Le sage maître du saxophone et le jeune pianiste fou de son quartette s'associent à nouveau pour un album en duo convoquant quelques fantômes puisque Hagar's Song n'est ni plus ni moins qu'un hommage à quelques grands musiciens du territoire américains, versant classique, jazz ou pop et à une personne chère à la mémoire de Charles Lloyd dans le morceau-titre.Longue suite improvisée et jouée en très grande estime et complicité, la pièce « Hagar's Lullaby » renvoie à une arrière-arrière grand-mère du saxophoniste, née dans le Mississippi et vendue à l'âge de 10 ans à un marchand d'esclaves du Tennessee. Une trace douloureuse de l'histoire américaine qui a enfanté parmi ses plus illustres musiciens nombre de fils et files d'esclaves. À ce titre, la reprise de « You've Changed » immortalisé par Billie Holiday constitue un autre hommage au féminin de l'album qui, dans le mouvement, rejoue en accéléré les classiques du siècle dernier par ses appels du pied à George Gershwin (« Bess, You Is My Woman Now »), Billy Strayhorn (« Star-Crossed Lovers ») et son patron Duke Ellington (« Mood Indigo »).Loin de s'arrêter à la vision d'un jazz figé par le temps, Charles Lloyd et Jason Moran s'aventurent par monts et par notes dans les contrées pop et croisent deux géants contemporains, Brian Wilson dont le « God Only Knows » a modifié l'ADN des Beach Boys et Bob Dylan dont « I Shall Be Released » s'est taillé une réputation de standard via ses anciens accompagnateurs de The Band. Album-hommage aux grands airs de la mémoire collective américaine, Hagar's Song n'en constitue pas moins un recueil de messages personnels adressé par deux grands musiciens que le temps a réuni pour le meilleur.