Entre 140 000 et 340 000 kilomètres de canalisations d'eau potable en France sont concernés par la contamination au chlorure de vinyle monomère (CVM), selon le ministère de la Santé et les délégataires de service public, soit jusqu'à plus d'un tiers des 900 000 kilomètres de canalisations existantes. Les régions les plus touchées sont la Nouvelle-Aquitaine, la Bretagne, la Normandie et les Pays de la Loire. La base de données Sise-Eaux, obtenue par l'Association comité citoyen (ACC) de la Sarthe pour la période 2016-2025, ne contient cependant pas les mesures réalisées par les syndicats d'eau. La directive européenne de 1998 fixe la limite de CVM à 0,5 microgramme par litre dans l'eau potable, mais l'OMS recommande un seuil plus bas de 0,3 microgramme par litre. La France a mis cinq ans à transposer cette directive, et la première campagne de contrôle n'a eu lieu qu'en 2011. Les dépassements de la limite de qualité sont nombreux : de 0 à 5, de 6 à 26, de 27 à 145, et jusqu'à 1 478 dépassements selon les zones. Des milliers de communes, notamment rurales, dépassent la limite réglementaire de CVM dans l'eau du robinet, en particulier dans les départements de la Dordogne, de l'Orne, du Loiret, de l'Indre-et-Loire, de la Sarthe et du Gers. Les habitations en bout de réseau sont les plus vulnérables, l'eau y stagnant et les tuyaux se chargeant en gaz. Les canalisations en PVC installées entre les années 1960 et 1980 contiennent des résidus de CVM, substance cancérogène certaine. Pour la première fois, un syndicat d'eau potable est attaqué en justice pour pollution liée au CVM. Le syndicat intercommunal d'adduction d'eau potable (Siaep) de Châtenoy, Combreux et Sury-aux-Bois (3 communes, 1 500 habitants, Loiret) est poursuivi par le collectif Pour une eau claire et buvable pour ne pas avoir informé les usagers de la présence de CVM pendant neuf ans. Dix foyers demandent chacun une indemnisation comprise entre 8 000 et 10 000 euros. L'affaire a été jugée le 2 avril au tribunal judiciaire d'Orléans, la décision étant attendue le 16 juin. Seule la responsabilité civile du syndicat est engagée, aucune infraction pénale n'étant relevée. D'autres contentieux émergent : dans le bassin d'Arcachon (Siba, 12 communes, 140 000 habitants, Gironde), deux associations ont saisi la justice en janvier 2024 pour pollution, mise en danger de la vie d'autrui et écocide, après une contamination aux norovirus ayant provoqué une épidémie de gastro-entérite à Noël 2023. La directrice du syndicat a été placée en garde à vue, la responsabilité du président pourrait aussi être engagée. Dans le Morbihan, l'association Eau et rivières de Bretagne a également porté plainte pour dysfonctionnement des systèmes d'assainissement. Les risques de contentieux augmentent, en raison du renforcement de la réglementation et de la pression sociétale. Les collectivités sont prises entre la nécessité de remplacer des canalisations anciennes et le coût élevé de ces opérations, particulièrement pour les petites communes rurales. La mutualisation des moyens techniques et financiers est évoquée comme solution, avec la promesse d'une cartographie nationale précise et d'une estimation des coûts. La responsabilité des gestionnaires d'eau peut être engagée en cas de non-respect des seuils réglementaires, notamment pour négligence, défaut d'entretien ou de renouvellement. Les collectivités peuvent souscrire une assurance responsabilité " dommages à l'environnement ", mais il devient de plus en plus difficile de trouver des assureurs, et ces assurances ne couvrent pas les fautes délibérées. Les élus bénéficient de la protection fonctionnelle, sauf en cas de faute personnelle, et le juge peut vérifier la présence d'une infraction non intentionnelle. Les agents territoriaux bénéficient également de la protection fonctionnelle, sauf en cas de faute caractérisée exposant autrui à un danger grave. Une plateforme nationale en ligne (" mon-recours-cvm.fr ") a été lancée pour permettre aux victimes de cette pollution d'obtenir une indemnisation ; une trentaine de demandes ont déjà été enregistrées depuis janvier. D'autres affaires sont en cours dans l'Yonne, la Dordogne, la Normandie et les Côtes-d'Or. Outre le CVM, d'autres polluants comme le manganèse, les métaux lourds, les pesticides et les PFAS sont également concernés. Juridiquement, le distributeur d'eau ayant connaissance d'un problème doit informer le consommateur, distribuer de l'eau en bouteille et remédier à la situation (purges, travaux, etc.). L'action pénale reste difficile à mettre en oeuvre, comme l'a montré l'échec du recours relatif à la pollution au chlordécone aux Antilles. Il est difficile de démontrer des responsabilités individuelles, sauf en cas de faute grave et volontaire. En parallèle, un recours contre l'État pour négligence fautive dans le dossier CVM a été déposé en janvier devant le tribunal administratif d'Orléans par les mêmes usagers du Loiret. Une autre action, portée par l'ACC et France Nature Environnement Sarthe, vise le ministère de la Santé et les préfectures de la Sarthe et du Loiret. Le morcellement des compétences complique la gestion du problème : il existe environ 45 services d'eau dans la Sarthe et 196 dans le Loiret. Dans l'affaire du chlordécone, la cour administrative d'appel de Paris a reconnu en mars la faute de l'État et demandé une indemnisation limitée à quelques requérants, mais l'État s'est pourvu en cassation devant le Conseil d'État.