vent s'en mêle.
Suis bien sorti de Wuhan à temps, sans difficulté aucune. J'ai traversé le lac de l'Est à bord d'un vieux bateau à roues, pris un train pour arriver au Yangtsé, planté ma tente au bord du fleuve sous une pluie diluvienne. J'ai accompli malgré tout la moitié du voyage.
Le vol que je dois prendre à Shanghai dans 48 h est le seul disponible, le suivant part une semaine après, pas question de le rater.
On m'attend à Paris. Si je m'implique à fond dans cette histoire, je vous dois une explication. Nous sommes à l'origine, mon peuple et moi, d'une gigantesque pandémie mondiale, je tiens à nous racheter aux yeux du monde. Tous nos chercheurs ont été sur le coup. Ils ont fini par trouver l'antidote. Cet antidote, je dois le remettre en main propre au professeur R. Sinon la planète est foutue. Voilà. Pluie ou pas pluie, je dois agir vite. L'antidote a une durée de vie limitée.
Et si je rate ce vol, tout est perdu.
Comme par magie la pluie cesse. Le zip de la fermeture éclair de la tente s'ouvre pour laisser apparaître le museau du pangolin. Il est fin prêt, son sac sur le dos, à sauver le monde.
Participant #04 ~ Stéphanie A.
Pluie d'été
Au fond du jardin, le 14 juillet, par une belle pluie d’été.
J’étais tranquillement installée, sur le gros coussin de jardin, mon préféré. J’allais prendre ce carnet dans lequel je t’écris pour te donner mes petits bonheurs du jour. Tu sais ce petit rituel que maman a mis en place avant de s’endormir, juste avant la lecture du soir. Pour mettre dans nos rêves un maximum de joie et d’espoir. J’ai décidé de les recopier, pour ne pas oublier, comme une boite à secrets, un petit plaisir sucré.
On a bien vu ce ciel s’assombrir puis une éclaircie. Le gros nuage, au loin, s’en est allé. Alors, je suis restée bien confortablement installée.
Puis cette averse est arrivée. Au lieu de rentrer, je me suis refugiée, dans mon autre petit coin bien-aimé que l’on installe pour l’été, comme on l’a toujours fait, depuis des années : la petite tente bricolée. Aménagée pour être confortable et s’y lover. Un petit coin à l’abri pour être protégé, pour rêver, pour jouer, pour se reposer, pour y déposer nos secrets, pour développer notre imaginaire et notre créativité.
Papa nous a associé Jules et moi au projet. Grâce à notre plan, nous avons bricolé une ossature en bois et en acier, pour plus de solidité.
Maman a rassemblé ces tissus bariolés. Elle a confectionné des coussins bien moelleux et de grands édredons bien douillets, a recouvert le vieux canapé, nos matelas usagers sur lesquels on adore se retrouver. Nous avons récupéré une bâche dans le grenier, c’est elle qui assure l’étanchéité. C’est sur elle que tombe cette pluie d’été.
Et les murs, on les a décorés avec nos trésors bricolés. Il n’y a pas de hasard tout est bien installé, et, chaque année on peut tout réinventer. Ce petit coin ne cesse d’évoluer au gré de nos envies, de nos talents cachés.
Voilà, je rêvasse, la pluie s’est arrêtée, maman vient de m’appeler pour le dîner.
Ah ! J’allais oublier, mes petits bonheurs de la journée : me réveiller sous un ciel ensoleillé, profiter des fruits du verger et tout te raconter sous cette belle pluie d’été.
Participant #05 ~ catherine philippe
Orages
Je m’appelle Joséphine. Ma mère est morte il y a un mois et à l’occasion du rangement de sa maison, en vue de la vente, je suis tombée sur des affaires m’appartenant. Comme dans les films, c’est toujours dans ces moments-là que le passé se rappelle à vous. Bref, j’ai eu en main un ancien journal que je tenais lorsque j’avais 15 ans environ. Oh, rien de littéraire… Les préoccupations d’une gamine en mal de petit copain surtout. Mais un passage m’a particulièrement touchée, sans doute parce qu’il évoque le mal qui a rongé ma mère toute sa vie et qui a détruit notre famille. Maniaco-dépressive, ou comme il est dit maintenant « bi-polaire », voilà ce qu’elle était.
L’extrait est en date du 6 avril 1986. Nous sommes en vacances dans les Landes dans un petit camping familial que nous fréquentons depuis plusieurs années. Il est situé à moins d’1 km de la plage.
« 6 août 1986 : Je suis arrivée juste à temps avant de prendre la saucée. Suis juste un peu mouillée. Ce bruit de pluie m’apaise, et même l’orage a un côté plus fort que tout qui ne m’inquiète pas. Cette pluie qui tombe me fait comme un rideau de protection ; enfin tranquille.
Toute la journée, on a senti que ça allait exploser. Elle râlait pour un rien et cherchait la bagarre pour tout. Qui de nous trois allait être le déclencheur ? On a filé doux pourtant… Mais c’est tombé sur moi. Une histoire de vaisselle qu’il fallait faire tout de suite, selon elle, et que j’ai un peu trop tardé à faire. Là, elle a explosé. A gueulé tout ce qu’elle a pu. Quelle honte pour les voisins aux premières loges. J’ai eu droit aux insultes habituelles. Mauvaise fille évidemment (version soft…) Mon père n’a pas bronché et semblait même soulagé de ne pas être la cible pour cette fois. De toutes façons je ne peux pas compter sur lui pour quelque chose qui ressemblerait à un coup de poing sur la table. Alors, je suis partie vers la plage pour pleurer tranquille. Seule et encore seule.
La seule solution c’est la fuite. Discuter ? Argumenter ? Rien n’y fait. Il faut attendre que le venin ait coulé et que passe la crise. J’ai tellement l’habitude en fait ; nous ne connaissons que cela, ma sœur et moi. Des moments à peu près tranquilles puis la sensation que quelque chose mijote, puis bout dans sa tête, et enfin l’explosion. Jusqu’à la prochaine fois, et ainsi de suite.
Demain, il faudra faire bonne figure pour nos voisins de caravane et, si elle est calmée, ne surtout pas avoir l’air de lui en vouloir. Mais il faudra malgré tout se lever la boule au ventre en se demandant ce qui va encore nous tomber dessus. J’en ai marre. »
Je voudrais tant la prendre dans mes bras, cette gamine, et l’apaiser. Au moins un peu.
Participant #06 ~ Christine HB
Chroniques de la tente igloo
Vendredi 1er mai 2020
Quarante-cinquième jour de confinement, et presque autant de jours de grand soleil et de chaleur.
Presque, sauf aujourd'hui. Hier encore pourtant, le temps était clément, et après avoir repoussé cela depuis début avril, par flemmardise, je m'étais enfin décidée à planter ma tente dans le jardin. Comme ni elle ni moi ne voyagerons cet été, autant lui faire prendre l'air sur mes quelques mètres carrés de pelouse. Et bien voilà, une fois de plus je paie ma procrastination ! Car me voici réveillée brutalement à six heures du matin, par le bruit d'une pluie battante sur la toile.
Bien fait pour moi.
C'est donc de mauvaise humeur que je débute ce journal de fin de confinement, à la lueur d'une lampe de poche. Quarante-quatre jours sans mettre le nez dehors, tout cela parce que dans mon petit esprit corseté, « on ne se promène pas dans le jardin avant l'été », et voilà que je me retrouve enfermée dans une tente igloo, à me demander ce que je vais faire de ma journée. En tout cas, maintenant que j'ai franchi le pas et que je suis dehors, j'y reste ! J'ai tout prévu pour tenir jusqu'au 11 mai. Réchaud, boîtes de conserve pour un régiment, compotes, thé et gâteaux secs, livres et carnets d'écriture, ... j'ai de quoi tenir un siège jusqu'à la libération et même bien au-delà avec un tel stock. J'ai été bien inspirée d'acheter le modèle trois places avec auvent chez Espace sport.
J'ai même une petite radio pour me tenir informée de l'évolution de la situation, moi qui d'ordinaire ai horreur d'écouter les informations. J'ai pensé à tout... sauf à regarder la météo.
J moins 10, les chroniques de la tente igloo démarrent mal.
Vendredi 29 mai 2020
Toujours pas de déconfinement à l'horizon. Tout cela à cause d'une carte qui reste obstinément rouge sur l'ensemble du pays. Mais pas à cause de la température, ah ça non! Vingt-neuvième jour de mai, vingt-neuvième jour de pluie. Il est beau le joli mois !
Un jour de plus à regarder la pluie tomber, à me gaver de gâteaux secs, et à enchaîner des phrases sans intérêt dans ce journal qui se voulait être le témoignage des derniers jours d'une situation exceptionnelle et inédite, et qui se transforme en ramassis d'aigreur et de nullité. Quand je pourrai reprendre une vie normale – si cela arrive un jour – il faudra que je le brûle pour ne garder aucune trace de cette expérience pitoyable. Et dire que je me rêvais en Sylvain Tesson, j'avais même déjà pensé à un titre : « Carnet de voyage dans mon jardin en temps de pandémie ». Pfff. Pauvre fille ! En plus je n'ai pas la moindre petite bouteille de vodka pour me réchauffer et agrémenter mon thé, ça le ferait bien marrer Sylvain Tesson.
J plus 18, suffit ! Fin des chroniques de la tente igloo, ce récit ne valait pas le détour. J'abandonne enfin papier et crayon pour son volume II : « Procrastination, le retour ».
Participant #07 ~ Joëlle fallot
Le "Tigre des Highlands" ?
Satané Duncan ! Faut-il que je l’aime pour faire tout ça ! Me voilà seule dans ce coin perdu des Highlands, tapie sous une tente, à écouter le vent et la pluie qui s’acharnent sur moi. Je serais si bien à Aviemore dans mon auberge à regarder cette pluie derrière la vitre tout en sirotant un whisky 15 ans d’âge. Bien au chaud, sans m’affoler au moindre bruit suspect. Mais non, je suis dans cette tente et je ne vois rien d’autre que la silhouette menaçante du Cairngorm !
Comment ai-je pu accepter cette folie ? Bon, il serait temps que je vous donne quelques explications. Je m’appelle Artemisia et je m’apprête à épouser Sir Duncan MacConnery. Un Écossais me direz-vous ? Oui et même un lord du clan des MacConnery remontant à la nuit des temps. Nous nous sommes rencontrés chez moi à Aubiny-sur-Nère. Faut-il que je vous rappelle le passé écossais de cette petite ville du Cher ? Nooon, rassurez-vous, je ne vais pas m’attarder sur cette vieille histoire mais il faut que vous sachiez que tous les ans ont lieu les fêtes franco-écossaises et c’est là que j’ai rencontré mon futur époux. Coup de foudre ! Demande en mariage ! Oui, oui, oui ! Je n’hésitai pas une seconde.
Ce n’est que quelques semaines plus tard que j’appris qu’il y avait un « mais » ! Il faut que vous sachiez que l’emblème de son clan est le chat sauvage, le « tigre des Highlands ». Rien d’extraordinaire me direz-vous, un emblème est un emblème, il n’y a pas de quoi fouetter un chat ! Et moi les chats je les adore ! Hélas, la coutume ancestrale de ce clan « convie » la future épouse à se rendre dans les Cairngorms à la nuit tombée et à y rester jusqu’à ce qu’un de ces charmants félins se présente à son regard. Et cerise sur le gâteau, il me faut écrire mes impressions sur un petit cahier que je dois remettre à mon époux le jour des noces et qui ira rejoindre le nombre incalculable de ceux qui dorment paisiblement depuis des siècles dans la majestueuse bibliothèque de son château !
Quelle galère ! Cela fait deux nuits que je guette ce chat et il ne daigne toujours pas se montrer ! Trêve de bavardages, il me faut reprendre mon journal. Pas question de décevoir Duncan !
10 août 3h du matin
Je viens de passer deux heures collée à la petite fenêtre de ma tente. La pluie a réduit son intensité et la lune fait quelques apparitions entre de gros nuages sinistres. Pas de chat sauvage mais un paysage envoûtant. J’entrevois le loch en contrebas et le chemin forestier qui le longe. Un flou artistique parfait. Tout semble si irréel. La pluie est comme une berceuse. Je sens que mes paupières s’alourdissent mais je dois …
Des bruissements inhabituels me tirent de ma torpeur…. Serait-ce lui, enfin ? Vite, vite à la fenêtre !
Participant #08 ~ Sophie A.
Rencontre sous la pluie
Vendredi 16 juillet
tic tic toc tic tic tic tic ploc ploc ploc ploc
Petit à petit forcit la pluie. Je ne sais pas depuis combien de temps je suis sous la toile mais la luminosité baisse au rythme de la pluie qui s’intensifie. Pas de marche au clair de lune cette nuit. Pas de feu de camp pour se réchauffer. Juste la musique de la pluie, monotone, continue. Infinie berceuse.
ploc ploc ploc ploc tic ploc toc ploc toc ploc ploc toc toc
L’obscurité a pris place et j’ai dû allumer la lampe pour continuer à écrire. Il faut bien tuer le temps, les secondes qui s'égrènent au rythme des gouttes. Il s’est passé quoi? Une heure, deux? La batterie de mon téléphone m’a lâchée alors je contemple la soirée qui coule. Je n’ai pas sommeil, pas encore.
Je me demande s’ils ont un mot ici pour ce type de pluie? Ces lourdes gouttes, froides et pénétrantes. Ou alors, s’ils utilisent des symboles, comme dans ce livre où le vent est décrit avec de la ponctuation.
ploc ploc ploc toc ploc toc ploc ploc ploc ploc ploc
J’ai faim!
Samedi 17 juillet
ploc toc toc ploc toc tic toc toc toc toc tic tic
Ça creuse, l’ennui. Il y a des miettes partout dans la tente maintenant. Il semble que le sommeil a fini par l’emporter, je n’ai pas vu le temps passer. Mais la pluie résiste encore et toujours. Quoique moins fort ce matin.
tic tic tic toc ploc ploc ploc toc ploc toc toc toc tic tic tic tic tic tic
tic tic ploc ploc ploc toc ploc toc tic tic tic tic
On dirait un enfant, la pluie. Un enfant qui a sommeil et que l’on berce mais ne veut pas dormir. Un enfant qui rouvre les yeux dès qu’il perçoit qu’il les ferme. Ou moi dans les transports en rentrant de soirée car j’ai peur de louper mon arrêt. Ça nous rapproche, c’est ton tour de lutter.
tic tic tic toc tic …….tic tic …tic … tic ………. tic …………………….tic
Tu résistes tant bien que mal mais le vent va avoir raison de toi. Au revoir amie nocturne, on se revoit bientôt, n’en doute pas.
Participant #09 ~ Michèle Laouénan
Départ
Il pleure sur la terre, sur le toit de ma tente, des grosses gouttes de pluie. Le jour a glissé à l’horizon laissant place aux petits murmures de la nuit envahissante et loin de cette pluie qui tambourine au-dessus de mon corps allongé sur cette lande millénaire de granite, sur cette terre meule sauvage. Je retiens mon souffle et mes larmes. Tel un sarcophage, la lumière noire m’enrobe. La pluie s’arrêtera et mes larmes ne pourront être retenues. Je les laisserai doucement couler de mes paupières, sur mes joues, le long de mon cou et jusqu’à mon cœur lourd de tristesse. Car je suis ici sous ce toit de toile pour ce silence, pour cette absence. Pour essayer de comprendre. De trouver quelque réponse au pourquoi. Le pourquoi de ce départ qui nous afflige tous. Nous tous qui avons à un moment ou à un autre partagé, rencontré ta vie. Je veux m’approcher de toi, toi qui à jamais as décidé de t’éloigner de tes proches, de tes amis. Tu as laissé des mots pour ceux que tu as aimés, qui t’ont tant aimé, pour les réconforter, tenter de leur expliquer la raison de ton geste, de ce qui ce soir-là t’a décidé à franchir cette barrière que tant de nous n’imaginons ou n’osons franchir. Et tu l’as fait, avec courage, avec amour pour ceux que tu laisses derrière, bras ballants. Cette décision était devenue pour toi inévitable. Dans la fleur de l’âge, après t’avoir soudainement alité, la maladie t’avait vêtu de nuit noire à la fin inconnue. Les jours, les nuits, les mois, quelques années ont passé. Tu as effleuré l’espoir de jours meilleurs. Puis confiné, as-tu vu mieux que tes proches ce que l’avenir t’offrait ? Moi, immobile dans ce lieu miraculeusement désert, sous le couvercle noir de pluie qui me fige, je revois ma journée, date fatidique, premier mai. Une date qui annonce les beaux jours, où le soleil caresse la terre, dont la naissance se célèbre avec ces clochettes délicatement parfumées du muguet. Le mois de l’espoir, de la renaissance, suivi de mois qui nous réchaufferont et nous inviteront aux plaisirs de cette nature resplendissante.
La pluie cessera, l’aube poussera la nuit, j’ouvrirai ma tente.
Et rien ne sera jamais pareil, pour ceux avec qui tu as partagé ta jeunesse pleine d’espoirs, ton amour de la vie et ton désir de printemps chanteurs. A jamais tu vivras en nous telle la musique qui ne meurt jamais.
Participant #10 ~ Petra Hillig
Extraits du carnet "Philosophie de camping"
Vendredi soir
Je suis tellement déçue ! Il pleut! Mon petit défi personnel de retour à la nature, évidemment bienveillante, n'avait pas intégré la mesquinerie humide que les cieux m'infligeaient. C'est pourtant amusant ce plic ploc qui résonne en écho au tic tac du temps qui fuit comme le toit de ma tente ! Ce petit défi très en vogue que je m'étais lancé consiste à se retirer de la course, des cris, des impératifs, pour sonder une vérité plus vitale, plus profonde. L'idée étant ensuite d'ensoleiller mes proches avec mon inénarrable expérience rousseauiste et de leur en mettre plein la vue avec ma belle sagesse.
C'était sans compter la pluie. Du coup je m'ennuie, je ne peux m'extasier sur rien mais je suis libre de réfléchir à tout et je me sens tout à fait ridicule. Ça sent la terre mouillée, je m'imagine des centaines de fourmis et d'araignées envahissant mon petit abri et profitant de mon sommeil pour se promener sur les sentiers de mon anatomie. Voilà, je ne me sens pas bien du tout, je crois que je panique... Et si un sanglier chargeait mon si fragile hébergement ? C'est omnivore un sanglier !
Samedi matin
Ah la nature, quelle source d'inspiration ! Après le concerto de la goutte en mi bémol, j'ai droit à la fanfare du salut au soleil des oiseaux ! Au moins, le beau temps est revenu mais l'enchantement est rompu. Une grasse arachnide git morte près de ma tasse de café, morte comme mes illusions. Je me croyais désireuse de revenir vers toi, Dame Nature, mais nous ne nous comprenons plus. Je suis partie trop longtemps, je dois retourner à mes cailloux empilés les uns sur les autres, à mon espèce emprisonnée dans du béton et du verre, respirant l'air putride de ses propres émanations. J'avoue : je suis addicte au lit chaud, à l'électricité, au manger sans faim, et ma petite motivation écologique ne suffira pas à me rendre à toi, il faudra me forcer à déceler, sous le plic ploc des gouttes, la valse endiablée et joyeuse de l'arbre qui boit et de l'herbe qui pousse! Quelle catastrophe me faudra-t-il pour enfin t'entendre ?
J'ai beau me sermonner, me répéter que je suis au sommet de la chaîne alimentaire, je reste effrayée. J'ai peur du grognement des chiens, j'ai peur de la puissance du cheval, j'ai peur des cornes des vaches, j'ai peur du dard de l'abeille, j'ai peur de patauger dans la boue, j'ai peur de voguer sur l'océan, j'ai peur de l'orage. Alors je m'isole par milliers, par millions, dans des petits carrés murés, alignés, devenus mon territoire. Pitoyable victoire sur la pluie, je suis au sec mais je ne marche plus vers l'infini. Quel infini ? La seule sagesse qui me vient est une question : il restera toujours des gouttes mais restera-t-il des arbres ?
Je te tourne le dos Dame Nature, pourtant tu m'auras révélée à moi-même : une éternelle confinée.
Participant #11 ~ marie
À mes actes perdus
11 août 2018 – 2h14
Retrouver Tomas et ses amis au BrewDog Pub, enfiler les pintes et sentir ce mal-être me quitter à mesure que monte l’ivresse, ne plus me soucier du jugement des autres, savourer cette appartenance à un groupe, à ce groupe, filer au night club et danser comme si ma vie en dépendait, oser aborder une fille et rigoler de se prendre un râteau, se consoler avec quelques taffes d’une substance tout aussi illicite ici.
J’ai rencontré Tomas et ses amis cet après-midi. Au milieu de l’unique place de la ville, ils m’ont couru après et interpellé en anglais. Le look du touriste backpacker me colle à la peau.
Mon cœur s’est tout de suite mis à battre très fort. Que me veulent-ils ? Quelle humiliation vais-je encore subir ? Pourquoi moi ? Pourquoi est-ce toujours moi ?
Avec un sourire qui dévoilait toutes ses dents, Tomas m’a tendu mon portefeuille, qui était tombé de ma poche de bermuda. Il m’a demandé ce que je faisais ici, s’étonnant de trouver un jeune étranger dans cette ville que les touristes ne manquent habituellement pas de fuir, à peine le ferry amarré. Je lui ai timidement expliqué que j’étais parti de France il y a quelques jours avec mon sac à dos et le projet de faire le tour du pays à petit budget pendant un mois. Il a trouvé ça « so cool » et m’a proposé de les rejoindre ici-même vers 21 heures pour passer ce samedi soir ensemble et pour que je leur raconte mon aventure.
Alors que mon cœur menaçait de sortir de ma poitrine, j’ai tenté de me construire un air faussement détaché, presque blasé, les ai remerciés pour leur proposition, que j’acceptais, et leur ai dit à tout à l’heure. J’ai ensuite marché, à une allure que j’essayais de contenir pour qu’elle paraisse normale, pour sortir de cette place et aller me réfugier dans une des rues adjacentes. Là, je me suis assis sur un banc et ai vérifié le contenu de mon portefeuille : rien ne manquait. Doucement en moi émergeait l’idée que leur invitation était peut-être sincère. Je prenais alors la décision d’y aller. Commençait la torture mentale sur les vêtements qu’il me faudrait porter.
Cet état qui mêlait à la fois de la fébrilité et une excitation intense m’avait même poussé à faire du stop, mais personne ne s’était arrêté. Après une heure de marche, j’arrivais à ma tente à 19 heures, avec de quoi manger avant de les retrouver – Tomas avait mentionné le fait de boire des bières et d’aller danser, rien quant à un éventuel restaurant - et des fringues dénichées pour presque rien dans une friperie, qui me donnait un look hipster – c’est ce que m’avait dit la vendeuse sans que je ne comprenne vraiment ce que cela voulait dire.
Maintenant, il suffirait juste qu’il cesse de pleuvoir pour vivre la nuit de ma vie.
Pour enfin vivre.
Oui, seule cette pluie m’en empêche…
Participant #12 ~ Cadou
De l'art de prendre l'eau
17/03/2020 – 22 h
Mais que suis-je allé faire dans cette galère !! Tout ça pour venir chercher une récompense, sans nul doute bien imméritée…!
Et à présent me voici accroupi dans cette tente... sous cette pluie battante, crépitante... Si j'avais su...
La semaine du 9 mars, convaincu par des amis, j'avais fini par accepter le défi : participer à l'atelier d'écriture, organisé par la bibliothèque de ma ville natale, Blois, sur le thème de la Grèce, sous prétexte que j'avais séjourné dans ce pays dans ma jeunesse ! Après des heures passées devant mon ordinateur j'avais laborieusement fini par écrire la page demandée, sur le thème : "La culture des raisins secs dans le Péloponnèse"...
Contre toute attente, j'avais emporté le premier prix...!! Et, cerise sur le gâteau, je devais également me rendre sur place pour recevoir mon prix des mains du Conservateur de la bibliothèque : l'intégrale de L’Iliade et L’Odyssée et... un séjour d'une semaine, tous frais compris, sur l'île de Rhodes… Comment refuser ??
J'avais fini par me convaincre que ce ne serait pas si désagréable de m'octroyer quelques jours de congé à Blois avant le jour de la cérémonie, et d'allier ainsi l'utile à l'agréable... En quelques clics, train, voiture de location et hôtel étaient réservés.
Au programme, visites de châteaux, souvenirs d'enfance, balades en forêt, restaurants bien choisis... Et enfin la cérémonie de remise des prix, puis retour au boulot.
Afin de profiter au maximum de mon séjour, j'avais décidé de me couper du monde et de ne pas écouter les nouvelles pendant cette trêve. Et, réminiscence de l’adolescence ? J’avais emmené ma tente Quechua, si l'idée me venait de faire du camping sauvage... Le temps promettait d'être de la partie, alors pourquoi pas ?
Le week-end avait bien commencé, peu de monde dans le train, pas de queue au guichet pour la voiture de location... Étrange pour un week-end qui s'annonçait pourtant ensoleillé…Tout se présentait sous les meilleurs auspices.
Il y avait un bail que je n'avais pas visité les châteaux de mon enfance : le charme discret du château de Talcy, Chambord, en majesté, dans son écrin de verdure... Envoûtant...
Le lundi soir, au restaurant, une tension sourde devenait palpable à mesure que la soirée avançait. Le lendemain : ces files d’attente devant les commerces, les pharmacies... commencèrent à m'alarmer... A midi, je me retrouvai seul sur la place du Château... Pas âme qui vive. L’hôtelier me mit au parfum avant de me fermer sa porte….
Je rouvre mon portable…Un sms parmi des dizaines...Soirée bibliothèque annulée pour cause de confinement !!
Et c’est ainsi que je me suis retrouvé recroquevillé dans ma tente persona non grata... Avec le bruit incessant de cette pluie qui m'obsède, je tombe de fatigue... Son murmure se mue en longues salves d’applaudissements… Ceux que j'aurais dû entendre.… Péché d’orgueil… On ne m’y reprendra plus !!
Participant #13 ~ Laurence Rovasio
Place de la Liberté
Je suis Place de la Liberté comme tous les après-midi. Je ne l'ai pas choisie, c'est elle qui s'est imposée. Seul lieu autorisé aux saltimbanques. Ironie du sort ! Place de la Liberté pour tant d'individus contraints !
Je lance mes balles et les rattrape avec dextérité. La petite assiette de grès rose posée devant moi ne se remplit guère...
Je redouble d'attention. Mes balles jaune, rouge, verte et bleue, se croisent, volent et virevoltent de plus en plus haut vers un ciel d'azur menacé à l'est par de sombres nuages d'orage.
Je les rattrape devant, derrière, au-dessus, au-dessous... La verte, couleur d'espérance, s'immobilise sur ma tête, tandis que les trois autres passent d'une main à l'autre avec
rapidité.
Les passants s'arrêtent et me sourient. Les enfants restent les yeux grands ouverts, bouche bée, leur glace goûtant sur le sol. Les applaudissements fusent.
Je me remémore toutes ces journées alors que la pluie tombant à grand bruit sur la toile de tente que m'a prêtée France terre d'asile semble donner la claque au spectacle de ma vie.
Participant #14 ~ N M
Le sac à dos
Turia, 4 août 2019, 22 h
Voilà bientôt trois heures que je l’entends rebondir et glisser sur la toile. Cela devient monotone et je finis presque par ne plus y prêter attention. J’ai vérifié… pas de gouttières. Dans l’immédiat je suis à l’abri. La journée a été rude. Turia, 2427 m d’altitude, en moins de deux heures, un exploit ! Il aurait été fier de moi. Je n’y croyais pourtant guère et je craignais surtout que ces nuages menaçants ne me rattrapent avant d’atteindre le refuge.
Il y a 30 ans, accompagné de mon père, j’avais parcouru ce chemin de pierres, repéré les marmottes à leur cri strident, observé des chamois…Mon père était intarissable, crapahuter à ses côtés, un bonheur ! L’an passé je lui avais promis que nous nous accorderions à nouveau cette escapade, ce tour du Mont Pourri. Nous en conservions tous deux un excellent souvenir. Mont Pourri… Il porte bien son nom, certains y ont laissé leur peau.
Le mois dernier alors que nous étions dans les préparatifs de la randonnée, il m’a quitté. « Infarctus » a dit le médecin. « Rien ne laissait prévoir » a-t-il ajouté. Dans son appartement, le sac à dos était prêt, à l’entrée. Je n’ai pas pu résister.
J’avais l’intention de rejoindre le glacier au lever du jour, mais cette pluie incessante ne me dit rien qui vaille. Cette fois encore j’ai choisi l’abri de toile plutôt que la pierre et le bois de ce superbe refuge. Certes, côté confort j’aurais assuré, mais par ailleurs j’aurais eu le sentiment de trahir la mémoire de mon père. Eh oui, avec lui, en plein été, le couchage à la dure on ne pouvait y échapper !
Turia, 5 août 2019, 6 h
Je scrute les alentours. Une fine couche de neige a recouvert les sommets. Quelques flocons volent encore. L’atmosphère est glaciale. Je suis arrivé hier sous un soleil de plomb et ce matin je suis engourdi par le froid. Dans la nuit le crépitement monotone de la pluie a laissé la place à des trombes d’eau. Éclairs, tonnerre : un feu d’artifice qui m’a paru interminable.
Ce n’est pourtant pas la première fois que j’assiste à ce genre de spectacle mais à l’instant précis où la foudre est tombée, où le calme est revenu, j’ai compris que mon père n’était plus. Le manque s’était lui aussi abattu sur le monde.
Je me tourne vers le refuge. À l’entrée une silhouette… C’est bien elle, Claire, la gardienne. Elle m’avait prévenu hier soir que le temps tournait à la neige et proposé de prendre un couchage à l’intérieur mais devant mon air ému, elle n’avait pas insisté. Au cours de la saison elle en voyait passer des montagnards, des vrais, et puis des pseudo-montagnards, ceux dont le matériel rutilant ne faisait pas douter de leur motivation mais plutôt de leurs compétences. Je ne sais dans quelle catégorie elle m’avait classé, mais ce matin, à n’en pas douter, son regard m’invitait…
Participant #15 ~ Martine Bédier alias 4532martine
Bien être
Une pluie incessante mais harmonieuse tombe sur mon refuge du moment. JE SUIS BIEN.
Il est peut-être 10h, 11h ou 12h, je ne sais plus. J'ai un peu oublié le temps. Mon abri est en toile imperméable, de couleur vive et planté au sol mais je me sens en sécurité. JE SUIS BIEN.
Je me redresse de mon lit de fortune, fait d'un tapis en mousse et d'un duvet de plumes d'oie. JE SUIS BIEN.
Je fouille dans le peu d'affaires que je possède, et en retire un journal intime encore vierge de tout écriture. C'est décidé aujourd'hui, je vais m'ouvrir à lui. JE SUIS BIEN.
15 juillet 1998
Bonjour mon ami ! Voilà deux jours que je suis enfermée avec toi. Je sais qui tu es. Je t'ai acheté dans une petite boutique sur le front de mer. Mais toi, sais-tu qui je suis ? Comme je me confie à toi, à l'aide de ma plume, je vais te le dire. Je suis JE, tout simplement. JE avec ses émotions, ses sentiments, ses rires, ses pleurs, ses peines et ses joies.
J'ai envie que tu fasses un bout de chemin avec moi. Le veux-tu ? Le parcours ne sera pas un long fleuve tranquille, mais toi et moi, nous découvrirons l’Italie et ses vestiges. Toi dans un sac, sur mon dos (ne t'inquiète pas, je te laisserai un peu d'air), et moi sur mon destrier motorisé.
Le soir, nous nous retrouverons en tête à tête, je te le promets, dans la toile de tente, comme en ce moment. Mes yeux se ferment. Bonne nuit.
16 juillet 1998
Bonjour copain ! Aujourd'hui, il pleut de nouveau, alors je décide de rester à l'abri avec toi. JE SUIS BIEN. Mon escapade me fait oublier tous les mauvais moments de la vie. Je ne te les raconterai pas. Oublier le stress, la tristesse, n'est-ce pas le but de cet isolement ?
En écoutant les gouttes s'écraser sur la toile, je me revois chez ma grand-mère, sous la couette, dans sa chambre mansardée. JE SUIS BIEN.
Je m'imagine allongée, dans l'herbe, près du ruisseau. JE SUIS BIEN.
J'entends une petite cascade contre des rochers. JE SUIS BIEN.
Finalement, c'est bien la pluie, c'est reposant.
Mon cher journal, je vais m'endormir. Je pose ma plume et je te dis à demain.
JE SUIS BIEN.
Participant #16 ~ Jehan
Walking Blues
MERCREDI 16 AOUT : Il est minuit. Je n’arrive pas à dormir… Ça remet ça… Une saucée sévère, qui claque sur la toile. Ça fait un raffut du diable. J’ai planté ma tente sur un bout d’herbe, juste avant la nuit. Pas le temps de gagner le motel. Pleuvait trop. J’ai profité d’une accalmie pour la monter à l’arrache.
Faut que je dorme… Il me reste trop de kilomètres à parcourir pour atteindre le delta. N’aurais pas dû m’installer sur ce crossroad. Suis trop visible. Peur des flics du Mississipi. Peur qu’ils m’embarquent. N’aiment pas les vagabonds qui dorment sur le bord des routes. Ça ne se fait pas ici. Ça heurte leur sensibilité de blancs.
J’ai les pétoches. Mis la tête dehors. L’histoire de vérifier si je ne vois pas deux phares se pointer. Mais rien. Pas de Chevrolet. Pas de gyrophare. Rien… J’ai cru apercevoir une silhouette taper sur un clou, à côté du bus-stop, mais je ne suis pas sûr. Et puis de toute façon, il pleut trop pour distinguer quelque chose.
La pluie grésille sur la toile. J’imagine un mauvais esprit, qui pour m’empêcher de fermer l’œil, me passe les craquements d’un vieux vinyle mal gravé. Un blues-devil qui ne sortira jamais...
MERCREDI 16 AOUT : Cinq heures du mat. Je me suis réveillé. Fait toujours nuit. Il pleut encore… J’ouvre ma tente. Mets une main dehors. Elle n’est pas mouillée. J’enfile ma veste. Sors. La toile est sèche. Pourtant j’entends les gouttes tomber. Je me pince pour voir si je suis bien réveillé. Scrute autour de moi.
Un môme à la peau noire est en train de froisser un sac en plastique en imitant la pluie. Il sourit. Je lui demande « ce qu’il fout là ». Il ne me répond pas. M’invite à le suivre du bout des doigts. J’enfile mes chaussures. M’approche. Il lève un bras en direction du bus-stop. Sur le mur, je vois des clous, trois cordes tendues et une bouteille de whisky coincée en bas. C’est donc bien lui que j’ai vu à minuit.
Qu’est-ce-que c’est que ce bricolage ?
Le gamin penche doucement la tête d’une épaule à l’autre, comme s’il voulait danser seulement avec son cou. Son geste est lent. Il dessine un huit. Puis il me lance un clin d’œil, avant de prendre un air inspiré.
Je ne comprends pas son joke. Alors il se met à jouer. Il pince les trois cordes avec dextérité. Une musique simple, triste, lourde, résonne dans la nuit. Il a dû gratter longtemps, mais je ne l’ai pas entendu. Je constate qu’il saigne du bout des doigts. Derrière les cordes, il y a une signature. Je lis ROBERT JOHNSON. Les lettres sont inscrites sur un filet de sang.
Participant #17 ~ Jean Moynier
Pèlerinage
Le 2 juin. Premier soir.
Je n'ai jamais tenu de journal intime… Mon amour, si j'en ouvre un aujourd’hui, à soixante-trois ans, c'est pour me sentir un peu plus près de toi que d'habitude. André, mon André, pourquoi m'as-tu quittée si tôt ! Maudit cancer, comme je te hais !
Ce voyage dont nous avions tant rêvé, je le ferai donc seule. Seule, mais pas sans toi, mon aimé. Car je t’emporte avec moi. Au fond de mon cœur et de mon sac à dos… Dans une grande boîte de ce Nescafé que tu aimais tant...Ton urne était trop lourde, tu comprends ? Elle est restée chez nous avec encore un peu de toi au fond. Rien que pour moi...
Ainsi nous allons cheminer ensemble… Tu m’épauleras si je souffre et me consoleras quand je pleurerai. Tu sais, même après deux ans, j'ai toujours besoin de ta force et de ta constance. Elles me manquent terriblement…
Ce soir je suis un peu fatiguée et j'ai mal aux pieds. C'est normal au terme du premier jour… Sur le chemin il y a des pèlerins partout, venus du monde entier ; une vraie tour de Babel. Ils composent un cortège joyeux et bigarré. Mais mon Dieu ! Si tu savais comme ça jacasse !!!
[…]
Le 13 juin. Douzième jour.
Il pleut mais ça ne durera pas. À l’abri sous ma tente je rattrape mon retard d’écriture. Déjà trois jours sans un seul mot. Avant-hier, je suis arrivée face au panorama dont la photo te plaisait tant. J'ai fait halte sous un pin parasol et je t'ai posé à côté de moi, te laissant, mon amour, contempler cette vue magnifique. Je pleurai doucement et mes larmes coulaient, paisibles. Ce n'était pas une vraie tristesse non, plutôt de la nostalgie teintée de regret. Toujours ce vide de l'absence… J'ai ouvert la boîte et j'ai déposé un peu de toi au pied de l’arbre. Ainsi, mon cœur, tu pourras contempler ton paysage à satiété, jusqu'à la fin des temps. Toi qui avais tellement hâte d’y venir…
Mon aimé, je crois que je vais te disperser comme ça, tout au long du chemin, jusqu'à Compostelle. Dans tous les endroits que nous avions espoir de visiter et ceux pour lesquels j'aurai un coup de cœur. Et à la fin, tout au bout, à Fisterra, je t'offrirai à l’océan, immense et définitif.
Hier sur le chemin j'ai rencontré Dolorès. C'est une infirmière de Burgos qui se débrouille en français. Elle m'a fait penser à toi. Sans ta moustache, bien sûr. Mais avec la même bonté au fond des yeux, les mêmes gestes doux et avenants, et l’énergie paisible de ceux qui connaissent leur cap et s’y tiennent. Nous avons encore marché ensemble aujourd’hui, et mon ciel était plus bleu. Comme si tu avais été là… C'est sûrement pour cela que je suis moins fatiguée, ce soir…
Mais il me faut quand même dormir. Bonne nuit André, cher amour, à demain…
Bonne nuit, Jeanne, repose-toi.
Participant #18 ~ Dawn M Cornelio
Quel enthousiame ?
le 27 juillet 2006
Écoute la douceur de la pluie qui tombe, mon cœur. C’est comme une berceuse, non? On est bien là.
Mmmm.
Quand je lui ai dit ça à 2 heures du matin, j’aurais été moins enthousiaste si j’avais su que cette maudite pluie serait encore en train de tomber 10 heures plus tard.
Pas de doutes, j’étais vraiment éblouie par l’amour quand j’ai dit que je trouvais géniale l’idée de passer trois semaines à traverser le pays en tente roulotte. Avec départ deux semaines après notre mariage. Avec sa fille de 10 ans de sa relation précédente.
Quarante-huit heures après notre départ, on n’est pas encore rendus à la frontière qui sépare l’Ontario du Manitoba. Quarante-huit heures de lacs, de pins, de collines de roche grise.
Quarante-huit heures d’arrêts pipi, de demandes de collations, d’annonces inattendues de ‘je m’ennuie’.
Quarante-huit heures de soleil dans les yeux, de virages qui donnent la nausée, de chauffards devant qui roulent trop lentement et derrière qui roulent trop vite.
Quarante-huit heures de beaux soleils, de virages qui s’ouvrent sur des paysages à couper le souffle, d’autres chauffards dont on se fout.
Quarante-huit heures d’arrêts pour admirer la vue, de demandes de câlins, de joyeuses annonces inattendues de ‘regardez!’.
Quarante-huit heures de lacs étincelants remplis d’eau littéralement glaciale, de pins énormes qui font preuve de persévérance et de patience, de solides collines de roche grise dont la beauté des formes surprend.
Quarante-huit heures après notre départ, on n’est pas encore rendus à la frontière qui sépare l’Ontario du Manitoba.
Heureusement, nous avons encore presque trois semaines pour traverser le pays en tente roulotte. Nous, c’est une femme et un homme qui se sont mariés il y a 15 jours, et sa fille de 10 ans de sa relation précédente. Trois semaines, en fait, ça va faire court.
C’est bien qu’il pleuve encore. Ça ne fait qu’augmenter notre impatience pour les prochaines étapes. Le bon et le mauvais. L’ennuyant et le captivant. Le mouvement et le repos.
C’est bien d’être enthousiaste sous la pluie. Et éblouie par l’amour.
Participant #19 ~ Sandra LB
J27 sous la pluie… Nantes, dimanche 12 avril 2020, 23h19
Cela fera quatre semaines demain que nous sommes là, avec mon Tom, et c’est le début des vacances de Printemps. Du coup, pour changer du quotidien, on a monté la tente et décidé d’y dormir chaque nuit jusqu’à ce que nous rentrions à la maison, normalement pour la rentrée… Mathilde commence à craquer, je l’entends au ton de sa voix au téléphone. À Paris, les jumelles s’ennuient de leur grand frère. « Deux semaines », on nous avait dit...
Le bruit de la pluie qui tombe sur la tente m’apaise. Il me rappelle quand nous aussi, enfants, dès les vacances de Pâques, on sortait la tente. C’était une sorte de rituel, notre Fête du Printemps. Maman était toujours inquiète de nous y laisser dormir quand il pleuvait ou qu’un orage s’annonçait. Le tonnerre, « c’est le bon dieu qui joue aux boules », disait Papa. C’était sa façon à lui de nous rassurer. Mon Tom, je ne sais pas quoi inventer pour le protéger.
Pour l’heure, il dort à poings fermés, mon fiston, mon grand, neuf ans dans deux jours. Ce sera son premier anniversaire loin de sa mère, de ses sœurs, sans ses copains… Seul avec son père et sa Mamie. Bien sûr, on s’appellera en vidéo sur Messenger, comme tous les midis. Mais il faut que je trouve une idée pour que ce soit joyeux. Maman culpabilise tant de m’avoir fait déplacer pour signer les papiers d’une vente qui finalement, depuis le 16, est bloquée chez le notaire. On aurait dû partir tous ensemble.
La pluie n’en finit pas de tomber. Dans la nuit confinée et ruisselante, je viens de percevoir un grondement de tonnerre, puissant mais lointain. L’orage arrivera-t-il jusqu’ici ou restera-t-il au loin ? Allons-nous tâter du cochonnet avec le bon dieu, jouer à se faire peur, hurler de rire pour conjurer l’effroi comme je le faisais avec Papa ? Mon Tom, lui, n’a pas bougé, son sommeil est profond. De sa bouche entre-ouverte s’échappe un souffle fin et régulier que son nez reprend, tranquillement, doucement, sans bruit. Dors mon fils, je suis là.
Demain, j’irai vérifier l'étanchéité de la cabane près du seringat. Maman soupçonne une fuite au niveau du toit. Elle m’en a parlé à mon arrivée, puis j’ai oublié. Il a fait si beau jusqu’à présent. Les tôles ont peut-être bougé lors de la tempête de janvier. Si ce n’est que cela, ce n’est rien. Cela nous occupera avec Tom. Je crois qu’il est content d’avoir son père pour lui tout seul. Maman lui réserve chaque jour une petite surprise, pour la récréation, comme elle dit, après la classe virtuelle, une bricole qu’elle descend du grenier, les raquettes de badminton, un jeu de société, des photos... Mais spécialement pour les vacances, elle a remonté deux cartons pleins de jouets. J’espère qu’elle n’a pas épuisé les ressources, sinon les prochaines récréations risquent de paraître bien longues.
Tiens, la pluie a cessé. Tout est silencieux... Le bon dieu est parti jouer ailleurs.
Participant #20 ~ C.B.
Le bunker
2 juin - 21 h
Simon a disparu. J’étais partie à la recherche de bois sec pour alimenter le feu, mais surprise par un violent orage, j’ai dû renoncer à cette corvée et regagner notre campement sous une pluie nourrie. À mon retour, j’ai trouvé la tente telle que je l’avais laissée. Nos maigres provisions - une collection de haricots en boîte et 2 kg de riz - étaient intactes. La casserole qui avait servi au déjeuner reposait toujours dans la bassine où elle attendait d’être nettoyée. Trempée jusqu’aux os et épuisée, j’ai sermonné Simon. C’était son tour de faire la vaisselle. Comme il ne me répondait pas, je me suis dépêchée d’ouvrir, avec agacement, la fermeture éclair qui séparait sa chambre du reste de la tente. Pas de Simon.
Voilà bientôt quatre heures qu’il est absent. Je n’ai trouvé aucun mot justifiant son départ, mais le plus étrange, c’est qu’il semble ne rien avoir emporté avec lui. Ses vêtements sont rangés à leur place, de même que sa boussole, ses jumelles et son canif, objets qu’il emporte systématiquement quand nous nous éloignons du campement. Est-il parti à ma recherche en voyant l’orage ? S’est-il perdu dans les bois ? Est-il blessé ? Après une heure d’attente, sans le voir revenir, j’ai décidé de partir à sa recherche. Malgré l’épais couvert forestier, des torrents d’eau ruisselaient sur mon coupe-vent, et à trois reprises, j’ai manqué de me tordre la cheville en glissant dans une mare de boue. Le vacarme du vent, mêlé aux détonations des éclairs, rendait mes appels inaudibles et, la nuit tombant, j’ai décidé de rebrousser chemin. De retour à la tente, la tempête s’est enfin calmée. La mélodie des gouttes de pluie, d’habitude rassurante, résonne toujours sinistrement dans notre abri. Le canif de Simon est là, à portée de main. Je ne quitte pas la petite lame des yeux, tandis que la peur s’installe insidieusement dans mon esprit. Car depuis la première minute je lutte contre l’évidence : c’est eux, ils l’ont pris.
4 juin - 15 h
J’ai achevé de monter le nouveau campement. Après avoir marché près de 22 km hier, je me suis fixée au nord-ouest de notre ancien refuge. Situé à l’abri d’une ravine, l’endroit est rendu discret par une ceinture de vieux chênes. Un ruisseau s’écoule à une centaine de mètres de là.
La décision de partir s’est imposée à moi au lendemain de la disparition de Simon. Ils connaissaient l’emplacement du camp, et ne tarderaient pas à revenir. C’est d’ailleurs un miracle qu’ils ne se soient pas déjà montrés. Je dois probablement ma chance à la tempête qui a balayé la région ce fameux soir. L’air de la forêt est encore chargé d’une humidité orageuse, suffocante en ce début d’été. Assise à l’entrée de la tente, j’entrevois les larmes abandonnées par l’averse, qui chancellent paresseusement entre les feuilles des arbres. Cette nature apaisée me fait l’effet d’une provocation. Les oiseaux babillent, le soleil a chassé les nuages et rayonne avec orgueil sur la forêt. Dans mon esprit, pourtant, le tonnerre gronde encore. En fuyant, je sais que je laisse Simon derrière moi. J’ai tourné le dos à mon ami. Me voilà à nouveau seule, acculée par la menace de nouveaux dangers. Afin de prévenir l’arrivée d’un intrus, j’ai confectionné un système d’alarme rudimentaire : des vestiges de boîtes de conserve suspendues à un périmètre de ficelles donneront l’alerte en cas d’effraction. Telle une sentinelle je monte la garde, à l’abri derrière la moustiquaire de la tente. Ma seule échappatoire est ce modeste journal. Alors que j’écris, une averse se joint aux bruits de la forêt. La pluie se heurte à la surface de mon bunker de toile, et carillonne sur l’enveloppe métallique des boîtes de conserve laissées dehors. À moins que…